« La condamnation du principal accusé et de plusieurs personnes est un pas crucial vers la justice pour les victimes d’un des pires massacres de journalistes de l’histoire. Au bout de 10 ans et d’une procédure judiciaire qui a stagné sous trois présidents, cette décision fut longue à venir. Une décennie, c’est trop long pour les familles endeuillées, car une justice retardée est une justice déniée, a déclaré Nicholas Bequelin, directeur régional à Amnesty International.
« Avec ces condamnations, la quête de justice des familles est loin d’être terminée. Quatre-vingts accusés sont encore dans la nature. Le gouvernement doit prendre des mesures afin de retrouver toutes les personnes soupçonnées d’avoir pris part à ce massacre et d’engager des poursuites à leur encontre.
« Le nombre de témoins assassinés durant cette procédure judiciaire affreusement longue ajoute à la culture de l’impunité et à l’injustice entourant cette affaire. Ce fut un coup dur pour les familles des 58 victimes. La décision de la cour montre que la roue de la justice continue de tourner. Les auteurs présumés de ces violations des droits humains devront rendre des comptes.
« Les Philippines sont l’un des pays les plus meurtriers au monde pour les journalistes, 15 d’entre eux au moins ayant été tués cette année seulement dans des attaques qui seraient liées à leur travail. Le gouvernement doit assurer la sécurité des journalistes dans le pays et poursuivre en justice les commanditaires de ces assassinats. Il doit aussi démanteler les armées privées qui assoient le pouvoir des clans politiques. »
Complément d’information
Au total, 101 personnes, dont des membres du puissant clan Ampatuan, sont visées par la décision rendue le 19 décembre. Parmi elles, 54 policiers. Quatre-vingts autres suspects sont toujours en liberté et ne sont pas concernés par cette condamnation.
Le principal accusé et plusieurs autres ont été condamnés à la réclusion à perpétuité, soit à une peine maximale de 40 ans sans possibilité de libération conditionnelle. D’autres ont été déclarés coupables de complicité et condamnés à des peines allant de six à 10 ans de prison. Près de la moitié, pour la plupart des policiers, ont été acquittés.
Le 23 novembre 2009, 58 personnes, dont 32 journalistes et professionnels des médias, ont été tués dans l’attaque d’un convoi menée par plus de 100 hommes armés, dont semble-t-il des policiers et des militaires.
La tuerie s’est déroulée à l’approche des élections nationales de 2010. Le convoi se déplaçait dans la province méridionale de Maguindanao et traversait le territoire du clan Ampatuan, puissante dynastie. Il était en chemin pour déposer les papiers pour la candidature au poste de gouverneur d’Esmael Mangudadatu, qui se présentait contre Andal Ampatuan Jr., fils du gouverneur de l’époque Andal Ampatuan Sr.
Les procès dans les affaires civiles et pénales se déroulent devant le tribunal régional de première instance à Quezon City. Cependant, il y a eu des retards et des contretemps, et la plupart des procédures judiciaires sont des audiences de mise en liberté sous caution. Les familles des victimes demandent aussi à la Commission de la police nationale de limoger les policiers qui seraient impliqués dans l’embuscade.
Des témoins du massacre et leurs familles ont été la cible d’attaques et certains y ont laissé la vie. Dennis Sakal et Butch Saudagal, qui devaient témoigner contre les principaux suspects du massacre, se sont fait tirer dessus par des hommes non identifiés à Maguindanao le 18 novembre 2014, tuant Dennis Sakal. Alijol Ampatuan, qui d’après le procureur était prêt à identifier les suspects, a été abattu à bout portant en février 2012. Esmail Amil Enog, qui a témoigné au tribunal pour dire qu’il avait servi de chauffeur à des tireurs impliqués dans le massacre, a été retrouvé, son corps découpé à la tronçonneuse, après avoir « disparu » en mai 2012. Personne n’a eu à rendre des comptes pour ces meurtres.