Une audience concernant la demande de libération sous caution de Wasantha Mudalige a été fixée au 17 janvier 2023 devant le tribunal de première instance de Hulftsdrop. Au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme, le tribunal n’accorde généralement pas la libération sous caution [3] si le ministère de la Justice, qui agit au nom du gouvernement, s’y oppose.
La détention de Wasantha Mudalige intervient dans le contexte des mesures de répression [4] mises en place par le gouvernement sri lankais depuis les manifestations majoritairement pacifiques organisées en réaction à une crise économique en 2022 pour demander une réforme de la gouvernance, ainsi que des actions contre la corruption présumée du pouvoir. Le gouvernement a réagi en conférant de vastes pouvoirs à la police et à l’armée, qui ont fait usage d’une force injustifiée et excessive [5] pour disperser des manifestations et arrêter des centaines de personnes, y compris de nombreux étudiant·e·s.
La plupart des personnes détenues ont été libérées sous caution depuis. Cependant, les autorités ont utilisé des pouvoirs extraordinaires conférés par la Loi relative à la prévention du terrorisme pour maintenir Wasantha Mudalige en détention, même si elles n’ont pu produire aucun élément prouvant son implication dans des « activités terroristes ». En tant qu’organisateur de l’Inter University Students’ Federation, il avait joué un rôle important dans les manifestations. Il est détenu à l’isolement et dans de mauvaises conditions la majorité du temps, ce qui peut constituer une violation de l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements, en vertu du droit international relatif aux droits humains.
En décembre, Wasantha Mudalige a dû être hospitalisé [6] en raison de difficultés respiratoires. Sa famille et son avocat se sont dits préoccupés pour sa sécurité et sa santé en détention. Le 4 octobre, la Commission des droits humains du Sri Lanka a rendu un avis demandant à la police de protéger sa sécurité en détention.
La Loi relative à la prévention du terrorisme [7] permet la détention d’une personne durant un an sans inculpation, sur ordre du ministre de la Défense, qui est actuellement le président Ranil Wickremesinghe. Depuis que cette loi a été instaurée comme « mesure temporaire » en 1979, elle a été particulièrement utilisée pour prendre pour cible des membres des communautés tamoule et musulmane, et pour étouffer les voix dissidentes, notamment celles de journalistes et de défenseur·e·s des droits humains. Les Nations unies [8] et des organisations de défense des droits humains ont dénoncé à maintes reprises l’utilisation de la Loi relative à la prévention du terrorisme pour permettre des détentions arbitraires prolongées et des tortures et autres formes de mauvais traitements.
Les gouvernements successifs, y compris l’administration actuelle, se sont à plusieurs reprises engagés à abroger la Loi relative à la prévention du terrorisme et à la remplacer par une législation respectueuse des droits humains - notamment très récemment devant l’Union européenne en octobre [9]. Cependant, le gouvernement continue à utiliser cette loi pour bafouer les droits humains, piétinant ses propres engagements nationaux et internationaux.
Le 18 août, les autorités ont arrêté Wasantha Mudalige [10] avec 19 autres personnes durant une manifestation à Colombo, que la police a violemment dispersée en usant d’une force excessive. Deux autres personnes arrêtées ce jour-là ont également été détenues au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme, mais ont été depuis libérées sans inculpation. Des centaines de personnes ont été arrêtées au titre de la législation pénale ordinaire pour des infractions qu’elles auraient commis pendant les manifestations de 2022, par exemple pour des dégradations de biens publics, et ont été également libérées sous caution.
Durant les trois premiers mois de sa détention, Wasantha Mudalige a été transféré entre deux centres de détention gérés par le Département des enquêtes sur le terrorisme de la police. L’un de ces centres est une prison abandonnée et délabrée, inadaptée à la détention. Wasantha Mudalige et d’autres détenus ont été maintenus en détention à l’isolement, dans des cellules exiguës sans accès à la lumière du jour ni aux installations de base, notamment aux sanitaires. Détenir des personnes dans de telles conditions est une violation de l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants aux termes du droit international. Des détenus ont eu des problèmes de santé, qui seraient dus aux conditions de détention et au manque de soins.
L’utilisation abusive de la législation antiterroriste pour placer en détention un étudiant militant impliqué dans une manifestation non violente a un effet paralysant sur le droit aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, selon les organisations. Le président Ranil Wickremesinghe a qualifié de « terroristes » et de « fascistes » les manifestant·e·s antigouvernementaux, et a menacé [11] de renouveler l’état d’urgence et de redéployer l’armée si de nouvelles manifestations venaient à être organisées dans le contexte de la crise économique actuelle. Les autorités ont continué [12] à poursuivre d’autres militant·e·s soupçonnés d’avoir participé aux manifestations de 2022.
Le 14 décembre, Wasantha Mudalige a été conduit devant un magistrat [13]. Le magistrat a imposé au procureur général de présenter des éléments de preuve contre Wasantha Mudalige lors de la prochaine audience, prévue pour le 17 janvier, ou bien de lui accorder la libération sous caution. Le 5 janvier, la police a conduit Wasantha Mudalige devant un magistrat et a présenté de nouvelles charges [14] contre lui concernant des infractions pénales de droit commun, liées à d’autres manifestations auxquelles il aurait participé en 2022.
Par le passé, les autorités avaient déjà pris Wasantha Mudalige pour cible en raison de son activité militante. Le 3 août 2021, il avait été arrêté et détenu pendant plus de trois mois après avoir manifesté pour le droit à une éducation gratuite. Treize organisations de défense des droits humains avaient publié un appel [15] contre sa détention.
Les organisations ont déclaré que les autorités sri lankaises devaient immédiatement instaurer un moratoire sur l’utilisation de la Loi relative à la prévention du terrorisme et l’abroger au plus vite. Les autorités doivent réexaminer immédiatement la situation des personnes détenues au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme, en garantissant des audiences équitables de libération sous caution. Elles doivent également libérer l’ensemble des manifestant·e·s faisant l’objet d’inculpations non conformes aux normes internationales.
Le gouvernement du Sri Lanka doit pleinement respecter le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Signataires :
- Amnesty International
- Forum asiatique pour les droits de l’homme et le développement (FORUM-ASIA)
- CIVICUS
- Frontline Defenders
- Human Rights Watch
- Groupe de travail international sur le Sri Lanka
- Sri Lanka Campaign for Peace and Justice