Irak, Tirs mortels de snipers visant des manifestants

  • Les manifestants antigouvernementaux affirment être la cible de snipers et de tirs à balles réelles
  • Les autorités harcèlent et intimident des militants pacifiques et des journalistes
  • Le bilan s’élève à 150 victimes alors que l’Irak entre dans une deuxième semaine de manifestations

Les forces de sécurité irakiennes recourent de plus en plus à une force excessive et meurtrière contre les manifestants antigouvernementaux, ce qui doit faire l’objet d’une enquête digne de ce nom, a déclaré Amnesty International après avoir interrogé huit témoins qui ont vu des manifestants tomber sous les tirs des snipers.

Amnesty International s’est entretenue avec huit militants, manifestants et journalistes de Bagdad, Najaf et Diwaniya, qui ont tous raconté que les forces de sécurité ont usé d’une force excessive, y compris en tirant à balles réelles, pour disperser les manifestants. Elle a également vérifié et géolocalisé des vidéos témoignant d’une pratique de tirs qui est cohérente avec des tirs de snipers et interrogé des témoins à Bagdad qui ont corroboré les détails précis de ces attaques. Depuis, elle a recueilli de nouveaux témoignages décrivant la sinistre campagne de harcèlement, d’intimidation et d’arrestations menée par les autorités irakiennes contre des militants pacifiques, des journalistes et des manifestants.

« Le recours par les autorités irakiennes à une force excessive et meurtrière contre les manifestants à Bagdad et dans d’autres villes ne doit pas être balayé sous le tapis. Les Irakiens paient le prix fort simplement pour pouvoir exercer leur droit à la liberté de réunion pacifique, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Les autorités doivent tenir sans plus attendre leur promesse de diligenter une enquête. Cette promesse sonne déjà creux, les manifestants continuant d’être harcelés et menacés dans le but de les réduire au silence, en plus d’être pourchassés et tués dans les rues. Elles doivent donc s’engager à amener les responsables présumés de ces crimes à rendre des comptes. »

Tirer pour tuer

Un manifestant de Bagdad a raconté qu’un sniper présumé a visé un manifestant et a ensuite tiré sur les manifestants qui tentaient de lui venir en aide.

« Un manifestant a été touché par le sniper. Cinq autres se sont alors précipités vers lui pour lui venir en aide et ils ont été abattus l’un après l’autre. La rue était jonchée de cadavres. Tous avaient reçu des balles à la tête et à la poitrine », a-t-il raconté.

Amnesty International a vérifié des vidéos qui concordent avec le lieu et le récit des événements livré par les témoins. Cependant, elle n’a pas pu établir l’identité ni l’affiliation des snipers.

« Un manifestant a été touché par le sniper. Cinq autres se sont alors précipités vers lui pour lui venir en aide et ils ont été abattus l’un après l’autre. La rue était jonchée de cadavres. Tous avaient reçu des balles à la tête et à la poitrine »

Le 6 octobre, les autorités irakiennes ont désigné des « snipers anonymes » comme étant responsables de l’homicide des manifestants, mais des témoins ont objecté que les tirs de snipers provenaient de derrière la ligne des forces de sécurité. Dans tous les cas de tirs de snipers signalés, les forces de sécurité n’ont semble-t-il pas protégé les manifestants, la police n’est pas intervenue et n’a pas arrêté les auteurs des tirs. Il incombe pourtant au gouvernement de protéger les citoyens qui exercent pacifiquement leur droit à la liberté de réunion.

Un manifestant a déclaré à Amnesty International : « Comment le gouvernement peut-il prétendre ignorer l’identité du sniper ? Et si les forces de sécurité ne le savaient pas, une fois qu’elles l’ont compris, pourquoi n’ont-elles pas averti les manifestants ? Elles étaient trop occupées à s’assurer que personne n’aiderait les blessés. »

D’après des manifestants, dans un quartier de Bagdad, les forces de sécurité ont empêché les manifestants blessés de se rendre dans les hôpitaux voisins et ont arrêté ceux qui sont parvenus jusqu’à l’hôpital dans la nuit du mercredi 2 octobre.

Dans la capitale, des témoins ont aussi décrit de probables tirs de snipers lors des manifestations qui ont eu lieu entre le jeudi 3 octobre et le dimanche 6 octobre. Ils ont également signalé que des hommes armés ont ouvert le feu sur les manifestants et ont conduit dans leur direction comme s’ils allaient les écraser. À Bagdad, selon des témoins, les forces de sécurité ont encerclé les manifestants dans le quartier de Zafaraniya et leur ont tiré dessus à balles réelles en continu.

Une campagne d’intimidation

Les journalistes et les militants qui se sont entretenus avec Amnesty International affirment qu’ils ont reçu des appels téléphoniques de menaces et des avertissements indirects des forces de sécurité leur enjoignant de « se taire » et que leurs noms ont été inscrits sur « une liste » établie par les services de renseignement en raison de leur « soutien » aux manifestants. Les journalistes sont accusés de publier de fausses informations quant à l’usage excessif de la force par les forces de sécurité.

Un manifestant de Bagdad a déclaré : « Toute personne qui se sert de son portable pour passer un appel, prendre des photos de violations des droits humains lors des manifestations ou les relayer, se trouve en danger. »

D’après des témoins à Bagdad, Diwaniya et Najaf, les forces de sécurité ont procédé à des centaines d’arrestations arbitraires, pourchassant souvent les manifestants dans les ruelles adjacentes, dans le chaos de la foule qui fuyait les gaz lacrymogènes et les balles réelles.

Par ailleurs, l’accès à Internet et aux réseaux sociaux a été bloqué dans la soirée du mardi 8 octobre, après une levée provisoire dimanche 6 octobre au soir. L’accès à Internet a été débloqué brièvement le 9 octobre, mais reste limité, tandis que l’accès aux plateformes de réseaux sociaux demeure bloqué.

Les militants ont expliqué qu’ils réclament un changement de gouvernement parce qu’ils ne croient plus aux promesses du gouvernement en place, qu’ils accusent d’ignorer les protestations depuis des années.

« Nous manifestons depuis 2008 et rien ne change. Aujourd’hui, nous ne voulons pas que les partis politiques nous représentent ou nous dirigent dans le cadre de ces manifestations, car sans eux nous sommes forts et crédibles. Nous avons soutenu le gouvernement contre Daesh [groupe armé se désignant sous le nom d’État Islamique] et lorsqu’ils libéraient des quartiers, nous leur avons apporté notre appui. Nous avons patienté, mais quelle est l’excuse aujourd’hui ? Ils promettent des chiffres, des emplois, des réformes et tout ce que nous obtenons, c’est toujours la même chose : corruption et népotisme », a déclaré à Amnesty International un manifestant de Bagad.

Les 6 et 9 octobre, en réponse aux manifestations, le gouvernement irakien a fait une série de promesses, notamment la construction de logements, le versement de prestations de sécurité sociale aux familles dans le besoin et d’allocations aux chômeurs, une aide économique pour lutter contre la pauvreté et des indemnisations aux familles des personnes tuées lors des manifestations.

« Ces promesses ne seront pas tenues si les Irakiens continuent d’être réduits au silence par la menace, arrêtés et tués dans les rues. Les autorités irakiennes doivent respecter le droit des citoyens de s’exprimer et de se rassembler sans craindre de représailles. Elles doivent libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé sans violence leur droit de manifester et de s’exprimer librement, et doivent s’engager à amener à rendre des comptes les membres des forces de sécurité qui se livrent à des actes d’intimidation et recourent à une force excessive, y compris en traduisant en justice les auteurs de blessures et d’homicides illégaux », a déclaré Lynn Maalouf.

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