Irak, deux projets de loi menacent les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique

Irak, deux projets de loi menacent les droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique

Le gouvernement irakien a présenté à nouveau deux projets de loi qui, s’ils étaient adoptés par le Parlement, limiteraient gravement les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique de la population en Irak, ont déclaré Amnesty International et le Réseau irakien pour les médias sociaux (INSM) mardi 18 juillet.

La nouvelle présentation de ces textes coïncide avec une série de procès visant des personnes critiques à l’égard de figures du gouvernement, ainsi qu’avec une campagne [1] de lutte contre les « contenus indécents » sur Internet menée par le ministère de l’Intérieur. Entre janvier et juin 2023, les autorités ont jugé au moins 20 personnes qui n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leur droit fondamental à la liberté d’expression. Six personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement mais ont été libérées depuis.

« Je ne peux plus me moquer d’un parti, ni de l’État, ni d’une personnalité... ni même de l’état des routes, de l’eau, des écoles ou des ponts. Pourquoi ? Parce que tout cela appartient aux partis politiques. »

« Cette nouvelle tentative des autorités irakiennes pour réprimer la liberté d’expression révèle leur mépris flagrant à l’égard des sacrifices extraordinaires faits par la population au cours du soulèvement de 2019 pour obtenir plus de liberté. Le gouvernement irakien doit immédiatement retirer ces projets de loi répressifs et le Parlement ne doit adopter aucun texte qui restreindrait indûment les droits humains des Irakiens et des Irakiennes, a déclaré Bissan Fakih, chargé de campagne régional pour l’Irak et le Yémen à Amnesty International.

« Le peuple d’Irak a le droit de critiquer ses responsables politiques et religieux et de manifester pacifiquement sans crainte d’être condamné à des peines d’emprisonnement et de lourdes amendes. Ces droits sont particulièrement importants au moment où des citoyen·ne·s cherchent à amener des représentant·e·s de l’État à rendre des comptes à la suite des allégations de corruption systémique et de violations des droits humains. »

Le projet de Loi sur la liberté d’expression et de réunion pacifique permettrait aux autorités, sous couvert d’une loi adoptée démocratiquement, de poursuivre arbitrairement toute personne qui ferait des commentaires publics portant atteinte aux « bonnes mœurs » ou à « l’ordre public ». Aux termes du projet de Loi sur la cybercriminalité, par ailleurs, les personnes diffusant sur Internet des contenus considérés selon une définition vague comme susceptibles de nuire aux « intérêts économiques, politiques, militaires ou sécuritaires supérieurs » du pays encourraient une peine pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité et une amende de 50 millions de dinars irakiens (environ 38 000 dollars des États-Unis).

« Le peuple d’Irak a le droit de critiquer ses responsables politiques et religieux et de manifester pacifiquement sans crainte d’être condamné à des peines d’emprisonnement et de lourdes amendes. Ces droits sont particulièrement importants au moment où des citoyen·ne·s cherchent à amener des représentant·e·s de l’État à rendre des comptes à la suite des allégations de corruption systémique et de violations des droits humains. »

Lors d’entrevues avec une délégation d’Amnesty International à Bagdad en mai, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s ont exprimé leur crainte que ces textes ne donnent aux autorités les moyens de réprimer encore davantage la dissidence pacifique. Les réformes envisagées suscitent une vive inquiétude en raison de la récente série de procès liés à la liberté d’expression.

Le journaliste Haidar al Hamdani est actuellement jugé à la suite d’une plainte pour diffamation déposée contre lui par le gouverneur de Bassora, qu’il a accusé de corruption dans une vidéo publiée sur Facebook, où plus d’un million de personnes le suivent.

Un humoriste irakien poursuivi par un tribunal dans le cadre de la campagne contre les « contenus indécents » a déclaré à Amnesty International : « Je ne peux plus me moquer d’un parti, ni de l’État, ni d’une personnalité... ni même de l’état des routes, de l’eau, des écoles ou des ponts. Pourquoi ? Parce que tout cela appartient aux partis politiques. »

Réduction de la liberté d’expression et de réunion pacifique

Le 9 mai 2023, le Parlement a examiné en deuxième lecture le projet de Loi sur la liberté d’expression et de réunion pacifique [2] et Mohammed al Halbousi, le président du Parlement, pourrait demander un vote général sur ce texte d’un moment à l’autre.

Des amendements aux deux projets de loi sont discutés en privé par les parlementaires, selon des personnes ayant participé aux discussions qui ont vu des propositions de reformulation dans les documents soumis. Néanmoins, ces amendements n’ont pas été rendus publics et on ignore si le texte des projets de loi sera partagé avec le public avant un éventuel vote.

Hayder Hamzoz, directeur exécutif de l’INSM, a déclaré : « Il est inacceptable qu’aujourd’hui en Irak nous subissions un manque d’accès à l’information sur des projets de loi en cours d’examen par le Parlement. L’accès à l’information est un droit humain essentiel et l’une des clés de l’état de droit, car il donne aux citoyen·ne·s le pouvoir d’agir et leur permet de participer réellement à la vie politique et à la lutte contre la corruption. »

Le projet de loi relatif à la liberté d’expression interdit de porter atteinte « aux religions, aux convictions religieuses et aux sectes ». Les personnes reconnues coupables d’« insulte publique à un rituel, à un symbole ou à une personne qui constitue un objet de sanctification, de culte ou de vénération d’une secte religieuse » risquent jusqu’à 10 ans de prison et une amende maximale de 10 millions de dinars irakiens (environ 7.600 dollars des États-Unis).

Étant donné que des figures religieuses jouent un rôle de premier plan dans les principaux partis politiques du pays, le fait d’interdire de les critiquer limiterait gravement l’exercice du droit à la liberté d’expression. Selon le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), les restrictions qu’un État partie impose à l’exercice de la liberté d’expression ne peuvent pas compromettre ce droit lui-même. Le rapport entre le droit et la restriction et entre la norme et l’exception ne doit pas être inversé.

Le même projet de loi permettrait aux autorités d’interdire tout rassemblement si leur autorisation n’a pas été obtenue au moins cinq jours à l’avance. Le texte ne précise pas sur quels critères les autorités autoriseraient ou interdiraient les manifestations, ce qui leur donnerait de fait le pouvoir de toutes les interdire.

Dans son Observation générale n° 37 [3] sur le droit de réunion pacifique (article 21 du PIDCP), le Comité des droits de l’homme des Nations unies a souligné : « Devoir demander l’autorisation des autorités met à mal le principe selon lequel le droit de réunion pacifique est un droit fondamental », et « lorsqu’un régime d’autorisation continue d’exister dans le droit interne, il doit, dans la pratique, fonctionner comme un système de notification et l’autorisation doit être accordée automatiquement dès lors qu’aucune raison impérieuse ne s’y oppose. »

En Irak, les manifestant·e·s sont déjà confrontés à la répression des organes de sécurité et ce risque augmente lorsque les autorités considèrent une manifestation comme « non autorisée », car elles recourent régulièrement à la force pour disperser ce type de rassemblements. Amnesty International a révélé précédemment que, au cours des manifestations antigouvernementales qui se sont déroulées à travers le pays en 2019, au moins 600 manifestant·e·s ont été tués et des milliers d’autres ont été blessés après que les forces de sécurité ont employé une force meurtrière.

Surveillance de la liberté d’expression en ligne

Le gouvernement a de nouveau présenté au Parlement le projet de Loi sur la cybercriminalité en novembre 2022. Aux termes de ce texte formulé en termes vagues, toute personne reconnue coupable d’avoir « attisé les tensions ou les querelles interconfessionnelles » ou d’avoir « nui à l’indépendance, l’unité et la sécurité du pays ou à ses intérêts économiques, politiques, militaires ou sécuritaires supérieurs » encourrait une peine pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité et une amende de 50 millions de dinars irakiens (environ 38 000 dollars des États-Unis).

« En avril 2023, le gouvernement irakien a réaffirmé [4] sa promesse à Amnesty International de garantir les liberté publiques, mais ses actions au Parlement ne sont pas à la hauteur », a déclaré Bissan Fakih.

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