I.4.3. Quel est l’objectif des « jihadistes » ? Quelle est leur idéologie ?

Un autre chercheur français, Gilles Kepel, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, a participé à la traduction en français des textes des « terroristes » islamistes diffusés sur internet. « Même si c’est un bricolage, reconnaît Gilles Kepel, il y a une idéologie derrière Al-Qaïda. Idéologie de frustrés à tendance paranoïaque. « Pour les jihadistes, explique Gilles Kepel, l’objectif c’est de réduire l’autre à un ennemi. Dans l’islam, les juifs et les chrétiens sont généralement considérés comme des croyants qui ont le droit de conserver leur religion, puisqu’ils sont, à la différence des païens, des gens du Livre [de l’Ancien Testament]. Pour les jihadistes, les chrétiens et les juifs ne sont que des croisés et des sionistes dont l’impiété appelle le meurtre. À partir du moment où l’on a décidé que tous les autres sont des impies, on peut sans remords se faire sauter dans le métro. (...) Il y a pour les candidats au suicide une rupture complète par rapport à l’environnement social. C’est grâce à elle qu’ils pensent accéder à la vérité absolue. Ce ne sont pas des militants puisqu’il n’y a derrière eux aucune perspective à long terme. Vous avez les idéologues et autour d’eux les recruteurs qui vont très vite pour repérer les kamikazes et les endoctriner. Les kamikazes, ce sont des gens déstabilisés que l’on ramasse à droite et à gauche. Et tous ne sont pas issus de milieux modestes. »34
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  Comparez la démarche de Ben Laden et des « jihadistes » avec celle d’autres gourous à l’origine des sectes religieuses chrétiennes. Quels sont les points communs ? Comment ces mouvements parviennent-ils à recruter leurs adeptes ?

  Cherchez dans la presse quel était le profil des auteurs des attentats du 7 juillet dans les transports publics à Londres. Ont-ils le même profil que les « jihadistes » ? Etaient-ils intégrés à la société anglaise ?
Al-Qaïda : mythe ou réalité ?
Pour Rik Coolsaet, Al-Qaïda n’est qu’un mythe, dont on augmente le pouvoir à chaque fois qu’on lui attribue un attentat. Dans son livre « le mythe Al-Qaïda », l’auteur décrit un mouvement qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il était avant le 11 septembre. Aujourd’hui, selon lui, Al-Qaïda a perdu toute structure hiérarchique, suite à la défaite des Talibans en Afghanistan et n’a plus de direction centrale, plus de caisse centrale, plus de porte-parole central. Selon certains experts des Nations Unies35, le mouvement ne serait plus en mesure d’organiser un attentat comme celui du 11 septembre.
Le professeur français Olivier Roy, chercheur au CNRS, rejoint cet avis : Al-Qaïda n’est qu’une secte, millénariste et suicidaire. Il n’y a jamais eu d’internationale islamiste ». C’est cette peur d’une « pieuvre internationale » pouvant frapper à tout moment partout dans le monde, qui cherche à se procurer des armes de destruction massive, qui a créé le mythe Al-Qaïda.
Rik Coolsaet explique le mécanisme qui tend à exagérer l’importance d’Al-Qaïda : « La formule sempiternelle des « terroristes liés à Al-Qaïda » dissimule plutôt qu’elle n’explique. Bien qu’à chaque attentat qui se produise depuis le 11 septembre, on se réfère aussitôt à Al-Qaïda, il semble plutôt qu’ils soient en majeure partie, voire exclusivement, le fait de groupes terroristes militants locaux. (...) Ils ne sont rien de plus que des groupes extrémistes dispersés dans le monde musulman, sans lien avec les grands mouvements islamiques qui ont entre-temps opté pour les règles du jeu démocratique ou du moins écartent la voie de la violence. Ils se réfèrent à une interprétation pervertie et simpliste de l’islam et recrutent dans des groupes de la population qui se sentent exclus de la société où ils vivent - au Moyen-Orient comme en Occident ».
Dominique Thomas, un spécialiste français des mouvements islamistes, partage l’avis selon lequel Al-Qaïda n’a pas de structure pyramidale internationale : « La seule forme de coordination est idéologique. Elle concerne des groupes locaux galvanisés par les attaques ailleurs dans le monde. (...) » Les liens entre tous ces attentats est »une idéologie commune, le courant salafiste djihadiste, et une mouvance qui tient par les cyberidéologues », poursuit Dominique Thomas. Les contacts entre organisations fleurissent sur internet, via les chat-rooms notamment. Internet serait devenu la base des liens entre les différents groupes locaux qui « recherchent ensuite la sensation de faire partie d’une mouvance d’envergure internationale et se réclament d’Al-Qaïda. »36 Cela leur donne une visibilité encore plus grande et augmente leur satisfaction de voir le monde trembler face à la nébuleuse terroriste.
Mais tous les experts ne sont pas d’accord entre eux. Ainsi, le professeur belge Robert Anciaux estime qu’« il faut bien admettre qu’il existe une guidance idéologique et, peut-être, une coordination sommaire de ces actions. Il y a quelque part un groupe qui représente le centre de réflexion de la mouvance. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les vidéos où Ben Laden est entouré d’idéologues égyptiens », analyse Robert Anciaux, qui admet toutefois qu’Al-Qaïda n’est pas un mouvement de masse et qu’il ne bénéficie pas d’un large soutien populaire, comparable avec les mouvements marxistes des années 1960 ou 1970 : « De ce point de vue-là, les islamistes radicaux ont raté leur but, qui était d’incarner la revanche du monde musulman face à un ordre international jugé inéquitable ».37
Il faut insister sur le fait que les attentats attribués à Al-Qaïda, qu’ils soient commis en Égypte,en Irak, en Europe ou aux États-Unis, sont condamnés par la toute grande majorité des musulmans dans le monde. On peut espérer que ce manque de soutien populaire finira par faire disparaître la mouvance « terroriste islamiste », comme ce fut le cas pour les mouvements « terroristes » européens en Espagne ou en Irlande du Nord.
Débat

  Est-il selon vous normal que le temps accordé dans les médias aux attentats « terroristes » soit si important, et que certaines chaînes continuent de diffuser sans arrêt les mêmes images de violence (comme les avions qui percutent les deux tours), sachant que ces images n’apportent aucune information nouvelle ? Doit-on mieux expliquer le phénomène du terrorisme pour éviter que la population ne cède à la panique généralisée ?

  À l’inverse, en minimisant le danger « terroriste », ne risque-t-on pas de mettre en danger la population ? N’est-il pas important de conscientiser tous les citoyens, afin qu’ils puissent être capables de reconnaître un « terroriste » ? Ne faut-il pas encourager les gens à dénoncer ceux qu’ils trouvent suspects, afin d’empêcher de nouveaux attentats « terroristes » ?
De l’art de reconnaître un « terroriste »
Quand la peur s’empare de la population, les idées les plus folles commencent à circuler. Ainsi, des spécialistes interviewés par le Daily Telegraph au lendemain des attentats du 7 juillet n’ont pas hésité à donner leurs conseils pour reconnaître un kamikaze : « si vous voyez dans le métro un homme jeune au regard furtif, transpirant abondamment, portant un sac à dos et appartenant à une minorité ethnique, il y a des chances que se soit un kamikaze ». Pas étonnant, avec ce genre de portrait robot, qu’un jeune Brésilien soit mort abattu par la police parce qu’il ressemblait un peu trop à l’idée qu’on se fait d’un terroriste. Autre exemple : trois jours après les attentats, un Pakistanais a été battu à mort par un groupe de jeunes Blancs dans les rues de Nottingham, en plein jour. Du coup, les musulmans ont peur et n’osent plus sortir. Mais d’où vient cette peur réciproque ?
Pour aller plus loin

  « Terrorisme, un outil pour mieux comprendre », un CD ROM pédagogique conçu par la CNAPD et destiné aux jeunes à partir de 16 ans (utilisable seul ou en classe/groupe). En vente au prix de dix Euros (+ frais de port). Pour commander ce CD ROM, contacter la CNAPD au 02/640.52.62 ou via mail cnapd.dg@skynet.be
Film

  « Au nom du père », de Jim Sheridan, 1993. En novembre, devant la multiplication des attentats, le gouvernement anglais adopte le « prevention of terrorism act » qui permet de détenir et d’interroger un suspect pendant 7 jours sans assistance d’avocat.
Bibliographie

  N. CHOMSKY, Autopsie des terrorismes, Editions du Serpent à Plumes, 2001

  E. NGUYEN, Les nationalismes en Europe, quête d’identité ou tentation de repli ?, Le Monde Poche, Editions Marabout, 1998

  V. GEISSER, La nouvelle islamophobie, Editions La Découverte, 2003

  P. A. TAGUIEFF, La force du préjugé, essai sur le racisme et ses doubles

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