Le 16 novembre, des agents de la Direction générale de la sûreté ont perquisitionné l’appartement de Nada Homsi sans ordonnance judiciaire et y ont trouvé une petite quantité de cannabis, a déclaré Diala Chehade, son avocate. Elle a indiqué que les agents ont alors appelé le procureur, qui a décerné un mandat d’arrêt à l’encontre de Nada Homsi et de son compagnon. Ils ont saisi ses équipements électroniques et d’autres documents. Alors que le procureur a ordonné sa libération le 25 novembre, la Direction générale de la sûreté a émis un arrêté d’expulsion à son encontre et la maintient en détention arbitraire.
« Les agents de la Direction générale de la sûreté ont fait une descente dans l’appartement de Nada Homsi sans présenter d’ordonnance judiciaire, et ont aussi bafoué ses droits en détention en la privant de la possibilité de consulter un avocat, a déclaré Aya Majzoub [1], chercheuse sur le Liban à Human Rights Watch. Le refus de la Direction générale de la sûreté de libérer Nada Homsi en dépit de l’ordre du procureur est un abus de pouvoir flagrant et témoigne de manière inquiétante du manque de respect de cet organe de sécurité pour l’état de droit. »
Nada Homsi est une journaliste américaine indépendante qui travaille pour plusieurs organes de presse arabes et internationaux, notamment dernièrement pour la Radio publique nationale (NPR), basée aux États-Unis.
« Le refus de la Direction générale de la sûreté de libérer Nada Homsi en dépit de l’ordre du procureur est un abus de pouvoir flagrant »
On ignore toujours pourquoi une descente a été menée à son domicile, mais les agents de la Direction générale de la sûreté ont déclaré à Diala Chehade que cette perquisition était basée sur des renseignements de sécurité recueillis par leur Unité d’information. Les agents continuent d’insister sur le fait que Nada Homsi est détenue « pour des raisons de sécurité », mais ils n’ont fourni aucun détail à Diala Chehade lui permettant de préparer une défense. Nada Homsi n’est inculpée d’aucun chef d’accusation lié à la sécurité ou à l’armée, mais de consommation de stupéfiants.
Les agents de la Direction générale de la sûreté n’ont pas autorisé Nada Homsi à contacter sa famille ni un avocat pendant six jours suivant son arrestation. Ils l’ont aussi interrogée sans la présence d’un avocat, en violation de l’article 47 du Code de procédure pénale [2]. Lorsqu’elle a fait valoir son droit de consulter un avocat, on lui a rétorqué que « ces droits ne s’appliquent pas à la Direction générale de la sûreté », a indiqué Diala Chehade. Après son interrogatoire, les agents lui ont fait signer un procès-verbal sans qu’elle puisse le lire. Aux termes du droit libanais, une personne peut être détenue sans inculpation pendant 96 heures maximum, avant d’être relâchée si aucune poursuite n’est engagée.
Diala Chehade a déposé une demande de libération au nom de sa cliente le 25 novembre et le procureur de Beyrouth a ordonné sa libération ce même jour. Toutefois, la Direction générale de la sûreté a maintenu Nada Homsi en détention sous prétexte qu’elle travaillait dans le pays sans permis de travail valide et a émis un arrêté d’expulsion à son encontre il y a environ deux semaines, a déclaré Diala Chehade.
« La Direction générale de la sûreté doit libérer immédiatement Nada Homsi et lui permettre de contester dûment son expulsion devant un tribunal compétent, indépendant et crédible »
Au titre de la loi libanaise relative aux stupéfiants [3], une personne accusée de consommation de drogue doit être transférée devant un « comité d’addiction » spécialisé pour être soignée et, si elle accepte le traitement, les poursuites intentées à son encontre doivent être abandonnées. Le 25 juin 2018, le procureur de la cour de Cassation de l’époque, Samir Hammoud, a publié une circulaire interdisant la détention provisoire des personnes accusées de consommer des stupéfiants. Diala Chehade a confirmé à Human Rights Watch et Amnesty International que Nada Homsi n’a pas dépassé la durée de son visa, à savoir trois mois.
« La Direction générale de la sûreté doit libérer immédiatement Nada Homsi et lui permettre de contester dûment son expulsion devant un tribunal compétent, indépendant et crédible, a déclaré Diala Haidar, chargée de campagne sur le Liban à Amnesty International. Elle ne doit pas détenir des personnes en raison de leur situation au regard de la législation sur l’immigration et doit identifier rapidement les membres au sein de sa structure qui auraient bafoué les droits à une procédure légale de Nada Homsi, en vue de les amener à rendre des comptes. »
Le 1er décembre, Amnesty International et Human Rights Watch ont adressé une lettre au chef de la Direction générale de la sûreté, le major général Abbas Ibrahim, lui demandant de libérer Nada Homsi et d’enquêter sur la conduite de ses subordonnés. Elles n’ont pas reçu de réponse.
Human Rights Watch et Amnesty International ont fréquemment recensé des violations [4] de la procédure régulière au moment de l’arrestation et de l’interrogatoire, et constaté que l’obligation de rendre des comptes pour de tels abus n’est pas mise en œuvre.
Au Liban, les journalistes et les militant·e·s sont de plus en plus la cible d’attaques imputables à des acteurs étatiques et non-étatiques
Au Liban, les journalistes et les militant·e·s sont de plus en plus la cible d’attaques [5] imputables à des acteurs étatiques et non-étatiques. Selon le Centre SKeyes pour la liberté de la presse et de la culture (SKeyes), un organisme de surveillance de la liberté des médias et de la presse à Beyrouth, plus de 100 professionnel·les des médias ont été agressés par des acteurs non-étatiques entre le début du soulèvement en octobre 2019 et novembre 2021.
Les organes étatiques contribuent également à la répression visant les journalistes. Les organes de sécurité agressent régulièrement des journalistes qui font leur travail, notamment lorsqu’ils couvrent des manifestations. Pourtant, au lieu d’amener les responsables à rendre des comptes, les autorités libanaises se servent de la large compétence des tribunaux militaires pour réduire au silence et sanctionner toute dissidence ou critique pacifique visant les agences chargées de la sécurité.
Le 26 novembre, le tribunal militaire a condamné le journaliste Radwan Murtada, reporter à Al Akhbar, à 13 mois de prison [6] pour avoir soi-disant insulté l’armée. Le 24 novembre, le tribunal militaire a convoqué [7] la comédienne et militante Shaden Fakih pour répondre des accusations d’insulte et atteinte à la réputation des Forces de sécurité intérieure (FSI).