Élections - Pour un commerce des armes respectueux des droits humains

Des obligations claires contre les ventes irresponsables

La Région wallonne est un grand producteur d’armes, en particulier d’armes légères et de petit calibre ainsi que de tourelles de tir, de munitions et de matériels permettant de fabriquer des munitions. Lorsqu’elle octroie des licences, elle est tenue de respecter le Traité sur le commerce des armes (TCA) [1], la position commune du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires [2] et le Décret wallon relatif à l’importation, à l’exportation, au transit et au transfert d’armes civiles et de produits liés à la défense [3]. Ces trois instruments imposent à la Région wallonne de s’assurer qu’elle ne met pas en danger la sécurité internationale et celle des populations civiles en vendant des armes à des États qui les utiliseraient pour commettre des violations graves du droit international humanitaire (DIH) ou du droit international des droits humains (DIDH), nuire à la stabilité régionale ou soutenir le terrorisme. Le principe de précaution s’applique : les exportations doivent être suspendues dès lors qu’il existe un risque que de telles violations soient commises.

Opacité et mépris répété pour les obligations de la Wallonie

En dépit de ses engagements internationaux et de son propre décret, la Région wallonne a continué d’exporter des armes vers des pays se rendant coupables de graves violations du DIH et du DIDH. Le cas le plus emblématique est celui de l’Arabie saoudite, pour laquelle des licences d’exportation ont encore été attribuées en début de législature alors que Riyad était à la tête d’une coalition engagée dans un conflit qui a fait de nombreuses victimes civiles au Yémen depuis 2014. Grâce à une fuite de documents, le magazine Médor a pu révéler en août 2022 que le Ministre-Président Elio Di Rupo avait autorisé des exportations à destination de l’Arabie saoudite en 2019, malgré l’avis négatif rendu par la Commission d’avis sur les licences d’exportations d’armes [4].

Vu l’opacité qui prévaut dans les pratiques du gouvernement wallon concernant les exportations d’armes, de nombreuses autres destinations font craindre que des armes wallonnes pourraient servir à commettre des violations graves du DIH et du DIDH. Pour la période correspondant à la législature 2019-2024, on peut notamment penser aux Émirats arabes unis (engagés au Yémen dans la même coalition que l’Arabie saoudite), à l’Égypte (où la société civile est durement réprimée par les autorités), à l’Indonésie (dont des militaires ont commis de nombreuses violations des droits humains en Papouasie et en Papouasie occidentale), à la Turquie (qui mène des opérations militaires en Libye, en Syrie et au Haut-Karabakh, notamment avec un avion militaire A400M comportant des composants wallons), pour ne citer que quelques pays parmi une longue liste.

Bien que certain·es responsables politiques wallon·nes prétendent régulièrement que la Wallonie appliquerait des critères plus stricts que les autres pays européens, ce qui nuirait à la compétitivité de l’industrie wallonne de l’armement, la comparaison des taux de refus des licences d’exportation ne semble pas confirmer cette affirmation. Ainsi, en 2020, le taux de refus des licences d’exportation au niveau de l’ensemble des États membres de l’Union européenne correspondait à 0,66% des licences octroyées (203 refus pour 30 604 licences octroyées). La même année, le taux de refus de licences s’élevait à seulement 0,15% en Wallonie (2 refus pour 1 332 licences octroyées), ce qui ne confirme pas l’hypothèse d’un cadre wallon plus strict.
La procédure d’octroi de licences est particulièrement opaque. Le rapport annuel de la Région wallonne est publié avec un retard qui limite fortement la capacité de la société civile d’examiner les décisions du gouvernement. Ainsi, le rapport sur les licences octroyées en 2020 n’a été publié qu’en février 2022, soit plus de deux ans après le début de la période concernée. À titre de comparaison, la Région flamande publie un rapport mensuel sur les licences qu’elle a octroyées quelques semaines seulement après la période concernée. Le contenu du rapport de la Région wallonne est par ailleurs insuffisant : on n’y trouve que les données concernant le nombre et la valeur totale des licences d’exportation accordées ainsi que leur ventilation par pays de destination et par type d’armement. Il est dès lors impossible de savoir combien d’armes sont exportées. En outre, le véritable destinataire final des exportations n’est pas toujours renseigné dans le rapport de la Région wallonne, comme lorsque c’est le Canada qui est renseigné dans le rapport comme destination de tourelles de blindés dont le destinataire final est en fait l’Arabie saoudite (après montage de ces tourelles sur des blindés au Canada).

Un contrôle insuffisant de l’action du gouvernement

Une Commission d’avis doit évaluer les risques en cas de demande de licence d’exportation vers des pays dits “très sensibles”, mais son rôle est strictement consultatif - l’enquête de Médor susmentionnée a d’ailleurs révélé que le Ministre-Président s’était permis de ne pas suivre des avis négatifs émis par la Commission dans le cas d’exportations à destination de l’Arabie saoudite. Sa composition suscite en outre des interrogations sur sa capacité à agir de manière indépendante, puisque la moitié de ses membres (3 sur 6) sont directement employé·es par des agences de la Région wallonne.

Le Parlement de Wallonie, qui devrait pouvoir contrôler et évaluer l’activité du gouvernement, est cantonné à un rôle de contrôle a posteriori, qui lui permet d’avoir accès à des rapports quadrimestriels depuis le début de la législature 2019-2024. Toutefois, malgré l’engagement pris formellement en 2019 par le gouvernement dans sa Déclaration de politique régionale (DPR), ces rapports sont souvent transmis au Parlement avec un retard important et leur contenu présente les mêmes faiblesses que le rapport publié annuellement. La situation qui prévaut actuellement confère au Ministre-Président un véritable pouvoir discrétionnaire puisqu’il est le seul et unique responsable de l’octroi ou du refus d’une licence.

Encore au sujet de la DPR adoptée par la majorité wallonne en 2019, aucune information publique ne permet de savoir si le gouvernement wallon a concrétisé son engagement d’agir “auprès du Gouvernement fédéral et auprès des instances européennes et internationales pour obtenir une décision au niveau européen sur l’arrêt des ventes d’armes aux pays qui commettent des violations graves du droit international humanitaire ou du droit international des droits humains”. De même, le gouvernement n’a pas précisé comment il avait mis en œuvre son engagement d’“agir[...] au niveau européen via le Gouvernement fédéral pour qu’il y ait dans tous les État-membres européens le strict respect de la position commune” du Conseil de l’Union européenne. Cette question revêt une importance essentielle, vu que les critères définis par le Décret wallon de 2012 sont issus directement de la position commune.

Recommandations d’Amnesty International à propos du contrôle insuffisant de l’action du gouvernement :

Après des années de pratiques irresponsables et opaques, Amnesty International plaide pour que la Wallonie :

  • applique enfin le décret entré en vigueur en 2012 et respecte les engagements que la Région wallonne s’est elle-même fixés dans ce décret ;
  • respecte ses engagements internationaux en mettant en œuvre des mécanismes transparents qui garantissent que les licences d’exportation soient uniquement octroyées à des pays qui ne commettent pas de violations graves du DIDH et du DIH et en appliquant le principe de précaution qui l’oblige à suspendre les transferts d’armes vers tous les pays où elles pourraient servir à commettre des violations graves du DIH ou du DIDH ;
  • mette fin aux exportations d’armes vers tous les pays dont les autorités sont responsables de violations importantes des droits humains, que ce soit sur le territoire de leur pays ou à l’étranger ;
  • assure une plus grande transparence concernant les exportations d’armes qui sont autorisées par le gouvernement, afin de permettre un meilleur contrôle de celles-ci par le Parlement et la société civile. Ceci passe notamment par une publication plus fréquente des rapports du gouvernement, qui devraient par ailleurs comporter des informations plus précises sur la nature des exportations autorisées et sur le destinataire final des armes exportées et sur les renouvellements de licences octroyées précédemment ;
  • renforce l’accès à l’information et le pouvoir de contrôle du Parlement de Wallonie. Cela pourrait être fait en confiant un rôle plus important à la sous-commission de contrôle des licences d’armes du Parlement ;
  • modifie la composition de la Commission d’avis de manière à assurer son indépendance par rapport aux autorités wallonnes ;
  • agisse de manière à faire de la Belgique un leader sur le plan européen et mondial pour la suspension des ventes d’armes aux pays qui commettent des violations graves du droit international humanitaire ou du droit international des droits humains.
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