II.6.2. Historique :

Cet historique n’a pas pour ambition d’être exhaustif. Il est surtout destiné à informer sur le fait que la répression des homosexuel(le)s n’a pas toujours été généralisée. À des périodes répressives ont succédé des périodes plus tolérantes. Par ailleurs, la négation même de l’existence de l’homosexualité a toujours été une des formes les plus efficaces pour « oublier » les droits des personnes homosexuelles. Cela est particulièrement vrai pour les lesbiennes. Si l’histoire des femmes a été souvent minimisée, celle des lesbiennes a été carrément ignorée, oubliée, voire occultée.
L’Antiquité
La Grèce antique réservait une place de choix aux amours homosexuelles, masculines et féminines : évoquées par la poésie, le théâtre, l’iconographie des vases ou la statutaire, elles étaient largement reconnues comme positives et valorisantes.
Sous l’Empire romain, l’homosexualité et la bisexualité se répandent dans toutes les classes, à l’image des empereurs eux-mêmes
L’Europe médiévale
Lorsque le christianisme devient religion d’État sous l’empereur Constantin en 313, les relations entre hommes deviennent un crime contre la dignité humaine, puis un crime contre nature, notamment sous l’influence de Saint-Augustin (354-430). Les lois appliquées sous les règnes de Théodose (379-395) et de Justinien (527-565) sont les premières qui prévoient le bûcher pour de tels actes.
Globalement, de la fin de l’Empire romain au XIIIe siècle, la répression est présente mais inégale en Occident. Parenthèse porteuse d’ouverture, on assiste entre les Xe et XIIe siècles, en contrepoint à une urbanisation croissante, à la reprise du commerce, et à l’ouverture d’universités dans de nombreuses régions européennes, à une réémergence d’une certaine culture favorable à l’homosexualité. L’amour courtois existe aussi entre hommes, comme en témoigne la littérature chrétienne de l’époque et plusieurs papes et hommes de pouvoir renoncent à punir les actes homosexuels. À l’époque, le terme de Ganymède, en référence au mythe grec qui voit le splendide fils du Roi de Troie enlevé par Zeus, devient synonyme du mot gay actuel.
Durant le Haut Moyen Àge, on peut même parler d’une certaine reconnaissance de l’homosexualité à travers certains rites agréés par l’Église. Dès le IVe siècle et au moins jusqu’au XIIe, particulièrement en Orient, on relève de nombreux exemples de cérémonies qui légitiment, entre deux personnes du même sexe, une relation affective stable reconnue par la collectivité et officialisée par l’autorité religieuse.
Après la Révolution française
En France, l’Assemblée constituante adopte en 1791 le nouveau Code pénal, et retire les relations entre personnes de même sexe de la liste des délits, tout comme le blasphème, la magie ou le sacrilège. En 1810, le Code Napoléon confirme cette tendance.
En Angleterre, sous le règne de la Reine Victoria, la peine de mort pour homosexualité est abolie en 1861 et transformée en prison à vie, jusqu’au Labouchère Amendment de 1885 qui punit la « gross indecency » (outrage à la pudeur) de deux ans de travaux forcés.
En Allemagne se trouve l’origine du mouvement de libération de l’amour entre hommes en Europe dans le travail de Heinrich Hôssli. Il publie en 1836 le premier volume de Eros : L’amour entre hommes chez les Grecs, un ouvrage qui retrace l’histoire de l’amour entre hommes de la Grèce antique au début du XIXe siècle, en incluant les pays islamiques. Cet ouvrage est révolutionnaire dans la mesure où il est le premier livre de l’époque moderne à défendre sans détour l’amour entre hommes.
Les débuts du communisme en Russie
Les actes homosexuels sont dépénalisés par Lénine le 12 décembre 1917, avec la promulgation du nouveau code pénal révolutionnaire.
L’arrivée au pouvoir de Staline ôtera tout espoir de succès à ces recommandations. Dès janvier 1934, sans base légale, sous prétexte de combattre un « produit de la décadence bourgeoise » et la « perversion fasciste », le dictateur procède à des purges homosexuelles.
L’entre-deux guerres : de l’âge d’or de Weimar au nazisme
C’est sous l’impulsion de Magnus Hirschfeld que va renaître le mouvement de libération homosexuelle. L’Allemagne s’affirme alors comme le centre de l’émancipation homosexuelle en Europe et comme l’unique pays qui dispose d’une structure communautaire drainant des milliers de personnes se reconnaissant homosexuelles, avec des revendications politiques. La lutte contre la pénalisation de l’homosexualité devient une cause pour laquelle des personnalités s’engagent : Albert Einstein, Léon Tolstoï, Hermann Hesse, Rainer Maria Rilke, Stefan Zweig, Thomas Mann, Emile Zola, Richard von Krafft-Ebing, Sigmund Freud ou Max Brod, pour ne citer que les plus célèbres.
En parallèle, la libéralisation des mœurs s’accentue et la tolérance sociale gagne du terrain dans les centres urbains, surtout parmi les milieux favorisés. Berlin devient un bouillonnant centre avant-gardiste. C’est à cette époque qu’une véritable conscience homosexuelle apparaît. Par le biais des arts et du spectacle, mais aussi par le travail politique de Magnus Hirschfeld, la société est confrontée de manière croissante à la thématique homosexuelle. D’une manière générale, l’entre-deux guerres voit aussi se développer une iconographie lesbienne largement véhiculée par des femmes artistes.
Néanmoins les actes sexuels entre hommes demeurent punissables de prison, et le discours puritain de l’Église et de la presse ne tarit pas. Dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, nombreux sont ceux qui, amers de la défaite allemande, commencent à chercher des explications à la déroute de l’armée du Kaiser. De manière de plus en plus forte, les nazis font entendre leur point de vue, et affirment que Berlin est devenue un centre de dépravation et de corruption, une ville contrôlée par les Juifs et les pervers. Le 30 janvier 1933, Hitler accède à la Chancellerie. Trois semaines après leur prise de pouvoir, les nazis déclarent les associations et les publications homosexuelles illégales. Les bars homosexuels de Berlin sont fermés par la police.
Si on estime que 15000 hommes ont été déportés pour homosexualité, il semble raisonnable de considérer qu’au moins 500000 homosexuels ont trouvé la mort dans les prisons, les exécutions sommaires, par suicide ou lors de traitements expérimentaux. Après avoir été déportés et victimes du génocide nazi, les homosexuels, qui devaient porter dans les camps un triangle rose à l’instar de l’étoile jaune pour les Juifs, sont le seul groupe à qui a été déniée toute reconnaissance ou réparation à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une fois libérés des camps, certains homosexuels ont même été remis en prison pour débauche ! La base légale de leur persécution en Allemagne, l’article 175 du Code pénal, est demeurée la même jusqu’en 1969.
Quant aux lesbiennes dans l’état national-socialiste, on se trouve devant un manque général de témoignages écrits, ce qui mène à une lacune des études sur ce sujet. Une telle lacune a été, entre autres, déterminée par le statut particulier, non défini, revêtu par les lesbiennes dans la politique de persécution national-socialiste. En effet, malgré la proposition, jamais réalisée, d’étendre l’abominable article 175 également aux lesbiennes, ces dernières n’ont jamais été véritablement incluses dans le programme Emprisonnement et punition, car considérées dans la majorité des cas en tant qu’ « asociales » (triangle noir) ou bien « criminelles » (triangle vert). Dans la réalité des faits, les lesbiennes, si elles n’étaient pas emprisonnées à cause de leurs origines ethniques, religieuses ou politiques, étaient alors condamnées sur la base d’accusations de subversion à la défense nationale. Cette dernière accusation concernait une faute présupposée des lesbiennes par rapport à la politique démographique du national-socialisme qui ambitionnait une augmentation des naissances désirables, notamment « aryennes ». De plus, la non-visibilité des lesbiennes était aussi déterminée par des raisons sociologiques sur la représentation sociale de l’homosexualité féminine dans les années 1933-1945. Contrairement à celle masculine, l’homosexualité féminine était considérée comme étant moins menaçante car les lesbiennes, en tant que femmes, n’occupaient pas des postes de pouvoir. Une autre raison de cette non-reconnaissance était que l’homosexualité féminine était considérée comme une pseudo-homosexualité et on attribuait un caractère transitoire à cette identité sexuelle. À noter que le nombre exact de lesbiennes victimes du génocide nazi n’est toujours pas connu.
Pour en savoir plus
Consultez le site internet www.triangles-roses.org
L’après-guerre
Deux séries d’ordre se mettent en place en Occident après la Deuxième Guerre mondiale : l’approche soviétique et l’approche puritaine américaine. Pendant 25 ans, les homosexuels subiront encore les foudres de la société tant à l’Est sous les purges staliniennes qu’à l’Ouest avec la chasse aux sorcières du sénateur MacCarthy aux États-Unis. Pourtant, le sexologue Kinsey, dans son célèbre rapport publié en 1948, met en évidence le caractère répandu des pratiques homosexuelles, et avance l’idée d’un « continuum sexuel », contre la volonté tenace de classer les individus en catégories définitives et exclusives (homos-hétéros, etc.). En 1973, l’American Psychiatric Association ôte l’homosexualité de la liste des maladies mentales, et le 1er janvier 1993, l’Organisation Mondiale de la santé fait de même.
Mais c’est surtout suite au mouvement de mai 68 et à la révolution sexuelle des années 1970 en Occident, et plus particulièrement aux émeutes de Stonewall à New York en 1969, qu’un nouveau mouvement de libération homosexuelle fait surface, luttant pour une reconnaissance juridique et sociale de l’amour entre personnes de même sexe.
Débat
Diverses associations de défense des droits des gays et lesbiennes utilisent le symbole du triangle rose lors de diverses manifestations de défense de leurs droits ou revendications. Des participants aux marches des fiertés gaies et lesbiennes (« gay pride ») arborent ce symbole, une association militante comme ACT-UP l’utilise comme logo, des monuments aux morts victimes des camps de concentration nazis reprennent la forme du triangle, des compositions florales en forme de triangle sont déposées en hommage au pied de ces monuments par des membres de mouvements associatifs.
Interrogez-vous sur l’origine de ce symbole et sur le pourquoi de son utilisation actuelle.

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