Ces décisions du Conseil d’État, rendues le vendredi 22 septembre 2017, surviennent alors qu’Amnesty International publie de nouvelles informations sur les renvois illégaux de Turquie en Syrie.
Celles-ci révèlent que les réfugiés et les demandeurs d’asile en Turquie ont plus de risques d’être renvoyés dans leur pays d’origine depuis le début de l’état d’urgence instauré en 2016.
« Ces décisions de justice créent un précédent inquiétant pour de nombreux autres demandeurs d’asile qui ont fui les conflits et les persécutions et sont actuellement bloqués sur les îles grecques. Les réfugiés syriens qui sont actuellement en détention à la suite du rejet de leurs recours sont particulièrement menacés », a déclaré John Dalhuisen, directeur d’Amnesty International pour l’Europe.
« Ces décisions bafouent un principe très clair : la Grèce et l’Union européenne ne doivent pas renvoyer de demandeurs d’asile ni de réfugiés dans un pays où ils ne peuvent pas bénéficier d’une protection efficace. »
Si les requérants, « Noori », étudiant infirmier de 21 ans, et « Afaaz », sont expulsés, ils seront les premiers demandeurs d’asile renvoyés officiellement en Turquie par la Grèce au motif que la Turquie est un pays sûr depuis l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie.
Les réfugiés syriens bénéficient d’une protection temporaire en Turquie, mais beaucoup vivent dans une extrême pauvreté. La Turquie est le pays au monde qui a accueilli le plus de réfugiés syriens, mais les garanties contre le renvoi de réfugiés et de demandeurs d’asile dans des pays où ils risquent des violations des droits humains et des violences, comme la torture, voire la mort, ont été considérablement réduites sous l’état d’urgence.
De graves préoccupations entourent également le traitement réservé à ceux qui sont renvoyés en Turquie aux termes de l’accord UE-Turquie. Dans une lettre confidentielle divulguée en décembre 2016, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) notait avoir rencontré des obstacles pour suivre la situation des Syriens renvoyés en Turquie depuis la Grèce, ne s’étant pas vu accorder un libre accès aux centres de détention turcs où les ressortissants syriens expulsés par la Grèce sont transférés à leur arrivée.
« Aujourd’hui, pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie, la Grèce a pris délibérément, au nom de l’ensemble de l’UE, la décision d’envoyer deux réfugiés dans un pays qui a déjà du mal à satisfaire les besoins élémentaires de presque trois millions d’autres réfugiés », a déclaré John Dalhuisen.
« Tant que la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés ne sera pas véritablement garantie en Turquie, les pays de l’UE doivent cesser de les envoyer dans ce pays. »
Complément d’information
Le Conseil d’État a jugé raisonnables les décisions des commissions d’appel estimant que la Turquie était un « pays tiers sûr » pour les deux requérants.
Il a également décidé, à une faible majorité de 13 voix contre 12, de ne pas saisir la Cour de justice de l’Union européenne de ces deux affaires afin qu’elle détermine si la Turquie pouvait être considérée comme un « pays tiers sûr »
Les modifications apportées en Turquie à la Loi sur les étrangers et la protection internationale au titre de l’état d’urgence instauré après la tentative de coup d’État augmentent le risque de renvoi forcé en supprimant le caractère suspensif des recours contre les expulsions.
Des recherches menées par Amnesty International avant la tentative de coup d’État avaient déjà démontré que la Turquie ne pouvait pas être considérée comme un pays sûr pour les réfugiés et les demandeurs d’asile.
Les demandeurs d’asile non syriens n’y ont pas accès à des procédures équitables et efficaces de détermination de leur statut et n’y ont pas de possibilité satisfaisante ou raisonnablement rapide d’intégration ni de réinstallation.
Noori (prénom d’emprunt) a dû arrêter ses études d’infirmier lorsque l’hôpital où il était stagiaire a été bombardé dans le cadre de la guerre en Syrie. En avril 2015, son village a été frappé et il a vu mourir sous ses yeux deux familles de son voisinage. Le fils d’une de ces familles était un de ses amis proches. Noori a passé la frontière avec la Turquie le 9 juin 2016.
Il a raconté à Amnesty International que, lors de ses deux premières tentatives pour entrer en Turquie, il avait été appréhendé et roué de coups par des gendarmes turcs, avant d’être renvoyé en Syrie. La troisième fois, le groupe dans lequel il se trouvait a été attaqué par un groupe armé et 11 de ses compagnons de route ont été tués. Noori est resté pendant un mois et demi en Turquie, où il a été attaqué à deux reprises par des trafiquants et des voleurs.
Sa demande d’asile en Grèce a été déclarée irrecevable par le service d’asile grec, qui a estimé que la Turquie était un pays sûr pour lui. Cette décision a été confirmée par l’une des nouvelles commissions d’appel. Le jeune homme a contesté la décision de la commission d’appel devant le Conseil d’État en septembre 2016 et, mi-février 2017, l’une des chambres de cette juridiction a renvoyé le dossier devant son assemblée plénière en raison de l’importance des questions soulevées dans cette requête.
Le 10 mars, l’assemblée plénière a examiné la requête de Noori et celles d’un autre demandeur d’asile syrien et de deux ONG grecques de défense des réfugiés. Elle devait décider si la Turquie était un « pays tiers sûr » pour les deux demandeurs d’asile et statuer sur la constitutionnalité de la composition des nouvelles commissions d’appel.