Amnesty International pleure le décès de Kellu Haruna

Kellu Haruna, militante des droits humains, est décédée mercredi 16 octobre à Maiduguri dans l’État de Borno au Nigeria. Netsanet Belay, directeur du travail de plaidoyer et de recherche à Amnesty International, lui rend hommage :

Ce mercredi 16 octobre, j’ai été bouleversé d’apprendre la mort de Kellu Haruna. Nous avons perdu une femme incroyable, une partenaire très précieuse qui était à la tête du mouvement Knifar dans le nord-est du Nigeria. Il s’agit d’un groupe comprenant plus de 2000 femmes déplacées qui luttent pour que leurs maris soient libérés des camps militaires de détention.

Ce mouvement rassemble des épouses, des mères, des filles et des sœurs d’hommes qui ont disparu ou qui ont été tués par l’armée nigériane. La plupart d’entre elles sont aussi des « rescapées » de la tristement célèbre caserne militaire de Giwa, où elles ont été longtemps détenues. Elles vivent dans différents camps pour personnes déplacées avec leurs propres enfants et avec des enfants d’autres personnes.

Alors qu’ils sont légion au Nigeria à avoir choisi de garder le silence, il faut souligner le courage de ces milliers de femmes qui se sont organisées et qui ont osé parler pour exiger des réponses sur ce qui est advenu de leurs proches et pour obtenir justice pour les crimes qu’ils ont subis. Nous avons traversé ce périple avec elles, nous les avons soutenues depuis le début et il faut maintenant compter avec cette force.

Kellu Haruna était à la tête de ce mouvement. Croyant fortement en la solidarité et la justice, elle a toujours fait le maximum pour aller au-devant de nouveaux membres et pour rassembler des informations sur les hommes disparus. Elle a réussi à attirer l’attention sur leur situation en écrivant à l’Assemblée nationale, en témoignant devant la commission d’enquête présidentielle, en se rendant à la Commission nationale des droits de l’homme et en rencontrant la procureure de la CPI.

Kellu Haruna était originaire d’Andarra, un village dans la zone de gouvernement local de Bama. Elle a survécu en 2015 au régime de Boko Haram, tout comme son mari Haruna Modu et leurs quatre enfants. Ils sont partis au Cameroun où ils ont été arrêtés par l’armée camerounaise puis livrés à l’armée nigériane.

Mais sa vie et ses combats en disent beaucoup plus sur elle. Une femme ayant vécu la tragédie de partir sans avoir obtenu justice, une femme de courage au milieu du désespoir, une voix qui portait loin sans avoir encore été entendue.

Après avoir été séparée de son mari, Kellu et ses enfants ont été transférés dans le camp Hôpital de Bama où ils ont tous beaucoup souffert. Il n’y avait pas assez à manger, et son fils et sa mère sont morts. Gravement sous-alimentée, elle a été transférée à Maiduguri en juin 2016. C’est peu après qu’elle s’est engagée dans son combat pour la justice. Son charisme a contribué à ce que beaucoup de femmes rejoignent le mouvement Knifar.

Kellu a eu des complications d’une maladie de cœur, liées sans doute aux années de souffrance qu’elle a endurées. En effet, elle a dû partir de chez elle, elle a souffert de malnutrition grave et a perdu son mari qui reste toujours disparu.

Je me souviens du jour où je l’ai rencontrée à Abuja en novembre 2017. J’étais venu témoigner devant la commission d’enquête présidentielle qui avait été mise en place par le gouvernement surtout suite aux différentes informations que nous avions rendues publiques ensemble faisant état des crimes commis par l’armée. Elle avait voyagé avec des dizaines d’autres victimes depuis Maiduguri pour nous voir, et aussi dans l’espoir de se faire entendre. Sa voix, son regard, sa douleur sont toujours si vivants dans ma mémoire. Cela restera pour moi un de ces rares moments qui changent une vie. Le fait d’être témoin d’un tel courage et d’une telle résilience, lesquels sont impossibles à concevoir humainement parlant. Je pleure en écrivant ces mots, me sentant découragé.

Kellu est décédée quelques jours après que Fatou Bensouda, la procureure de la CPI, s’est rendue à Abuja pour rencontrer des responsables du gouvernement. Kellu l’avait rencontrée lors d’une précédente visite à Abuja. Elle l’avait regardée dans les yeux en lui disant qu’ils avaient besoin de justice et de réponses tout de suite et non demain.

Fatou Bensouda est venue cette fois-ci sans préciser ce que la CPI avait l’intention de faire. Nous avons réagi avec la plus grande fermeté, demandant à la CPI de ne plus attendre. Nous lui avons aussi indiqué que le gouvernement du Nigeria n’est volontairement pas en mesure de traduire en justice les personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes. Nous sommes toujours en quête de réponses, mais pour Kellu et pour beaucoup d’autres, il est déjà trop tard. Kellu Haruna était une femme et une militante courageuse qui est morte avant d’avoir atteint les objectifs pour lesquels elle s’était battue.

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