Par Atila Roque, directeur exécutif d’Amnesty International Brazil
Samedi dernier (5 avril 2014), les rues de Maré, un groupement de favelas de Rio de Janeiro, se sont réveillées occupées par quelque 2 700 militaires de l’armée fédérale. Ceux-ci ont pris la place d’un contingent de la police militaire présent dans cette zone depuis le 30 mars.
Aux termes d’un accord avec les autorités, les forces de sécurité resteront sur place jusqu’au 31 juillet, après la fin de la Coupe du monde. Une fois qu’elles seront parties, une Unité de police pacificatrice (UPP) devrait s’installer à Maré.
Le complexe de Maré compte quelque 132 000 habitants répartis sur 16 favelas. C’est un ensemble de bidonvilles et de quartiers informels situé entre les principales voies d’accès de Rio de Janeiro et près de l’aéroport international de la ville. Il se caractérise par sa diversité, un mode de fonctionnement local et un manque d’accès aux services publics. Ses résidents partagent l’espace avec des groupes criminels organisés et des « milices » – gangs criminels composés majoritairement d’anciens agents des forces de l’ordre et de membres de celles-ci qui ne sont pas en service.
Les relations entre la police et la population de Maré sont marquées par la violence et les atteintes aux droits humains, résultats de la « guerre » menée par les autorités contre la criminalité et le trafic de stupéfiants, qui touche particulièrement les jeunes résidents noirs. Les habitants appréhendent les changements, malgré la perspective d’être débarrassés de l’« autorité » solidement ancrée des trafiquants de drogue et l’espoir de bénéficier d’un meilleur accès aux services publics.
Pour Amnesty International Brésil, la présence de l’armée à Maré est à la fois un moment difficile et une opportunité pour l’État de montrer que la sécurité publique est un droit qui doit être garanti à tous les habitants de la ville, sans exception. Les favelas et les quartiers excentrés ne doivent pas être traités comme des « territoires ennemis » à conquérir, et la lutte contre la criminalité ne doit pas conduire à la criminalisation de toute leur population – notamment des jeunes.
À l’approche de la Coupe du monde, il est de plus en plus à craindre que ce modèle – l’intervention de l’armée et des autres forces de sécurité dans les favelas – ne soit étendu et n’accroisse la menace de violations des droits humains et la militarisation de la vie quotidienne dans les quartiers les plus pauvres. Les forces armées ne sont pas suffisamment formées à ce type d’opération et sont peu habituées à dialoguer avec la société civile et la population.
Il ne faut pas oublier que les dernières interventions des forces fédérales et des organes d’État de la sécurité publique à Rio de Janeiro ont donné lieu à de graves violations des droits humains. En juin 2007, au cours d’une opération menée avec l’aide de la Force nationale de sécurité publique dans le complexe de favelas d’Alemão, 19 résidents ont trouvé la mort lors d’affrontements avec les forces de sécurité. D’après les conclusions d’une enquête menée par des experts indépendants, certains ont vraisemblablement été victimes d’exécutions extrajudiciaires et sommaires. En juin 2008, des militaires participant à un projet de sécurité fédéral à Morro da Providência se sont rendus responsables de la mort de trois jeunes, tués après qu’ils les ont livrés à un groupe criminel.
La campagne « Nous sommes de Maré et nous avons des droits »
Amnesty International Brésil entretient des liens étroits avec les communautés de Maré depuis 2012, année où nous avons lancé la campagne intitulée « Nous sommes de Maré et nous avons des droits » avec les ONG locales Redes de Desenvolvimiento da Maré et Observatório de Favelas. L’objectif de cette campagne est d’informer les résidents sur leurs droits et de prévenir les atteintes aux droits humains et les actions irrespectueuses des forces de sécurité, notamment lorsqu’elles sont déployées dans les rues et les maisons des favelas. À cet effet, nous et nos partenaires avons distribué des supports d’information directement à plus de 35 000 foyers à Maré, afin de préparer les habitants à l’installation de l’UPP dans cette zone après la Coupe du monde.
La semaine dernière, lors d’une rencontre avec le secrétaire pour la Sécurité publique de l’État de Rio de Janeiro, nous avons présenté les inquiétudes et les revendications des habitants de Maré concernant l’occupation militaire.
Osmar Camelo, un représentant de l’Association des résidents de Morro do Timbau (l’un des quartiers de Maré) a déclaré que sa communauté souhaitait participer activement au processus et a souligné l’importance d’établir la confiance entre les résidents et les forces de sécurité. « L’approche du maintien de l’ordre – qui est agressive et bafoue les droits – doit changer », a-t-il insisté.
Les dirigeants d’ONG travaillant à Maré ont demandé unanimement que l’État reconnaisse les mécanismes locaux de contrôle et de gestion des conflits, tels qu’un médiateur de proximité. Ce serait un moyen de veiller à ce que la violence exercée par les groupes criminels organisés pour asseoir leur autorité sur la population ne soit pas simplement remplacée par celle de la police. Par ailleurs, les organisations veulent que l’État s’impose dans Maré, non pas uniquement par l’intermédiaire de la police, mais aussi à travers un certain nombre de services essentiels et la protection des droits de tous les habitants.
Amnesty International Brésil continuera d’agir avec ses partenaires locaux à Maré et avec d’autres ONG de défense des droits humains pour s’assurer que l’arrivée des forces de sécurité dans le groupement de favelas devienne une étape importante pour garantir les droits fondamentaux, et pas seulement le début d’un autre chapitre violent dans l’histoire de ses quartiers.