Index AI : MDE 15/032/2005
DÉCLARATION PUBLIQUE
Dimanche 22 mai 2005,
Messieurs les membres de la Knesset,
Nous vous adressons cette lettre afin de vous exhorter à rejeter la proposition visant à modifier la Loi sur la nationalité et l’entrée en Israël (Suspension temporaire) de 2003, proposition approuvée par le Cabinet le 15 mai 2005. En outre, nous vous prions instamment de demander que cette loi ne soit pas prorogée au-delà de sa date d’expiration, fixée au 25 mai. En effet, cette loi discriminatoire dénie de manière explicite les droits de la famille en se fondant sur le critère de la nationalité. Tandis que la majorité des citoyens israéliens jouissent du droit au regroupement familial avec leurs conjoints non-israéliens, les Israéliens mariés à des Palestiniens des Territoires occupés en sont privés. Les citoyens palestiniens d’Israël, qui représentent 20 p. cent de la population, sont les principales victimes de cette loi discriminatoire puisque, dans l’immense majorité des cas, ce sont eux qui épousent des Palestiniens des Territoires occupés.
Promulguée à l’origine en juillet 2003, cette loi a fait suite à la suspension des demandes de regroupement familial entre Israéliens et Palestiniens des Territoires occupés, mesure qu’avait adoptée le gouvernement en mai 2002. Elle interdit d’accorder le statut de résidents ou de citoyens aux Palestiniens des Territoires occupés qui sont mariés à des citoyens israéliens ou à des résidents permanents (c’est-à-dire à des résidents palestiniens de Jérusalem-Est). Plutôt que d’aligner la loi sur les normes internationales relatives aux droits humains et sur les Lois fondamentales israéliennes, la dernière modification et prorogation proposée autorise des exceptions fondées sur l’âge et le genre. Elle permet aux Palestiniennes de plus de vingt-cinq ans et aux Palestiniens de plus de trente-cinq ans de solliciter un regroupement familial avec leurs conjoints israéliens. Ces critères arbitraires ne s’appliquent qu’à un petit pourcentage des couples, la plupart se mariant plus jeunes.
En outre, l’État d’Israël peut annuler toute demande déposée par des personnes remplissant ces critères s’il considère qu’un membre de leur famille élargie ou de leur belle-famille constitue un risque en matière de sécurité. Il n’est pas tenu d’informer les demandeurs de la nature des allégations portées contre leurs proches ni de leur permettre de contester ces allégations.
Le gouvernement d’Israël doit veiller à ce que les mesures visant à garantir la sécurité soient conformes aux normes internationales relatives aux droits humains - notamment au principe de non-discrimination - et qu’elles s’appliquent à titre individuel, et non à des personnes n’étant pas elles-mêmes considérées comme une véritable menace pour la sécurité.
Au cours des trois dernières années, la loi sur le regroupement familial entre Israéliens et Palestiniens des Territoires occupés a porté atteinte aux droits de dizaines de milliers de personnes. Tout en s’abstenant d’enregistrer toute nouvelle demande de regroupement familial de ce type, Israël a suspendu l’examen des demandes déposées avant l’adoption de cette loi - ce qui a remis en cause la possibilité pour les couples qui le faisaient déjà de continuer à vivre ensemble en Israël et a contraint d’autres couples à vivre séparés.
Avant la suspension de mai 2002, l’octroi du statut de résident permanent et de citoyen aux Palestiniens des Territoires occupés mariés à des Israéliens relevait déjà du parcours du combattant. Selon les organisations israéliennes de défense des droits humains, une fois la demande déposée, il fallait en moyenne cinq ans au ministère israélien de l’Intérieur pour l’accepter ou la rejeter. Le demandeur passait alors cinq autres années sous divers statuts avant de se voir accorder la résidence permanente ou la nationalité.
Cette loi a engendré une situation intolérable où les citoyens israéliens et les résidents permanents doivent choisir entre vivre dans leur pays sans leur conjoint ou quitter leur pays pour le rejoindre. Même ceux qui choisissent de quitter Israël pour s’installer avec leur conjoint dans les Territoires occupés se heurtent à nombre d’obstacles juridiques. Ainsi, les résidents palestiniens de Jérusalem-Est risquent fort de perdre leur statut de résident permanent. D’autre part, les citoyens israéliens ne sont pas autorisés à pénétrer en zone A (principales agglomérations palestiniennes que définissent les accords d’Oslo) ; s’ils veulent vivre avec leur conjoint dans les Territoires occupés, ils sont donc contraints d’enfreindre la législation israélienne. Lorsque les conjoints originaires des Territoires occupés vivent illégalement en Israël, avec leur conjoint israélien et leurs enfants, bien souvent, ils ne peuvent sortir de chez eux par crainte d’être arrêtés et renvoyés.
Tandis que les responsables du gouvernement israélien invoquent régulièrement des raisons de sécurité pour justifier cette loi, elle semble surtout répondre à des préoccupations démographiques. Comme l’a publié le quotidien Haaretz, le Premier ministre Ariel Sharon a déclaré le 4 avril 2005 au cours d’une réunion dédiée au débat sur cette loi : « Nous n’avons pas besoin de nous cacher derrière des arguments sécuritaires. Nous avons besoin qu’existe un État juif. » Au cours de cette même réunion, le ministre des Finances Binyamin Netanyahou a indiqué : « Au lieu de faciliter le processus pour les Palestiniens désireux d’obtenir la nationalité, nous devrions le rendre bien plus difficile, afin de garantir la sécurité d’Israël et une majorité juive en Israël. » [1]
Au titre du droit international relatif aux droits humains, Israël est notamment tenu de respecter l’interdiction absolue de discrimination, définie dans les articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’article 1 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant et l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Israël a ratifié tous ces instruments et se doit de respecter leurs dispositions. En vertu du PIDCP, ratifié en 1991, même « [d]ans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation », Israël n’est pas autorisé à prendre des mesures qui entraîneraient « une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale ».
D’autre part, Israël est tenu de protéger la famille en tant qu’élément fondamental de la société, et notamment la formation des familles. Ces obligations sont énoncées dans l’article 10 du PIDESC, l’article 23 du PIDCP et les articles 7 à 10 de la Convention relative aux droits de l’enfant. D’après le commentaire officiel du Comité des droits de l’homme des Nations unies, chargé de surveiller la mise en œuvre du PIDCP par les États, le droit international relatif aux droits humains « reconnaît que la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État ». En outre, « [l]e droit de fonder une famille implique [...] la possibilité [...] de vivre ensemble. [...] De même, la possibilité de vivre ensemble implique l’adoption de mesures appropriées, [...] pour assurer l’unité ou la réunification des familles, notamment lorsque la séparation de leurs membres tient à des raisons politiques, économiques, ou du même ordre ». (Observation générale 19).
Lorsque la proposition de modification de la Loi sur la nationalité et l’entrée en Israël (Suspension temporaire) vous sera présentée, nous vous prions instamment de la rejeter et de demander que cette loi discriminatoire ne soit pas prorogée - sous sa forme actuelle ou modifiée. Au contraire, nous vous invitons à envisager toutes les mesures susceptibles d’accélérer la réunification de milliers de familles qui vivent séparées depuis plusieurs années.
Nous vous prions d’agréer, Messieurs les membres de la Knesset, l’expression de notre haute considération.
Sarah Leah Whitson
Directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord
Human Rights Watch
Malcolm Smart
Directeur adjoint du Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord
Amnesty International
Federico Andreu-Guzman
Secrétaire général adjoint
Commission internationale de juristes (CIJ)
Copies adressées à :
M. Menahem Mazuz, procureur général ;
M. Ophir Pines-Paz, ministre de l’Intérieur ;
Mme Tzipi Livni, ministre de la Justice.
Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service de presse d’Amnesty International à Londres, au 02 543 79 04, ou consulter les sites http://www.amnestyinternational.be ou http://www.amnesty.org.