L’organisation a également analysé des images satellite de la ville, qui font apparaître des centaines de bâtiments calcinés. Nombre des bâtiments détruits ne datent que de 2017, ce qui laisse à penser qu’il s’agissait d’abris pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays qui étaient venues se réfugier à Rann.
« Nous avons maintenant confirmé que l’attaque perpétrée cette semaine contre Rann est la plus meurtrière jamais commise par Boko Haram, avec un bilan d’au moins 60 morts. Au moyen d’images satellite, nous avons également pu confirmer qu’un très grand nombre de bâtiments ont été incendiés au cours de l’assaut massif que Boko Haram a lancé sur Rann, aujourd’hui en majeure partie détruite », a déclaré Osai Ojigho, directrice d’Amnesty International Nigeria.
« Cette attaque contre des civils déjà déplacés par un conflit sanglant pourrait constituer un crime de guerre, et les responsables présumés doivent être traduits en justice. Il est très préoccupant que, selon des témoins, les soldats nigérians aient abandonné leur poste la veille de l’attaque, ce qui montre que les autorités n’ont absolument pas protégé la population civile. »
« Cette attaque contre des civils déjà déplacés par un conflit sanglant pourrait constituer un crime de guerre, et les responsables présumés doivent être traduits en justice. »
Une gestion déficiente de la sécurité
La nouvelle du retrait des troupes a entraîné un exode massif de civils vers le Cameroun, alors que se répandait la crainte de voir Boko Haram profiter de la situation pour attaquer la ville. Le 28 janvier, vers 9 heures du matin, un groupe de combattants de Boko Haram est arrivé à moto. Ils ont incendié les maisons et tué les personnes restées sur place. Ils ont également poursuivi celles qui tentaient de s’enfuir, tuant certaines d’entre elles en dehors de la ville. Onze corps ont été retrouvés dans l’enceinte de la ville, et 49 autres à l’extérieur.
Selon les informations recueillies par Amnesty International, une cinquantaine de personnes n’ont pas été retrouvées. Les personnes qui ont participé aux enterrements ont rendu compte de ce qu’elles avaient vu.
Un témoin oculaire a déclaré : « Dix des nôtres [de la Force d’intervention civile conjointe] sont venus à Rann depuis le Cameroun pour les inhumations. À notre arrivée, nous avons trouvé et enterré 11 corps dans la ville, mais les soldats nous ont dit qu’ils en avaient enterré plusieurs autres hier [le 30 janvier], qui étaient en décomposition. En dehors de la ville, nous avons retrouvé et enterré 49 corps, qui présentaient tous des blessures par balle. »
Les agences humanitaires ont signalé qu’environ 30 000 civils avaient pris la fuite en direction de la frontière camerounaise ces derniers jours, rejoignant les 9 000 autres personnes qui avaient fui l’attaque précédente de Boko Haram contre Rann le 14 janvier.
Des preuves satellite de destructions massives par le feu
Amnesty International a analysé des images satellite du 30 janvier 2019, sur lesquelles des centaines de bâtiments calcinés sont visibles dans les parties est, sud et sud-est de Rann. Des capteurs environnementaux ont détecté des incendies dans la zone les 28 et 29 janvier.
Au cours de l’attaque du 14 janvier, Boko Haram avait incendié plus de 100 bâtiments dans d’autres quartiers de Rann. Ces deux attaques récentes ont gravement endommagé ou détruit la majeure partie de la ville.
Amnesty International appelle les autorités nigérianes à ouvrir une enquête sur les allégations selon lesquelles les soldats de la Force multinationale mixte se sont retirés de Rann, ce qui pourrait avoir laissé des dizaines de milliers de civils sans défense face à la dernière attaque meurtrière en date.
« Boko Haram a toujours pris les civils délibérément pour cible à Rann, ce qui rend d’autant plus inacceptable le fait que les autorités nigérianes ne les aient pas protégés », a déclaré Osai Ojigho.
« Les autorités des deux côtés de la frontière doivent leur fournir les denrées dont ils ont besoin et assurer leur sécurité. En outre, les autorités camerounaises doivent cesser de les renvoyer de force, jusqu’à ce que la situation devienne sûre et qu’ils choisissent de rentrer de manière volontaire. »