La torture : quelques mises au point

Définition

Définir la torture n’est pas facile. En effet, comment établir un seuil dans la douleur qui distinguerait la torture des « traitements cruels, inhumains ou dégradants », eux aussi utilisés dans des milliers de prisons à travers le monde ? L’intensité de la douleur et le caractère délibéré de l’acte seront déterminants pour qualifier certaines pratiques de torture. A l’inverse, les « traitements cruels, inhumains ou dégradants » sont parfois le résultat d’une négligence (mauvaises conditions de détention) ou n’ont pas nécessairement comme but de faire souffrir (mesures pénibles, telles que l’emploi de menottes comme moyen de contrainte).

Selon l’ONU , pour qu’il y ait torture, il faut qu’il y ait :

 un bourreau qui représente une autorité officielle ou qui agit sous les ordres de l’autorité ou avec son consentement (policier, militaire, médecin, bourreau, gardiens de prison…) ;
 une intention de la part du bourreau d’obtenir quelque chose de la victime (des renseignements ou des aveux), de la punir d’un acte, de l’intimider ou de faire pression sur elle, ou pour tout autre motif fondé sur une discrimination ;
 une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales.

Comment devient-on un bourreau ?

Le tortionnaire est généralement quelqu’un qui a subi lui-même des humiliations et qui n’a pu en guérir, il lui en reste des frustrations. C’est alors qu’il se permet de mépriser sa victime parce qu’elle lui apparaît inférieure à lui-même. Assoiffé de pouvoir, il n’hésitera pas à humilier sa victime afin de se donner l’illusion de régner sur elle. La torture participe d’une politique de l’humiliation.

On pourrait dire du tortionnaire que c’est un « sadique »... En effet, pour le tortionnaire, le fait de pratiquer la torture est une source de jouissance, puisque c’est, pour lui, une manière de libérer son agressivité.

Il existe deux grands types de tortionnaires :
 Tout d’abord, il y a le tortionnaire d’occasion : le tortionnaire d’occasion peut éprouver un plaisir sadique à torturer quelqu’un, mais il arrive également qu’il regrette ses actes.
 Ensuite, le tortionnaire professionnel appelé « frustré affectif et social » par les psychologues. Souvent affiliés à des partis d’extrême droite, les tortionnaires professionnels considèrent la torture comme une source de satisfaction affective. En dehors des salles de torture, les tortionnaires mènent souvent une vie tout à fait « normale ». Prenons, par exemple, le cas du commandant du camp d’Auschwitz qui était marié et bon père de famille. Malgré ses actes, le tortionnaire professionnel a souvent bonne conscience puisqu’il ne fait que répondre à des ordres reçus par une autorité supérieure.

Mais la torture n’est pas uniquement due aux frustrations ou au sadisme de tortionnaires isolés, ou au manque de contrôle de la justice. Le bourreau est avant tout manipulé par le pouvoir qui considère souvent la pratique de la torture comme faisant partie intégrante de la stratégie en matière de sécurité. Parce que la torture est une technique qui vise à supprimer toute opposition, elle implique chez le bourreau une obéissance à toute épreuve.

Pour cela, trois conditions sont souvent nécessaires :

 l’existence d’une idéologie qui conforte le bourreau dans la conviction de l’utilité de son travail,
 le rapport d’autorité : le bourreau obéit à un supérieur. Il est donc un simple « exécutant » et ne se sentira pas responsable,
 l’impunité : le bourreau est sûr qu’il ne sera pas puni, puisque la justice est aux mains du pouvoir et que les juges sont tous corrompus.

Les quatre objectifs de la torture

Lors de la Conférence internationale sur la torture, qui a eu lieu à Stockholm en 1996, Sally Sealy, une ancienne détenue et militante des droits humains en Afrique du Sud, a dégagé au moins quatre raisons qui motivent l’usage de la torture :

1) Obtenir des aveux ou des renseignements

On torture principalement pour forcer des suspects à avouer les crimes dont on les accuse, ou à donner des informations que l’on croit importantes pour la sécurité de l’Etat.

C’est cet argument qu’invoque par exemple la Turquie pour justifier la torture, surtout pratiquée contre les Kurdes. Le même argument a été utilisé par le gouvernement israélien, qui utilisait l’expression « pressions physiques modérées » pour désigner en fait les actes de torture pratiqués contre de soi-disant terroristes palestiniens ou libanais. Israël était le seul pays au monde à reconnaître officiellement l’usage de la torture jusqu’en septembre 1999, date à laquelle la Haute Cour de justice d’Israël a déclaré que cette pratique était illégale. Toutefois, il y a encore des tentatives d’autoriser les services de sécurité intérieure d’Israël (Shin Bet) à recourir à la force physique pendant les interrogatoires dans certaines circonstances.

D’un point de vue moral et juridique, la torture est condamnée dans tous les textes internationaux relatifs aux droits humains. Chaque fois que les forces de l’ordre obtiennent l’aveu d’un crime par la torture, la société le paie d’un crime nouveau, accompli par ceux-là mêmes qui sont censés faire respecter la loi.

2) Briser l’individu

On torture aussi dans le but de briser les individus physiquement et mentalement, pour les déshumaniser. On cherche ainsi à anéantir les personnes dont le caractère est exceptionnellement fort, parce qu’on estime qu’elles représentent une menace pour le pouvoir politique, qu’elles soient en liberté ou qu’elles soient en prison.

Par exemple, on arrive à dépersonnaliser les prisonniers quand on leur ordonne de se déplacer dans tel sens et en silence, tous vêtus du même uniforme et le crâne rasé. Il n’y a alors plus de place pour la personnalité, plus aucun droit à la liberté ni au mouvement. Certains prisonniers réagissent en désobéissant à ces ordres, afin d’affirmer leur existence propre. Ainsi, Milena Jesenska, une journaliste tchèque arrêtée pendant la seconde guerre mondiale pour avoir aidé des Juifs à fuir la Tchécoslovaquie, bravait ses gardiens en marchant dans le sens inverse de celui du groupe et en chantant tout haut ou en sifflotant, ce qui lui valut plusieurs jours de cachot.

Jean-Paul Sartre fut particulièrement sensibilisé au problème de la torture, ayant vécu durant la deuxième guerre mondiale et ayant soutenu puis dénoncé le communisme : « Le but de la question n’est pas seulement de contraindre à parler, à trahir : il faut que la victime se désigne elle-même, par ses cris et par sa soumission, comme une bête humaine. Aux yeux de tous et à ses propres yeux. Il faut que sa trahison la brise et débarrasse à jamais d’elle. Celui qui cède à la question, on n’a pas seulement voulu le contraindre à parler ; on lui a pour toujours imposé un statut : celui de sous-homme. »

3) Terroriser l’individu ou un groupe social

La torture est un instrument des plus forts contre les plus faibles : les minorités, les opposants, les membres de groupes sociaux défavorisés…

Dans ce cas-ci, on torture dans le but de faire naître la peur dans des communautés et des groupes sociaux déterminés. Souvent, cette violence organisée prend pour cibles des minorités ethniques ou sexuelles, ou encore les individus appartenant à des mouvements d’opposition politique, que ces derniers soient armés ou non.

Très souvent, la torture est alors justifiée par une idéologie raciste ou nationaliste, comme par exemple celle qui a conduit à l’épuration ethnique en ex-Yougoslavie ou dans la région des Grands Lacs en Afrique centrale (Congo, Rwanda, Burundi). En Amérique, entre autres, la violence est dirigée contre les Mayas du Chiapas (Mexique) et du Guatemala, ou encore contre les autochtones et les paysans du Brésil. En Colombie, on se livre au « nettoyage social » en s’acharnant contre les enfants des rues, les toxicomanes, les homosexuels, les prostituées… Quand cette violence ne mène pas directement aux massacres ou au meurtre, elle se manifeste par la torture.

4) Punir

On emploie enfin la torture pour punir des individus d’un crime réel ou supposé. Elle prend alors la forme de châtiments corporels tels que les amputations ou les coups de fouet en public, notamment en Iran et en Arabie Saoudite. Dans certains pays, le simple fait de publier un article sur l’état de santé du Président sera considéré comme une atteinte à la sécurité et pourra entraîner des actes de torture sur le journaliste. En le torturant, on le punit d’avoir écrit l’article, mais on donne également un signal à tous les autres journalistes qui seraient tentés de critiquer le pouvoir ou de dévoiler des secrets.
Punir, cela peut donc vouloir dire maltraiter physiquement un individu en prison pour se venger de lui ou du groupe auquel il appartient.

Les victimes

Le monde a changé en profondeur, depuis qu’Amnesty a commencé à dénoncer la torture, en pleine guerre froide dans les années 60, mais la torture existe encore et n’est pas réservée aux dictatures militaires ou aux régimes autoritaires. La torture est également pratiquée dans les pays démocratiques, même si elle n’y est pas utilisée de façon systématique. Il est également clair que les victimes de la torture sont aussi bien des suspects de droit commun que des prisonniers politiques, des personnes défavorisées, des dissidents, des gens visés à cause de leur identité comme de leurs croyances. Ce sont des femmes comme des hommes, des enfants comme des adultes. Souvent, il s’agit de groupes minoritaires victimes de racisme ou de discrimination (voir chapitre 5 sur la discrimination).

Le plus souvent cependant, ceux qui sont torturés par des agents de l’État sont des criminels ou des suspects de droit commun. Ces victimes de torture n’osent souvent pas se plaindre et n’ont pas l’argent ou les relations pour se payer un avocat. Ces personnes sont souvent issues des couches les plus pauvres et les plus marginalisées de la société.

L’enquête d’Amnesty International a révélé des cas de torture sur des criminels ou des prévenus de droit commun dans plus de 130 pays depuis 1997. Pendant la même période, les prisonniers politiques ont été victimes d’actes de torture dans plus de 70 pays et les manifestants non violents dans plus de 60 pays.

Des tortures de moins en moins visibles

Les techniques de torture vont des plus anciennes -le fouet, la matraque, les chaînes, les brûlures, l’isolement complet dans le noir …- aux plus modernes : décharges électriques, techniques de tortures psychologiques, drogues, simulacres d’exécutions...
Les viols et autres tortures sexuelles sont hélas de plus en plus fréquents…

Mais aujourd’hui, les tortionnaires n’hésitent pas à s’entourer de médecins pour savoir jusqu’où l’on peut pousser la douleur sans risquer de tuer le prisonnier. L’un des principaux soucis des pays qui pratiquent la torture est de laisser un minimum de cicatrices visibles sur le corps des survivants, afin d’éviter la condamnation d’organisations internationales comme Amnesty. Pour cela, on invente de nouvelles techniques qui laissent très peu de traces : matraques électriques, médicaments qui rendent fous…

Le commerce mondial de la torture

Le marché mondial des instruments de torture est en fait constitué d’un circuit clandestin d’argent et d’équipements qui traverse beaucoup de frontières. Depuis quelques années, le secteur en expansion est celui des armes électriques - conseillées pour le peu de marques physiques qu’elles laissent tout en infligeant un maximum de douleur.

Durant les années 90, les armes électriques ont été utilisées dans les prisons, les centres de détention et les commissariats de police de plus de 60 pays. Les armes à poing électriques, comme les boucliers, les matraques, les pistolets hypodermiques, ont été utilisées dans au moins 20 pays. Plus de 120 entreprises dans 22 pays, dont la Belgique , sont impliquées dans la fabrication, la vente, la promotion ou la fourniture de ce genre d’équipement.

Les ceintures électriques sont largement utilisées sur les prisonniers aux États-Unis. Elles peuvent même être activées à distance ! La ceinture électrique envoie un choc de 50 000 Volts durant 8 secondes. Celui qui la porte est immobilisé pendant quelques premières secondes et ressent une douleur extrême qui s’intensifie progressivement.

Amnesty International a demandé la suspension de l’usage de tous les équipements électriques jusqu’à ce que l’on puisse prouver qu’ils ne sont pas dangereux. Les ceintures électriques devraient être interdites définitivement.

La torture est-elle illégale ?

L’interdiction de la torture dans les lois internationales est absolue. « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », déclare l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Des phrases similaires apparaissent dans beaucoup d’autres textes internationaux en matière de droits humains.

Aucun gouvernement ne peut justifier la torture au nom d’un état ou d’une menace de guerre, de l’instabilité politique interne ou de tout autre motif d’urgence nationale. Et pourtant, selon l’enquête d’Amnesty International, 31 pays au moins autorisent même les châtiments corporels, comme les amputations et les flagellations. Certains de ces châtiments, comme l’amputation ou le marquage au fer, ont clairement pour but de mutiler le corps humain de manière définitive, et tous peuvent causer des blessures à long terme ou qui ne disparaissent jamais.

Les moyens de lutte contre la torture

Amnesty International fait pression sur les gouvernements afin qu’ils prennent des mesures pour lutter contre la torture et les mauvais traitements, en ordonnant aussi rapidement que possible l’ouverture d’enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations de torture et en traduisant en justice les tortionnaires. Les autres mesures préconisées par Amnesty International pour protéger les détenus sont :
 l’élaboration de lignes de conduite faisant clairement savoir que la torture et les mauvais traitements ne seront pas tolérés,
 la suppression de la détention au secret et la possibilité pour les détenus d’être examinés par un médecin indépendant et de consulter un avocat,
 l’interdiction d’utiliser des aveux obtenus sous la torture à titre de preuve devant les tribunaux ;
 l’inspection des lieux de détention par des personnes indépendantes,
 la notification de leurs droits aux détenus,
 la mise en place d’une information relative aux droits humains pour le personnel chargé de l’application des lois,
 le versement d’une indemnité aux victimes de torture,
 la prise en charge médicale des victimes de torture et l’aide à leur réadaptation.

Chacun de nous peut contribuer à la lutte contre la torture, en écrivant des lettres de protestation aux autorités responsables. Cette méthode a permis d’éviter certaines tortures, de faire en sorte qu’elles s’arrêtent, d’aboutir à une enquête et au jugement des coupables. Vous pouvez obtenir des modèles de lettres chez Amnesty International ou vous inscrire au réseau d’actions urgentes. Grâce à ce réseau, des milliers de lettres sont écrites tous les jours par les membres ou sympathisants d’Amnesty dès qu’un risque de torture ou de mauvais traitement apparaît.

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