Le sondage réalisé par l’Institut Dedicated, Amnesty International et SOS Viol en octobre 2019, publié en mars 2020, montre que les idées reçues sur le viol persistent, et ce notamment chez les jeunes. Ces préjugés ont pourtant de graves conséquences : culpabilisation de la victime, déni de la réalité des violences sexuelles, impunité des auteurs, etc. Ils entretiennent notamment la culture du viol, un système de pensée permettant d’expliquer, d’excuser voire d’encourager le viol et étant omniprésent dans notre société.
Quels sont ces principaux stéréotypes et comment y répondre ?
1. Les pulsions sexuelles masculines sont incontrôlables ; les hommes auraient des besoins sexuels irrépressibles.
C’est le stéréotype le plus partagé par les répondant·e·s du sondage : 38 % des hommes et 43 % des femmes le pensent. L’argument de la pulsion incontrôlable est souvent avancé pour justifier certains viols. Ce stéréotype est doublement toxique. Il permet d’une part aux hommes de justifier leurs comportements sexuels insistants voire agressifs, sous couvert de besoins physiologiques, vitaux, auquel il faut absolument répondre. Il fait porter la responsabilité aux femmes d’éviter d’être attirantes pour ne pas attiser les désirs irrépressibles des hommes. D’autre part, il laisse entendre aux femmes qu’il est plus prudent de se soumettre que de risquer que l’homme perde le contrôle.
Si les pulsions sexuelles masculines étaient réellement incontrôlables, nous serions témoins ou victimes de viol constamment, en toutes circonstances. Pourtant, les hommes, à part dans des cas isolés, ne font pas l’amour en public et savent parfaitement se contenir au travail, dans la rue, ou encore en attendant le bus. Le viol n’est pas le résultat d’une pulsion, mais il est dans la plupart des cas calculé et le fruit d’une stratégie.
2. Les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent dans le domaine sexuel : « Elle dit non, mais ça veut dire oui ».
C’est ce que pensent 27 % des jeunes qui ont répondu au sondage. Un quart des jeunes pense également que quand on ne sait pas ce que l’on veut, c’est que ça veut dire qu’on est d’accord. Dans de nombreux films notamment, nous voyons des femmes dire « non » à un homme qui persiste et finit par obtenir ce qu’il veut. L’idée que les femmes disent non pour se faire désirer, ou encore pour ne pas passer pour des filles « faciles » est également très répandue. Tout ceci a pour résultat de pousser un certain nombre d’hommes à insister — voire à forcer — malgré un refus, et d’effacer la nécessité du respect du consentement. Ainsi, selon le sondage, ⅓ des jeunes pensent qu’il est normal d’insister pour avoir des relations sexuelles.
Le consentement est nécessaire à tout moment. Chacun·e a le droit de refuser un rapport ou une pratique sexuelle, quel que soit le moment, même si certaines pratiques sexuelles ont déjà commencé, et quel que soit le type de relation entretenue avec l’autre. Un « non » doit être compris comme tel, ce n’est pas un appel à la négociation.
3. Il existe un « devoir conjugal » qui oblige les membres d’un couple à avoir des relations sexuelles.
Cette question n’a pas été posée dans le sondage, mais ce stéréotype est fortement ressorti lors de l’organisation de différents ateliers avec les 15-25 ans. Dans le modèle hétérosexuel notamment, l’idée sous-jacente est que la femme appartient à l’homme et qu’elle doit être disponible pour répondre à ses « besoins » sexuels. Ce mythe du « devoir conjugal » a pour conséquence de nier l’existence du viol conjugal, ce qui est en contradiction avec le droit belge, qui interdit le viol entre époux depuis 1989.
4. Le viol a lieu dans une ruelle sombre et est commis par un inconnu.
Nous avions réalisé un sondage en 2014 qui montrait que 60 % des répondant·e·s estimaient le viol étant d’abord commis par des inconnu·e·s et des personnes rencontrées sur internet. Certains viols sont effectivement commis par des personnes inconnues et il est important de le prendre en compte, afin de ne pas le banaliser et pour apporter la meilleure réponse possible à toutes les victimes, quelles que soient les circonstances. Il est tout aussi important de mettre en lumière le fait que la majorité des viols sont commis par un·e proche. Le viol conjugal, l’inceste ou encore le viol commis par un responsable hiérarchique au sein du travail sont en effet répandus dans des proportions alarmantes et le « mythe de l’inconnu » invisibilise cette réalité.
5. La violence est excitante pour les femmes
1 homme sur 5 interrogés estime que les femmes aiment être forcées, que la violence est sexuellement excitante pour elles, contre 1 femme sur 10. Le succès planétaire d’œuvres telles que les romans et film « Cinquante nuances de Grey », mettant en scène une relation sadomasochiste, n’y est peut-être pas pour rien. L’idée qu’ « qu’on peut jouir lors d’un viol », comme l’a exprimé l’animatrice radio française Brigitte Lahaie en 2018, participe de ce stéréotype. Il est en effet possible que le corps réagisse indépendamment de la volonté de la victime et qu’un orgasme soit ressenti, mais il ne s’agit pas de « plaisir » sexuel. Dès lors que 0 % des femmes trouvent du plaisir à subir des violences sexuelles non consenties, le prétendu plaisir qu’elles auraient ne peut justifier ces violences.
6. « Mais il faut voir comment elle était habillée… »
16 % des répondant·e·s au sondage estiment que le port d’une tenue sexy ou provocante fait porter la responsabilité du viol à la victime. 85 % des répondant·e·s estiment d’ailleurs que les femmes « sexy » et « provocantes » sont parmi les plus exposées au viol. L’idée qu’une femme peut, par sa tenue, inciter un homme à la violer est l’expression de stéréotypes profondément ancrés sur la sexualité masculine et féminine. Dans les faits, des femmes sont violées ou agressées, peu importe ce qu’elles portent.
Aucun type de vêtement n’est une invitation à caractère sexuel ni un consentement implicite. Ce qu’une femme portait lorsqu’elle a été violée n’a aucun lien avec son agression. Un viol n’est jamais imputable à la victime.
7. La victime est souvent responsable de son agression.
Il n’y a pas que la manière dont les femmes s’habillent qui est incriminée lorsqu’il s’agit de montrer que la victime porte une part de responsabilité pour son viol. Selon le sondage Amnesty-SOS Viol, 43 % des répondants estiment qu’il existe des circonstances atténuantes qui peuvent « justifier » un viol, ou au moins le rendre moins condamnable. Il peut s’agir par exemple du fait que la victime a eu un « comportement provocant » (16 %) ; qu’elle n’ait pas explicitement dit « non » (14 % et ce chiffre monte jusqu’à 20 % chez les jeunes), ou encore qu’elle se soit rendue volontairement chez le violeur (12 %).
Les femmes font constamment face à des injonctions quant à leurs façons de se comporter. N’ayons pas peur de le répéter : rien ne peut justifier un viol. Ni le lieu fréquenté, peu importe qu’il soit réputé « dangereux ». Ni la consommation d’alcool et de drogue par l’agresseur ou par la victime. Ni le fait d’avoir entamé un flirt avec quelqu’un. Rien !
8. Les femmes accusent souvent à tort pour se venger, ou parce qu’elles n’assument pas une relation.
Ce mythe particulièrement persistant est fondé sur des stéréotypes sexistes (« les femmes aiment se venger ») et mène à ce que les victimes de violences sexuelles soient presque systématiquement traitées avec méfiance. Il est partagé par 39 % des hommes et 25 % des femmes qui ont répondu au sondage Amnesty-SOS Viol. En réalité, les victimes doivent faire preuve de beaucoup de courage et de force pour dénoncer une agression à la police. Une procédure pénale est souvent un énorme poids pour la victime : il n’est pas rare que l’accusé, voire l’autorité de poursuite pénale, mette en cause de façon blessante sa personne, sa réputation et sa crédibilité. L’argument du danger de fausses accusations est toujours avancé lorsqu’il s’agit de réviser le droit pénal en matière sexuelle, le plus souvent sans faire référence à aucune base empirique qui permettrait d’étayer ces affirmations.
Les victimes méritent d’être crues, elles doivent bénéficier du soutien auquel elles ont droit et les faits qu’elles dénoncent doivent faire l’objet d’une enquête approfondie.
9. Les femmes noires sont plus chaudes que les autres et consentent à des relations sexuelles plus facilement.
C’est ce que pensent 23 % des hommes et 14 % des femmes qui ont répondu au sondage Amnesty-SOS Viol. Les stéréotypes racistes ont été utilisés durant la période esclavagiste et pendant la colonisation pour minimiser et excuser les violences sexuelles perpétrées par les hommes blancs sur les femmes noires.
Les violences de genre et plus particulièrement les violences sexuelles sont le résultat des inégalités de pouvoir, c’est pourquoi elles touchent plus intensément les femmes noires qui sont à l’intersection du sexisme et du racisme. La culture du viol touche toutes les femmes, mais les stéréotypes racistes la renforcent. Les femmes noires sont souvent décrites comme sauvages, animales, envoûtantes. La misogynie et le racisme véhiculés par de tels mythes nourrissent une image fantasmée de ces femmes et cela les expose encore davantage à la violence. Ces stéréotypes encouragent des comportements toxiques masculins et ils participent à la banalisation des violences en mettant une partie de la responsabilité sur les victimes.
10. Les viols sont souvent commis par des personnes migrantes ou d’origine étrangère
Lors de notre sondage de 2014, nous avions demandé aux personnes interrogées si pour elles, certains facteurs prédisposaient une personne à commettre un viol. 52 % ont estimé que le fait d’être élevé·e dans une culture étrangère pouvait être « éventuellement » un facteur prédisposant, et 15 % que cela l’était « principalement ».
Très régulièrement, des faits divers inventés de toutes pièces mettant en scène des migrants ou des étrangers dans des affaires de viol émergent dans les médias. Cela permet de donner un visage aux violeurs en s’y détachant, en les montrant comme étrangers et extérieurs à notre « culture », alors qu’en réalité des viols sont commis quotidiennement par des hommes « lambda », des hommes blancs. De nombreuses recherches montrent que de telles fake news sont inventées par des groupes d’extrême droite et diffusées par des médias peu scrupuleux de vérifier leurs sources. Cela renforce le racisme et masque la réalité de la violence de genre en Belgique résultant des inégalités entre les hommes et les femmes.