Le 31 octobre 2019, la police et l’armée ont effectué une descente dans les locaux du parti politique Bayan Muna, de la coalition féministe Gabriela et du syndicat Fédération nationale des ouvriers de l’industrie sucrière (FNOS) à Bacolod, dans le Negros occidental. Le même jour, une descente de police a eu lieu au domicile de deux militant·e·s de Gabriela et de l’association d’aide aux personnes dans la précarité Kadamay, à Manille. Ces opérations des forces de sécurité se sont poursuivies jusqu’à l’aube le lendemain matin.
À Bacolod, la police et l’armée ont effectué des descentes séparément dans les locaux de Bayan Muna, de Gabriela et de la FNOS, et arrêté plus de 50 personnes, parmi lesquelles figureraient des mineurs, qui ont été accusées d’avoir participé à des entraînements au maniement d’armes à feu et d’explosifs. Les forces gouvernementales affirment avoir saisi des armes à feu, mais les militants arrêtés soutiennent que les armes qui ont été trouvées lors de ces descentes ont toutes été placées sur les lieux par les forces de sécurité.
Selon des sources gouvernementales, les agents qui ont effectué ces descentes ont utilisé des mandats de perquisition délivrés par un tribunal qui a estimé avoir de bonnes raisons de croire que des armes à feu et des explosifs étaient entreposés dans les locaux de ces organisations.
La police avait précédemment arrêté la porte-parole de Gabriela et son mari, qui est membre de Kadamay, à la suite d’une descente effectuée au domicile du couple. La police a affirmé avoir trouvé dans la maison des grenades, une arme à feu et de fausses pièces d’identité, qui selon le couple ont toutes été placées chez eux. Les deux enfants du couple, âgés de 2 et 10 ans, ont été placés dans un foyer géré par les pouvoirs publics, selon Gabriela. Amnesty International a rassemblé des informations montrant que la police a fabriqué des scènes de crime et placé sur les lieux des éléments à charge lors de la « guerre contre la drogue » qui se poursuit dans le pays, et craint que cette stratégie ne soit également utilisée par les forces gouvernementales dans d’autres contextes.
Les organisations prises pour cible lors de ces descentes et de ces arrestations ont critiqué le régime de Rodrigo Duterte et les violations des droits humains qu’il commet, y compris la « guerre contre la drogue » menée par le gouvernement. Cherchant manifestement à discréditer ces organisations et à saper la crédibilité de leurs revendications, les forces de sécurité les ont qualifiées de « rouges », les accusant d’être les façades légales de groupes armés communistes hors la loi. Amnesty International est préoccupée par le fait que de telles allégations sont devenues un outil utilisé pour empêcher des détracteurs du gouvernement d’exercer pacifiquement leurs droits humains, et qu’elles ont dans de nombreux cas conduit à de violentes attaques, y compris à des homicides.
Ces derniers épisodes de répression visant des détracteurs du gouvernement et des militants politiques interviennent dans un climat d’impunité quasi totale dans le pays. Amnesty International appelle les autorités à respecter leur obligation internationale de respecter et protéger les droits à la liberté d’association des groupes et organisations pacifiques aux Philippines, ainsi que leur obligation de respecter, protéger, promouvoir et garantir les droits des militants des droits humains, y compris leurs droits à la vie et à la liberté, à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique. Ces droits sont garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entre autres traités, auquel les Philippines sont partie, et par la Constitution des Philippines.
Amnesty International demande au gouvernement de mener dans les meilleurs délais une enquête exhaustive, impartiale et efficace sur les affirmations de ces groupes selon lesquelles les armes trouvées dans leurs locaux y ont été placées par des tiers. L’organisation renouvelle en outre l’appel lancé au gouvernement des Philippines pour qu’il enquête sur les menaces de violence reçues par des détracteurs du gouvernement, les incitations à la violence, ainsi que les violentes attaques qui en ont découlé ; défère à la justice les auteurs de ces agissements dans le cadre d’un procès équitable ; et protège les militants pacifiques accusés d’être liés à des groupes communistes.
Complément d’information
Le président philippin Rodrigo Duterte a par le passé déclaré qu’il allait « faire la chasse aux façades légales » du Parti communiste des Philippines, faisant référence aux groupes ayant des liens présumés avec le mouvement communiste, et il a réitéré l’ordre donné aux forces armées de « détruire l’appareil [communiste] ». Un grand nombre d’organisations visées par ces propos ont indiqué à la suite de ces allégations et du renouvellement de l’ordre adressé par le président, qu’elles sont davantage encore harcelées par le gouvernement et encore plus fréquemment attaquées par des inconnus, ces attaques étant parfois meurtrières.
Des organisations de défense des droits ont ainsi fait savoir que plus de 80 personnes ont été tuées dans le Negros depuis le début du mandat du président Duterte. Elles affirment qu’un grand nombre de victimes de ces assassinats sont des personnes qui avaient été qualifiées de « rouges ».
Le président Duterte a également récemment dit qu’il avait fait savoir au lieutenant Jovie Espenido, le nouveau directeur adjoint des opérations de la police municipale de Bacolod, qu’il était « libre de tuer tout le monde » dans cette ville en raison de la prolifération à Bacolod des activités illégales liées aux stupéfiants, ce qui fait craindre une aggravation du climat d’impunité dans la province et ailleurs dans le pays.