Existe-t-il une méthode d’exécution « humaine » ?
Parmi les nombreux modes d’exécution – électrocution, pendaison, exécution par balle, gazage, lapidation – l’injection létale s’est imposée comme la nouvelle méthode privilégiée par certains parce que soi-disant plus humaine. Cependant, certains cas récents ont conduit à reconsidérer l’usage de cette méthode, ainsi qu’à s’interroger sur l’existence réelle d’un moyen humain d’ôter des vies au nom de l’État.
« C’est vraiment comme s’il était mort sous la torture. » Déclaration du docteur Jonathan Groner, professeur à la faculté de médecine de l’État de l’Ohio, à propos de l’exécution d’Angel Diaz par injection létale en 2006
En pratiquant la peine de mort, l’État se livre à l’acte le plus fortement réprouvé par le droit international. Dans presque tous les systèmes juridiques, les homicides prémédités ou commis de sang froid sont punis des peines les plus sévères. Or, aucun homicide n’est plus prémédité ou commis de sang-froid qu’une exécution. À l’instar d’un acte de torture physique, celle-ci est une agression délibérée visant une personne incarcérée. En d’autres termes, on ne peut mettre quelqu’un à mort avec humanité. Il est impossible de trouver une méthode d’exécution qui ne soit pas cruelle, inhumaine ou dégradante.
Au cours des deux derniers siècles, les modes d’exécution ont évolué, passant de méthodes conçues pour infliger le supplice le plus douloureux possible aux prisonniers à l’approche moderne et fonctionnelle adoptée par la majorité des gouvernements qui recourent encore à la peine capitale aujourd’hui. Dans cette approche, l’essentiel est de tuer le prisonnier, et non de le faire souffrir davantage.
Cependant, toutes les méthodes d’exécution se sont avérées problématiques et susceptibles de causer des souffrances prolongées. L’exécution par balle, la pendaison et la décapitation ne provoquent pas toujours une mort immédiate, et il est parfois nécessaire de recourir à des violences supplémentaires pour achever le prisonnier. Confrontés à ces scènes épouvantables, certains gouvernements ont fait le choix de l’injection létale comme méthode moderne d’exécution.
Le 10 février 1998, le Guatémala a recouru pour la première fois à l’injection létale pour mettre un prisonnier à mort. Ce condamné était Manuel Martínez Coronado. Les personnes chargées de procéder à l’exécution étaient manifestement si tendues (en partie à cause des sanglots insoutenables de la femme et des enfants du prisonnier, semble-t-il) qu’elles ont mis un long moment à poser la perfusion devant permettre l’administration des produits destinés à le tuer. Une coupure d’électricité survenue durant l’exécution a stoppé l’injection des drogues létales et le prisonnier n’est mort qu’au bout de dix-huit minutes. Son agonie a été intégralement retransmise en direct sur la chaîne de télévision publique.
Aux États-Unis, plusieurs exécutions par injection létale ont été bâclées. Angel Diaz, un homme d’origine portoricaine qui avait été condamné à mort pour un meurtre commis en 1979, a été exécuté par injection létale le 13 décembre 2006. D’après certaines informations, il a mis trente-quatre minutes à mourir, et a bougé, grimacé et tenté de parler pendant plus de vingt minutes après le début de l’injection. Une seconde dose a dû lui être administrée avant qu’un médecin, portant une cagoule pour protéger son anonymat, ne puisse annoncer sa mort.
Les États-Unis ont procédé à leur première exécution par injection létale il y a presque trente ans, en 1982, arguant qu’il s’agissait là de la façon la plus « humaine » d’ôter la vie à quelqu’un. Depuis lors, près de 900 condamnés ont été exécutés de cette façon dans le pays, tandis que les autres méthodes – chaise électrique, pendaison, gazage et peloton d’exécution – ont pratiquement été abandonnées. Près de vingt ans après son introduction dans le droit américain, l’injection létale a été adoptée par la Chine, le Guatémala, les Philippines (où la peine de mort est toutefois abolie depuis juin 2006), Taiwan et la Thaïlande.
Cette méthode consiste à injecter des doses mortelles d’un mélange de trois produits chimiques : le thiopental sodique, qui provoque une anesthésie générale ; le bromure de pancuronium, qui induit une paralysie musculaire, et le chlorure de potassium, qui arrête le cœur. Lorsque la dose de thiopental sodique n’est pas suffisante, l’effet anesthésiant peut disparaître rapidement et le condamné endure un véritable supplice lors de l’arrêt cardiaque. De plus, la paralysie l’empêche d’exprimer sa souffrance à quiconque.
Dans certaines régions des États-Unis, il est illégal d’utiliser ces produits chimiques pour mettre à mort des animaux de façon « humaine ». L’Association américaine des médecins vétérinaires considère inacceptable l’utilisation du bromure de pancuronium pour euthanasier des animaux de compagnie, et son utilisation a été interdite dans plusieurs États. Par exemple, en septembre 2003, une nouvelle loi prohibant l’usage de ce produit pour l’euthanasie des chats et des chiens est entrée en vigueur au Texas. Or, le Texas est l’État qui utilise le plus l’injection létale pour les humains (près de 400 personnes ont été exécutées par cette méthode depuis 1982).
L’injection létale permet d’éviter beaucoup des conséquences désagréables d’autres formes d’exécution : les mutilations et l’effusion de sang qui caractérisent la décapitation, l’odeur de chair brûlée propre à l’électrocution, les désagréments visuels et auditifs indissociables de la chambre à gaz et de la pendaison, ainsi que les problèmes de perte de contrôle de la vessie et des intestins. Tous ces éléments laissent à penser qu’elle est certainement moins désagréable pour ceux qui y prennent part. Cependant, l’injection létale augmente le risque que des membres des professions médicales soient amenés à tuer au nom de l’État, en violation des principes de l’éthique médicale reconnus de longue date.
Il ne faut pas se voiler la face : ceux qui s’efforcent de trouver des moyens plus « humains » d’ôter la vie aux condamnés à mort n’ont en réalité d’autre but que de rendre les exécutions plus acceptables pour ceux qui sont chargés d’y procéder, pour les gouvernements qui souhaitent se présenter sous un jour « humain » et pour le public au nom duquel ces homicides sont commis.