Le 5 octobre, le lendemain des élections législatives du 4 octobre, un grand nombre de manifestant·e·s largement pacifiques sont descendus dans les rues à Bichkek et plus tard à Talas, Naryn et Osh pour protester contre ce qu’ils considéraient comme des élections truquées. Les manifestations étaient largement pacifiques, mais des affrontements ont éclaté lorsque des policiers ont tenté de disperser la foule en utilisant canons à eau, balles en caoutchouc, gaz lacrymogènes et grenades incapacitantes. Un manifestant est mort (la cause exacte du décès n’est pas clair) et le ministère de la Santé a relaté dans un communiqué de presse que les hôpitaux avaient soigné 686 personnes blessées. Plusieurs journalistes ont aussi été blessés [1].
Au 6 octobre, le Comité pour la protection des journalistes avait recensé six cas d’agressions et d’ingérence dans le travail de journalistes. Le 4 octobre, deux hommes non identifiés ont agressé une équipe de tournage du site d’informations indépendant Kloop, dans la ville d’Osh, dans le sud du pays. L’équipe était semble-t-il en train de filmer un bureau de vote lorsqu’un inconnu a tenté de prendre le téléphone avec lequel ils filmaient. Le 5 octobre, Aibol Kozhomuratov, reporter à Current Time, aurait été délibérément pris pour cible par les forces spéciales de police, qui lui ont tiré une balle en caoutchouc directement dessus. La scène a été filmée par un reporter du site d’informations Kloop. Le 6 octobre, un agent des forces de l’ordre a confisqué le téléphone de Ruslan Kharizov, correspondant du site Internet d’informations indépendant 24.kg [2], alors qu’il diffusait en direct dans le centre de Bichkek [3].
Le 8 octobre, le ministre de la Santé a exprimé son inquiétude concernant le fait que les services de santé d’urgence ont été la cible d’attaques durant la manifestation et que des manifestant·e·s se sont emparés d’ambulances. Il a aussi déploré que les mesures visant à prévenir la propagation du COVID-19 ne soient pas respectées et averti que le nombre de cas était en hausse. Au cours de la nuit du 5 au 6 octobre, des groupes de manifestant·e·s ont pris le contrôle du siège du Parlement et de la principale chaîne de télévision et, peu après, la police se serait retirée des rues de la ville. Le Premier ministre, le président du Parlement et plusieurs responsables ont par la suite démissionné, tandis que le président Sooronbay Jeenbekov est resté à son poste malgré les demandes de démission ou de mise en accusation. Depuis le 6 octobre, divers groupes, dont au moins deux comités de coordination autoproclamés, ont déclaré qu’ils contrôlaient la situation. Pour prêter main forte aux agents des forces de l’ordre, des Patrouilles de citoyens volontaires (DND - Dobrovolnye Narodnye Druzhiny) ont été mises en place. La plupart de ces volontaires sont des personnes concernées qui étaient très actives pour apporter leur aide durant la première vague de la pandémie de COVID-19 au Kirghizistan, en juillet et en août.
Les autorités au Kirghizistan doivent faire respecter les droits de tous de manifester pacifiquement et veiller à ce que les responsables de l’application des lois respectent et protègent le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, en respectant pleinement les normes internationales inscrites dans le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois. Les autorités sont tenues de veiller à ce que les responsables de l’application des lois soient dûment formés et à ce qu’un système robuste d’obligation de rendre des comptes pour toutes les violations qu’ils commettent soit en place. Les groupes non étatiques ne doivent pas bafouer les droits humains. Dès que possible, toutes les allégations d’usage illégal de la force par des agents des forces de l’ordre et de violence par des acteurs non étatiques doivent faire l’objet d’investigations.
Complément d’information
De nombreuses voix se sont élevées dans le pays pour contester les résultats des élections du 4 octobre au Kirghizistan, provoquant des manifestations de grande ampleur et le 6 octobre, le responsable de la Commission électorale centrale a annoncé l’annulation des résultats.
Au fil des ans, la police au Kirghizistan a été maintes fois critiquée par des observateurs des droits humains pour sa réaction brutale face à des rassemblements pacifiques ou majoritairement pacifiques. Le maintien de l’ordre ne doit avoir recours à la force que dans les cas d’absolue nécessité et en respectant le principe de proportionnalité, et il ne faut utiliser que la force minimum nécessaire pour atteindre l’objectif fixé. Les canons à eau et les gaz lacrymogènes ne sont adaptés qu’en réponse à une violence généralisée et ne doivent jamais être utilisés pour disperser un rassemblement pacifique. Les balles en caoutchouc ne devraient jamais être utilisées à des fins de dispersion et doivent viser uniquement des personnes qui se livrent à des violences contre autrui.
Dans la nuit du 5 octobre, des groupes de manifestant·e·s ont saisi la « Maison-Blanche » qui sert de Parlement, ainsi que de bureau du président. Ils ont également libéré un certain nombre de prisonniers, dont Almazbek Atambayev, ancien président du Kirghizistan, condamné à 11 ans et deux mois de prison pour des accusations de corruption au mois de juin.
Le Kirghizistan a été très durement touché par la pandémie de COVID-19 en juillet et en août, et le système de santé sous-financé a eu bien du mal à faire face au nombre de cas. Actuellement, le nombre de nouveaux cas de COVID-19 diagnostiqués par jour est de nouveau en hausse et a atteint 245 le 8 octobre, alors qu’il n’y en avait que 53 le 13 septembre [4].