Le 15 août, le ministère de l’Intérieur a annoncé [1] que les visites familiales reprendraient dans les prisons le 22 août, après une suspension de cinq mois due au COVID-19. Toutefois, Amnesty International craint que les personnes détenues dans le cadre d’affaires à caractère politique ne bénéficient pas de cette mesure.
Le ministère de l’Intérieur a publié [2] les numéros de téléphone de 44 prisons à travers l’Égypte, mais a exclu certains établissements parmi les plus tristement célèbres, notamment la prison n°1 de haute sécurité de Tora (aussi appelée Al Aqrab) et la prison n°2 de haute sécurité de Tora, toutes deux faisant partie du complexe carcéral de Tora, où défenseur·e·s des droits humains, militant·e·s politiques et autres dissident·e·s sont incarcérés pour des accusations factices liées au terrorisme. D’après les proches des personnes détenues dans ces deux prisons, lorsqu’ils ont contacté le département pénitentiaire du ministère de l’Intérieur à la suite de l’annonce ou se sont rendus au complexe carcéral de Tora, les fonctionnaires ont affirmé qu’ils n’étaient pas au courant des ordres concernant la reprise des visites familiales dans les prisons n°1 et n°2 de haute sécurité de Tora.
« La décision de reprendre les visites offre un peu de répit aux familles qui vivent dans l’angoisse depuis des mois, et sont peu ou pas informées de l’état de santé et de l’état général de leurs proches. Leurs craintes sont avivées par les renseignements concernant la propagation du COVID-19 dans les prisons égyptiennes, notoirement surpeuplées et insalubres, dans un contexte de rétention d’informations, a déclaré Lynn Maalouf, directrice par intérim de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International.
« Cependant, Amnesty International craint que certains détenus inculpés d’accusations infondées de " terrorisme ", notamment des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des militant·e·s politiques, ne soient exclus des possibilités de visites. En effet, par le passé, de nombreuses personnes détenues dans le cadre d’affaires à caractère politique ont été privées de visites et de contacts avec le monde extérieur, pendant des mois voire des années, bien avant la pandémie. Les autorités doivent s’acquitter de leurs obligations nationales et internationales, afin de respecter le droit des prisonniers de communiquer avec le monde extérieur. »
La privation de visites familiales et de contacts avec le monde extérieur est antérieure à la crise du COVID-19. Pendant des années, de très nombreux détenu·e·s, notamment des opposant·e·s politiques, des détracteurs et des avocat·e·s spécialisés dans les droits humains, n’ont pas été autorisés à contacter leurs proches ou leurs avocat·e·s. Hoda Abdelmoniem, avocate spécialiste des droits humains âgée de 61 ans, détenue arbitrairement à la prison pour femmes d’al Qanater, n’a pas pu recevoir une seule visite depuis son arrestation le 1er novembre 2018, d’après sa famille. Il semble que ce genre de restrictions discriminatoires aient pour but de punir les détenu·e·s en raison de leurs convictions politiques ou de l’exercice pacifique de leurs droits.
Les visites familiales ayant été suspendues en mars 2020, l’administration pénitentiaire a également empêché certaines personnes liées à des affaires politiques d’échanger des courriers avec leurs proches.
Par ailleurs, les autorités doivent respecter les règlements des prisons qui prévoient des appels bimensuels pour les détenus. L’absence de communication téléphonique affecte particulièrement les détenus issus des milieux les plus pauvres ou enfermés dans des prisons éloignées de chez eux, car leurs proches ne peuvent pas se permettre des trajets longs et coûteux.
« Nous demandons aux autorités de veiller à ce que tous les détenu·e·s puissent contacter leurs proches par téléphone, gratuitement, et à ce que tous, quelles que soient les charges retenues contre eux, puissent recevoir régulièrement la visite de leurs proches, sans discrimination », a déclaré Lynn Maalouf.
Par ailleurs, la reprise des visites sera soumise à diverses restrictions. Les visites doivent être fixées à l’avance et chaque détenu pourra recevoir un seul visiteur par mois, pendant 20 minutes.
Selon les autorités, restreindre les visites des familles est nécessaire pour protéger la santé publique. Elles se montrent toutefois réticentes à prendre des mesures propices à réduire la surpopulation, notamment en ce qui concerne les prisonniers détenus dans le cadre d’affaires à caractère politique.
Amnesty International demande une nouvelle fois aux autorités égyptiennes de libérer immédiatement et sans condition tous les militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains détenus uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Elles doivent aussi envisager de libérer les mineur·e·s, les personnes placées en détention avant leur procès et celles qui sont particulièrement vulnérables à la maladie, notamment celles qui souffrent de pathologies antérieures ou sont âgées, en vue de réduire la population carcérale et de prévenir la propagation. Une autre option consiste à adopter des mesures non privatives de liberté pour les personnes accusées d’infractions non violentes.
Complément d’information
L’annonce de la reprise des visites familiales intervient quelques jours après la mort en détention, le 13 août 2020, d’Essam el Erian, ancien vice-président du Parti de la liberté et de la justice, parti dissous lié aux Frères musulmans. Depuis la suspension des visites en mars 2020, les autorités de l’aile Mazra de la prison de Tora n’avaient pas permis à ses proches de le contacter par téléphone ni d’échanger des courriers.
Si les autorités ont assuré avoir pris des mesures actives pour limiter la propagation du COVID-19 dans les lieux de détention, les organisations de défense des droits humains ont signalé [3] des décès de prisonniers et de gardiens dans des prisons et des postes de police, semble-t-il du fait de complications liées au COVID-19. Le manque criant d’informations dû à la suspension des visites des familles, la volonté de faire taire les critiques sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement et la censure opérée par les autorités carcérales sur les lettres contenant des informations relatives au COVID-19 dans les prisons sont source d’une grande angoisse pour les familles maintenues dans l’ignorance quant à la santé et au bien-être de leurs proches dans le contexte de la pandémie.