L’experte de l’ONU s’est rendue en Égypte du 24 septembre au 3 octobre 2018 ; il s’agit de la première visite en Égypte d’un expert en droits humains de l’ONU depuis près de 10 ans.
Les rapporteurs spéciaux sur le droit à un logement convenable et sur la situation des défenseurs des droits de l’homme ont publié une déclaration conjointe, dans laquelle ils ont qualifié ces attaques de « pratique inquiétante à titre de représailles contre des personnes et des communautés directement liée à la visite de la rapporteuse spéciale sur le droit au logement ».
Selon des témoins, plusieurs personnes ayant rencontré l’équipe de la rapporteuse spéciale ou lui ayant fourni des informations ont été victimes de représailles : plusieurs maisons ont été démolies, un homme a été placé en détention au secret pendant deux jours, des personnes ont été convoquées au poste de police pour interrogatoire et un avocat a été visé par une interdiction de voyager.
Ces informations récentes s’inscrivent dans le cadre d’une pratique systématique mise en œuvre par les autorités égyptiennes consistant à attaquer ou mener d’autres formes de représailles contre les personnes qui tentent d’évoquer avec des mécanismes de l’ONU les violations des droits humains imputables aux autorités égyptiennes ou de leur fournir des informations. Les forces de sécurité égyptiennes ont également imposé des restrictions aux déplacements de la rapporteuse spéciale en Égypte.
« Limiter le travail d’une délégation de l’ONU après l’avoir invitée officiellement à se rendre dans le pays et mener des actes de représailles contre les personnes qui ont coopéré avec cette délégation illustre la politique du gouvernement égyptien vis-à-vis des droits humains : des actes de façade visant à masquer une répression sans précédent de la société civile », ont déclaré les organisations.
Lors de sa visite, la rapporteuse spéciale s’est rendue dans plusieurs quartiers du Caire afin d’enquêter sur le droit à un logement convenable, mais elle n’a pas reçu l’autorisation de se rendre sur l’île de Warraq, à Gizeh, où les habitants risquent d’être expulsés de force. À Manshiyet Naser, quartier de l’ouest du Caire connu pour ses conditions de logement insalubres, où les autorités procèdent à des expulsions forcées, des habitants et des avocats du secteur ont confirmé que des policiers ont arrêté un homme qui avait rencontré la rapporteuse spéciale quelques jours auparavant. Il a été détenu au secret pendant deux jours, avant d’être libéré sans inculpation.
En outre, le 22 octobre, les autorités ont démoli plusieurs logements du quartier ; dans au moins un cas, le propriétaire avait rencontré la rapporteuse spéciale. Les médias égyptiens ont également relaté ces démolitions, y compris le journal pro-gouvernemental al-Youm7, qui a publié des photos des opérations.
Nous saluons les mesures prises par l’ONU face à la campagne de répression brutale et systématique menée par le gouvernement égyptien, notamment ses récentes déclarations qui dénoncent avec fermeté les condamnations à mort collectives prononcées contre des citoyens ayant participé aux manifestations en Égypte, ainsi que l’appel lancé par un grand nombre d’experts indépendants de l’ONU pour demander au Conseil des droits de l’homme de « réagir de toute urgence » au comportement « consternant » du gouvernement.
Selon les organisations, l’Égypte semble vouloir se servir de l’ONU pour redorer son bilan déplorable en matière de droits humains, en acceptant les visites de quelques experts triés sur le volet, notamment les experts sur le droit à un logement convenable et sur les droits des personnes atteintes d’albinisme et l’expert indépendant sur la dette étrangère.
Au lieu d’œuvrer à améliorer son bilan en termes de droits humains et à mettre un terme aux violations de ces droits, la seule réponse du gouvernement égyptien à l’ONU sur ce sujet consiste à nier toute erreur de conduite et à accuser le Haut-Commissaire aux droits de l’homme et d’autres représentants de l’ONU d’avoir enfreint les normes de l’ONU et adopté les « mensonges » des organisations « terroristes ».
Ces événements s’inscrivent dans le contexte d’une campagne de répression de grande ampleur que mène le gouvernement afin d’écraser la société civile et les organisations indépendantes en usant d’actes d’intimidation, d’arrestations arbitraires, de poursuites iniques et d’interdictions de voyager, entre autres mesures abusives. Les attaques visant ceux qui ont collaboré avec la rapporteuse spéciale sur le droit à un logement convenable et les restrictions imposées à son équipe lors de sa visite constituent une attaque directe contre le système de l’ONU lui-même et un exemple flagrant de l’absence de coopération avec les mécanismes des droits humains de l’ONU. Cela risque d’établir un dangereux précédent, les autorités se servant de la visite d’un expert de l’ONU pour cibler et harceler les citoyens qui dénoncent des violations des droits humains, y compris en commettant de nouvelles violations.
À la lumière de cette situation très inquiétante, les organisations signataires invitent l’ONU à prendre rapidement des mesures afin de remédier à ces attaques, notamment :
- Le Comité de coordination des procédures spéciales et tous les titulaires de mandat des procédures spéciales de l’ONU doivent veiller à ce que les prochaines visites en Égypte s’accompagnent d’une action suffisante et crédible du gouvernement égyptien permettant de garantir le respect des mandats pour les visites pays, notamment : (a) permettre des contacts confidentiels et privés avec les témoins et d’autres personnes ; (b) faire en sorte que ceux qui coopèrent ou souhaitent coopérer avec l’ONU ne soient pas victimes de représailles ; et (c) en cas de représailles, veiller à ce qu’elles soient dûment prises en compte, notamment en menant des investigations crédibles, approfondies et indépendantes sur les allégations et, le cas échéant, en fournissant des réparations adéquates aux victimes des représailles recensées par l’ONU ces dernières années. Si les autorités égyptiennes ne mettent pas en œuvre ces mesures, le Comité de coordination doit recommander la suspension de toute visite en Égypte.
- Le Bureau du secrétaire général, représenté par le sous-secrétaire général aux droits de l’homme, doit mener une enquête indépendante sur les allégations de représailles commises dans le cadre de la visite de la rapporteuse spéciale sur le droit à un logement convenable. Il doit adresser un rapport sur ces attaques aux organes de l’ONU concernés, notamment à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme, et recommander aux mécanismes de l’ONU et aux autorités égyptiennes des mesures visant à remédier à ces représailles et à empêcher leur répétition à l’avenir.
- Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) doit examiner toute coopération avec le gouvernement égyptien à la lumière des informations nombreuses et crédibles faisant état de représailles commises par ce gouvernement contre les personnes qui coopèrent avec le mécanisme des droits humains de l’ONU. Le HCDH doit veiller, dans le cadre d’une prochaine coopération, à ce que le gouvernement égyptien s’engage de manière claire et avec un calendrier précis à mener des investigations crédibles, approfondies, impartiales et indépendantes sur les allégations de représailles et, le cas échéant, à fournir des réparations adéquates aux victimes.
- Le président du Conseil des droits de l’homme doit prendre en compte les allégations de représailles, notamment en dialoguant directement avec les autorités égyptiennes, conformément aux bonnes pratiques des présidents du Conseil.
- Les États membres de l’ONU doivent lancer une action au sein du Conseil des droits de l’homme afin de remédier à ces représailles et de faire en sorte que l’Égypte assume ses responsabilités en tant qu’État membre de l’ONU, et en tant que membre actuel du Conseil des droits de l’homme, tout en rappelant que les membres sont tenus de respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits humains et de coopérer pleinement avec le Conseil (GA RES 60/251).
1 Il est essentiel que l’ONU et ses États membres apportent une réponse urgente et ferme au niveau de l’ensemble des mécanismes de l’ONU afin de faire face à la situation critique de la société civile en Égypte, s’agissant notamment des attaques du gouvernement menées à titre de représailles contre ceux qui ont rencontré la rapporteuse spéciale sur le droit à un logement convenable, ont déclaré les organisations. L’inaction ne ferait qu’encourager des violations des droits humains analogues à l’avenir et risquerait de saper l’accessibilité et la crédibilité des experts de l’ONU et du système des droits humains en général.
Les organisations signataires sont :
Amnesty International
Institut du Caire pour les études des droits de l’homme (CIHRS)
Committee for Justice
Human Rights Watch
Service international pour les droits de l’homme
The Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights