« Des milliers de réfugié·e·s afghans sont utilisés comme des pions sur l’échiquier politique et risquent d’être renvoyés vers l’Afghanistan, sous régime taliban, où leur vie et leur intégrité physique sont en péril dans un contexte de répression accrue des droits humains et de catastrophe humanitaire. Nul ne doit être soumis à des expulsions forcées massives et le Pakistan ferait bien de se rappeler ses obligations juridiques internationales, notamment le principe de non-refoulement, a déclaré Livia Saccardi, directrice adjointe régionale pour les campagnes sur l’Asie du Sud à Amnesty International.
« Si le gouvernement pakistanais ne met pas fin rapidement aux expulsions, il privera des milliers d’Afghan·e·s en danger, particulièrement les femmes et les filles, de leur droit à la sécurité, à l’éducation et à des moyens de subsistance. »
Selon le gouvernement, plus de 170 000 Afghan·e·s [1], dont beaucoup vivent au Pakistan depuis des dizaines d’années, ont dû quitter le pays depuis le 17 septembre, le gouvernement ayant lancé un ultimatum à tous les « étrangers non enregistrés », leur enjoignant de partir. Depuis que la date du 1er novembre fixée par le gouvernement du Pakistan a expiré, la police est passée de l’enregistrement des dossiers au titre de la Loi relative aux étrangers de 1946, qui criminalise entre autres l’entrée illégale dans le pays, à l’enfermement des réfugié·e·s jugés « illégaux » dans des centres de détention.
Amnesty International est préoccupée par l’absence totale de transparence, de procédure régulière et d’obligation de rendre des comptes en ce qui concerne les détentions et les expulsions qui ont eu lieu la semaine dernière. La situation est exacerbée par le nombre accru d’actes de harcèlement et d’hostilité à l’égard des réfugié·e·s afghans au Pakistan.
« On ne nous a pas donné d’informations sur le lieu où [nos proches] ont été emmenés ni sur la date de leur expulsion »
Selon le gouvernement, 49 centres de détention [2] (également appelés centres de « rétention » ou de « transit ») ont été créés, avec la possibilité que d’autres voient le jour à travers le Pakistan. Ces centres d’expulsion n’ont pas été bâtis en vertu d’une loi précise et sont gérés en parallèle du système légal. Amnesty International a pu constater que dans au moins sept d’entre eux, les détenu·e·s sont privés de leurs droits, notamment du droit de consulter un avocat et de communiquer avec leur famille. Ces centres portent atteinte aux droits à la liberté et à un procès équitable. En outre, aucune information n’a été rendue publique, et il est donc difficile pour les familles de retrouver leurs proches.
Selon le témoignage de Maryam*, militante afghane d’Islamabad, le 2 novembre, plusieurs réfugié·e·s afghans ont été placés en détention au poste de police de Shalimar et « ceux qui n’avaient pas de papiers ont été transférés pour être expulsés, tandis que leurs proches n’ont reçu aucune information sur l’endroit où ils étaient conduits ni sur la date de leur expulsion ».
Autre cas, celui d’un adolescent de 17 ans interpellé lors d’un raid à Sohrab Goth à Karachi, le 3 novembre. Alors qu’il est né au Pakistan, détient une carte de « preuve d’enregistrement » délivré par le HCR et est mineur, sa famille n’a pas pu se rendre dans le centre de détention. Il a été expulsé le lendemain et on ignore toujours où il se trouve exactement.
Amnesty International a pu confirmer auprès de journalistes à travers le Pakistan que les médias n’ont pas non plus accès à ces centres, ce qui pose des questions quant à la transparence.
Junaid*, réfugié afghan détenu pendant plus de quatre heures au centre de Khayaban-i-Sir Syed à Islamabad le 3 novembre, a déclaré que du fait du manque de traducteurs capables de communiquer en dari ou en pachto, les personnes détenues au centre avaient beaucoup de mal à comprendre les questions liées à des documents complexes.
« Le sentiment de peur est très largement répandu au sein de la communauté afghane... Nous vivons dans l’angoisse permanente, nous fermons nos portes dès que nous entendons des voitures de police dans le secteur »
« Nous vivons dans l’angoisse permanente »
« Le sentiment de peur est très largement répandu au sein de la communauté afghane... Nous vivons dans l’angoisse permanente, nous fermons nos portes dès que nous entendons des voitures de police dans le secteur », a expliqué Junaid.
Plusieurs cas de harcèlement ont également été signalés à Amnesty International. Le 1er novembre, au moins 12 petits commerçants titulaires d’une carte de citoyen afghan en cours de validité ont été détenus pendant plus de 24 heures aux postes de police de Nishtar Colony et de Garden Town, à Lahore, sans être présentés devant un tribunal ni avoir fait l’objet d’un procès-verbal introductif. Le 24 octobre, des commerçants afghans d’Akbari Mandi à Lahore ont été fouillés pour trouver leurs papiers par des individus en civil qui se sont présentés comme des policiers et ont saisi 500 000 roupies pakistanaises (environ 1 650 euros) en liquide.
Depuis l’annonce de la date limite, des avertissements ont été diffusés par le biais de tracts, de haut-parleurs dans les mosquées et de déclarations indiquant que toute personne qui fournirait un logement à des réfugié·e·s afghans sans papiers se verrait infliger une amende ou serait arrêtée. Selon Farah*, une journaliste vivant à Peshawar, alors que la plupart des Afghan·e·s sont refusés, « les propriétaires qui proposent des concessions demandent un loyer cinq fois plus élevé qu’en temps normal ».
Depuis début octobre [3], plusieurs katchi abadis (quartiers informels) où s’étaient installés des réfugié·e·s afghans ont été démolis [4] par l’Office de développement de la capitale (CDA) à Islamabad, sans vraiment respecter la procédure légale ni diffuser d’avertissement, car les habitant·e·s des quartiers informels ont des droits de propriété limités, ce qui fait que des maisons sont détruites alors que des affaires se trouvent encore à l’intérieur.
« Je suis sûr de me faire tuer si j’y retourne »
Environ 200 [5] journalistes afghans sont menacés au Pakistan d’après le Forum international des journalistes pakistanais et afghans. Asad*, journaliste afghan qui se cache au Pakistan depuis que les talibans ont pris le pouvoir en 2021, a déclaré : « Bien que je sois entré au Pakistan avec un visa valide et que j’aie demandé son renouvellement, je n’ai rien à montrer aux autorités si elles se présentent à ma porte. J’ai cessé d’envoyer mes enfants à l’école depuis deux semaines... »
Asad et sa famille ont fui l’Afghanistan en 2021 lorsque ses amis et collègues ont été assassinés à l’arrivée au pouvoir des talibans. Il a expliqué : « Je figure sur plusieurs listes tenues par les talibans et je suis sûr de me faire tuer si j’y retourne. »
« Les Pakistanaises mariées à des réfugié·e·s afghans sont aussi confrontées à un risque accru d’expulsion du fait de l’absence de papiers adéquats »
De nombreuses femmes installées dans des campements à majorité afghane vivent dans une angoisse extrême et constante. Selon l’avocate spécialiste des droits humains Moniza Kakar, qui représente des réfugié·e·s afghans à Karachi, « de nombreuses femmes dorment entièrement couvertes (de voiles) parce qu’elles ont peur des descentes de police nocturnes effectuées par des policiers masculins ».
Les Pakistanaises mariées à des réfugié·e·s afghans sont aussi confrontées à un risque accru d’expulsion du fait de l’absence de papiers adéquats. En raison des barrières culturelles et économiques au Pakistan, les femmes n’ont pas souvent accès à des Cartes nationales d’identité informatisées, avec un écart estimé [6] à 10 millions entre les hommes et les femmes sur les listes électorales.
Amnesty International recueille des informations sur la répression radicale et systémique à l’égard des droits des femmes et des filles par le régime taliban depuis plus de deux ans.
Les réfugié·e·s afghans appartenant à des minorités religieuses sont confrontés à des difficultés intersectionnelles supplémentaires s’agissant des expulsions et de la double menace de persécution à leur retour. Un militant travaillant avec les communautés chrétiennes réfugiées à Islamabad, Chaman et Quetta, a raconté qu’un centre d’accueil hébergeant une dizaine de familles chrétiennes réfugiées a dû fermer ses portes à la suite de descentes de police.
« Le Pakistan doit s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du droit international relatif aux droits humains afin de garantir la sécurité et le bien-être des réfugié·e·s afghans à l’intérieur de ses frontières et de mettre immédiatement un terme aux expulsions afin d’éviter que la crise ne s’aggrave. Le gouvernement, en collaboration avec le HCR, doit accélérer l’enregistrement des personnes demandant l’asile au Pakistan, en particulier les femmes et les jeunes filles, les journalistes et les membres de minorités et de communautés ethniques, car ils sont exposés à des dangers accrus », a déclaré Livia Saccardi.
*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes interrogées.