Mali, Des frappes de drone ont tué 13 civils dont sept enfants à Amasrakad

Amasrakad (région de Gao)
  • Des civils cherchant un abri ont été visés par une attaque de drone, tuant 13 personnes
  • Parmi les victimes figurent six frères et sœurs et leur mère

Deux frappes de drone effectuées de nuit par l’armée malienne le 17 mars ont tué au moins 13 civils, dont sept enfants âgés de 2 à 17 ans, à Amasrakad, dans la région de Gao, et ont fait plus d’une dizaine de blessés, selon des témoignages recueillis par Amnesty International.

Dans un communiqué publié par l’armée malienne, les frappes sont décrites comme « ayant contribué à neutraliser de nombreux terroristes et certains de leurs véhicules ». Mais cette affirmation est réfutée par les sept survivants et témoins avec lesquels Amnesty International s’est entretenu. Après une première frappe qui a touché une Toyota Hilux, une seconde a frappé un abri de fortune fragile où des habitants avaient trouvé refuge, tuant neuf personnes sur le coup.

Elghas*, qui a perdu plusieurs membres de sa famille lors de la deuxième frappe, a déclaré à Amnesty International : 

« Je n’ai pas entendu la première frappe. Je dormais encore, mais les habitants de ma maison s’étaient précipités chez une famille voisine pour se protéger. C’est ensuite que l’un de mes fils est revenu me réveiller et m’a parlé de la voiture qui avait été visée par la première frappe. Je l’ai suivi jusqu’à l’autre concession où les gens s’étaient réfugiés. La deuxième frappe a eu lieu lorsque j’ai atteint l’entrée de l’enceinte. Je me suis figé et je voyais les flammes autour de l’abri. Il m’a fallu un certain temps pour entrer dans la concession et me diriger vers les victimes. Ma femme et six de mes enfants s’y trouvaient et ils ont tous été tués par la frappe. Les autres victimes étaient des amis et des connaissances qui cherchaient simplement à se protéger dans cette maison. »

« Il est inadmissible que des familles entières soient tuées par des frappes de drones, sans que les responsables aient à rendre compte de leurs actes ou que justice soit rendue. »

« Les autorités maliennes doivent assumer leurs responsabilités au regard du droit international, qui exige de toutes les parties à un conflit armé qu’elles fassent la distinction entre civils et combattants et s’abstiennent de mener des attaques ciblées ou indiscriminées contre des civils », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. 

« Il est inadmissible que des familles entières soient tuées par des frappes de drones, sans que les responsables aient à rendre compte de leurs actes ou que justice soit rendue. Les autorités maliennes doivent veiller à ce qu’une enquête efficace et indépendante soit menée sur les morts de ces civils. »

Depuis la seconde moitié de l’année 2023, le gouvernement malien a intensifié ses opérations militaires contre Al-Qaïda, l’État islamique et les anciens groupes rebelles. Dans le cadre de ces opérations, l’armée procède régulièrement à des frappes de drones. La recrudescence des opérations militaires dans les régions de Kidal et de Gao au cours des derniers mois a poussé de nombreux ressortissants de ces régions voisines à se réfugier à Amasrakad. Des témoins oculaires et des survivants ont indiqué à Amnesty International qu’une autre personne a succombé à ses blessures alors qu’elle recevait un traitement médical à Amasrakad. Deux jours après la frappe, une femme qui avait été blessée lors de l’attaque a perdu son fœtus in utero.

Attaquées alors qu’elles cherchaient à se protéger

Un survivant, Aghaly*, a raconté à Amnesty International que la première frappe a eu lieu la nuit, alors que tout le monde dormait.

« J’ai été réveillé par une forte détonation et les cris de personnes me demandant de quitter la maison. Mes cousins et moi avons dû évacuer d’urgence notre grand-mère de la cour. Il s’agit de la première frappe de la nuit, qui s’est produite vers 1 heure du matin. Elle visait un véhicule Toyota Hilux qui se trouvait à 15-20 mètres de notre maison. Ce véhicule sert au centre de santé et n’est utilisé qu’à cette fin. »

Selon lui, de nombreux voisins et habitants de la ville se sont réfugiés dans un abri situé dans une enceinte dépourvue de voitures ou de véhicules, pensant que le fait d’être loin des véhicules les protégerait des frappes. Mais c’est cette maison qui a été visée par une deuxième frappe qui a tué neuf personnes sur le coup.« Les corps étaient déchiquetés et éparpillés dans la cour et il était difficile de les identifier. Deux autres femmes ont succombé à leurs blessures dans l’heure qui a suivi, ce qui a porté le nombre de morts à 11 dans la nuit. Environ 11 personnes ont été blessées, certaines souffrant de graves brûlures au premier degré et de blessures sérieuses causées par des éclats d’obus. Toutes ces personnes sont des parents et des connaissances avec qui j’ai grandi ou que j’ai vu grandir. Aucune d’entre elles ne fait partie d’un groupe armé justifiant une telle frappe. »

Les biens civils tels que les véhicules utilisés par les centres de santé sont protégés contre les attaques par le droit international humanitaire (DIH), à moins qu’ils ne soient utilisés pour des objectifs militaires et pendant toute la durée de leur utilisation. Les principes de retenue et de précaution doivent guider la sélection des cibles. La destruction d’un véhicule logistique du centre de santé d’Amasrakad par une frappe de drone constitue donc une violation du droit international humanitaire.

« Ma fille a été grièvement blessée et se trouve dans un état critique à l’hôpital de Gao. Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? D’être bombardés en pleine nuit ? »

Alghabass*, dont la fille a été blessée, a déclaré à Amnesty International :

« Toute la nuit, nous n’avons fait que rassembler des morceaux de corps, des têtes et des membres éparpillés un peu partout. Ma fille a été grièvement blessée et se trouve dans un état critique à l’hôpital de Gao. Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? D’être bombardés en pleine nuit ? »

La ville d’Amasrakad, située à 160 km au nord-est de Gao, se trouve à un carrefour reliant les régions septentrionales de Gao, Kidal et Ménaka, où l’armée malienne, soutenue par des membres d’une société militaire privée russe, s’est activement engagée contre le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD) et le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM). En novembre, l’armée malienne et ses alliés ont repris la ville de Kidal au CSP-PSD, qui la tenait depuis 10 ans. Au cours des derniers mois, de nombreuses personnes déplacées originaires de la [région] voisine de Menaka et de [Kidal] ont cherché à se protéger des combats auprès de leurs proches à Amasrakad.

Amnesty demande à l’armée malienne d’établir et de publier des directives claires sur l’utilisation des drones lors des opérations militaires et de veiller à ce que leur impact sur les civils soit réduit au minimum. Tuer des civils qui ne participent pas directement aux hostilités constitue une violation du droit international humanitaire et du droit à la vie.

« Les autorités maliennes doivent faire preuve de transparence quant à leurs règles d’engagement concernant l’utilisation des drones, en particulier lorsqu’ils sont utilisés pour des homicides ciblés »

Pour les frappes sur Amasrakad, le fait de lancer une attaque ciblant des civils en sachant qu’elle causera incidemment des pertes, des blessures ou des dommages excessifs à la population civile, peut être assimilé à un crime de guerre.

« Les autorités maliennes doivent faire preuve de transparence quant à leurs règles d’engagement concernant l’utilisation des drones, en particulier lorsqu’ils sont utilisés pour des homicides ciblés », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. 

« Nous leur demandons de rendre publiques les informations relatives à l’utilisation et à l’impact des drones armés, notamment le nombre de frappes de drones armés, ventilé par lieu, et le nombre de civils et de combattants tués ou blessés à la suite de ces frappes, ainsi que les critères utilisés pour faire la distinction entre ces deux catégories. »

Contexte

L’attaque d’Amasrakad a eu lieu près de deux ans après le massacre de Moura (27 mars-31 mars 2022), lorsque des soldats maliens ont lancé un siège conjoint avec des forces appartenant à une société militaire privée russe contre le village de Moura, au cours duquel au moins 500 personnes ont été exécutées de manière extrajudiciaire et 58 femmes ont été victimes de violences sexuelles, selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme. Bien que le tribunal militaire de Mopti ait annoncé l’ouverture d’une enquête sur ces exécutions en avril 2022 à la suite d’un tollé national et international, aucun progrès substantiel n’a été réalisé à ce jour et aucune personne n’a été sanctionnée.

Le 23 mars, une autre attaque de drone menée contre le village de Douna (Mondoro, Mopti, Mali) aurait tué quatorze civils, dont des enfants, selon les médias [1].

*Famille de victime

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