Amnesty International a noté que la CEDH ne s’est pas conformée aux cadres et aux normes établis en matière de droits humains lorsqu’elle a enquêté sur les allégations de violations, laissant planer des doutes sur ses méthodes et ses conclusions, une injustice pour les nombreuses victimes de violations des droits humains qui se retrouvent privées d’un accès à des recours utiles.
« Notre analyse montre que la Commission ne remplit pas son rôle tandis que le pays tente de rompre avec un passé répressif. Elle doit être réformée dans le droit fil des normes internationales et des meilleures pratiques afin d’apporter son soutien et de contribuer au calendrier des droits humains du nouveau gouvernement », a déclaré Joan Nyanyuki, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et les Grands lacs.
Lors de l’examen de sept rapports publics de la CEDH, Amnesty International a constaté des lacunes flagrantes au niveau des méthodes utilisées pour enquêter sur les allégations de violations des droits humains et d’exactions. Elle a analysé deux rapports sur la situation des droits humains lors des manifestations dans les États régionaux d’Oromia et d’Amhara, présentés au Parlement, quatre rapports d’enquête sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements en détention commandés par la Haute Cour fédérale et une déclaration au Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur les conditions carcérales dans le pays.
Amnesty International a constaté qu’au lieu d’enquêter scrupuleusement et de dévoiler les atteintes aux droits humains possiblement imputables aux forces de sécurité, la CEDH avait tendance à rejeter la faute sur d’autres acteurs, notamment les partis d’opposition et le Parlement, ou même les victimes.
« En raison de préjugés éhontés à l’égard des victimes et de l’attitude méprisante vis-à-vis de leurs plaintes, les rapports de la CEDH sur les homicides de manifestants et les conditions carcérales ont manqué l’occasion de réparer les torts causés aux victimes et de redresser la barre pour chacun dans le pays », a déclaré Joan Nyanyuki.
En réaction aux conclusions d’Amnesty International, un porte-parole du Parlement fédéral d’Éthiopie, la Chambre des Représentants du peuple, a confirmé la détermination du nouveau gouvernement à réformer la CEDH afin de « construire l’état de droit et le respect de la dignité humaine ». Ils ont également confirmé que la Commission était mandatée pour rendre compte et publier ses conclusions sans solliciter l’accord du Parlement.
Pointer du doigt n’importe quel responsable
En analysant les deux rapports sur les homicides de manifestants dans les États d’Oromia et d’Amhara publiés en 2016 et 2017, Amnesty International a noté une tendance déroutante à discréditer les manifestations et à les qualifier de « troubles » ou de « chaos et émeutes », s’écartant nettement des obligations et des engagements du gouvernement en termes de droits humains.
Dans son rapport de 2016 remis au Parlement, la CEDH rejetait la faute sur les organisateurs des manifestations dont les noms n’ont pas été divulgués, une chanson populaire et les réseaux sociaux, pour la mort de 462 manifestants dans l’État d’Oromia entre 2015 et 2016.
Voici un extrait du rapport de la CEDH :
« […] les organisateurs et les coordinateurs des troubles ont utilisé tous les moyens disponibles leur permettant d’infliger des pertes en vies humaines et des dégâts matériels importants… Par exemple, dans le but de propager les troubles d’un district à l’autre et de répéter le degré de cruauté, les organisateurs ont passé la chanson du FLO [Front de libération oromo], intitulée Master Plan, via divers moyens, tels que les téléphones portables, les radios des voitures et des motos, et ont utilisé les médias et les réseaux sociaux, notamment l’Oromo Media Network (OMN). »
Ce rapport attribue également la mort de manifestants à des causes « inconnues » :
« Quarante-deux (42) personnes ont été tuées par des balles tirées par des armes à feu dérobées par des individus non identifiés, lors de tentatives visant à s’emparer des armes des membres des forces de sécurité, et par des balles tirées par des auteurs inconnus pendant les troubles. »
Amnesty International a constaté que la CEDH se servait souvent de ces « conclusions » non étayées pour justifier l’usage de la force meurtrière par les forces de sécurité contre les manifestants.
« Il n’est pas acceptable que dans le cadre de ses investigations la CEDH passe aussi rapidement sur le fait que des personnes ont été tuées ou grièvement blessées alors qu’elles exerçaient leurs droits fondamentaux. La Commission n’a pas mis en œuvre son mandat prévu par la loi afin de soulager leurs souffrances », a déclaré Joan Nyanyuki.
Des occasions manquées
En 2017, la Haute Cour fédérale d’Éthiopie a ordonné à la CEDH d’enquêter sur les nombreuses allégations de torture et d’autres mauvais traitements dans les prisons. Les enquêteurs ont signalé avoir vu des cicatrices et d’autres marques sur le corps des plaignants, sans établir qu’elles résultaient d’actes de torture et de mauvais traitements. Ils ont fait valoir que la police aurait dû fournir des éléments médicolégaux au lieu de solliciter l’opinion d’un expert médical indépendant. Même lorsqu’elle s’est rendue sur les sites où auraient été infligés des actes de torture et des mauvais traitements, la CEDH n’a pas recueilli de rapports médicaux ni d’autres éléments de preuve.
« Il est décourageant de lire les rapports et de voir qu’aucun effort n’a été fait pour inclure le recueil d’éléments médicaux ou médicolégaux dans les investigations et qu’aucune explication n’est fournie pour cette omission. Un rapport remettait même en cause la crédibilité des plaignants au motif qu’ils n’avaient pas fourni de preuves médicales attestant d’actes de torture et d’autres mauvais traitements », a déclaré Joan Nyanyuki.
En 2013, dans une déclaration au Conseil des droits de l’homme, la CEDH a ignoré les graves préoccupations précédemment mentionnées par cet organisme de l’ONU et d’autres, au sujet de la torture et des mauvais traitements infligés dans les prisons éthiopiennes, préférant rendre compte de l’état très dégradé des établissements pénitentiaires dans le pays.
Le temps est venu de réformer
« Les autorités doivent traduire leur engagement en actes et réformer la CEDH, pour en faire une institution indépendante et impartiale, à la hauteur de sa mission qui consiste à apporter son soutien et contribuer aux réformes des droits humains en cours en Éthiopie », a déclaré Joan Nyanyuki.
Amnesty International recommande que la Commission soit restructurée en une institution chargée de promouvoir le respect pour les droits humains. La Chambre des Représentants du peuple doit revoir la proclamation portant création de la CEDH, afin de garantir un processus transparent, inclusif et neutre de nomination du responsable de la Commission, de son adjoint et des membres de la Commission, et de renforcer les dispositions relatives à l’application de ses recommandations.
« De son côté, le gouvernement éthiopien doit enquêter sur les manquements passés de la CEDH et garantir la non-répétition, afin de catalyser son évolution vers une véritable institution des droits humains capable de promouvoir le respect de ces droits dans le pays », a déclaré Joan Nyanyuki.