- L’entreprise d’ingénierie Mercury MENA doit des milliers de dollars à des dizaines d’anciens employés.
- Amnesty International est à l’initiative de l’appel en faveur de leur indemnisation et de la réforme des systèmes favorisant l’exploitation au travail.
L’entreprise Mercury MENA n’ayant pas versé les milliers de dollars dus à ses employés en salaires et en prestations, ils se sont retrouvés bloqués et sans le sou au Qatar.
Amnesty International demande au gouvernement du Qatar de veiller à ce que les ex-employés de Mercury MENA reçoivent l’argent qu’ils ont gagné et de réformer en profondeur le système de parrainage, appelé kafala, qui permet à de nombreuses entreprises d’exploiter les travailleurs migrants, comme le dénoncent Amnesty International et d’autres organisations depuis 2013.
« En 2017, le gouvernement du Qatar a été applaudi à l’annonce de son programme de réformes du droit du travail. Pourtant, malgré la signature de cet accord, de nombreux employés de Mercury MENA sont restés bloqués sans percevoir leur salaire dans des logements sordides, inquiets quant aux moyens de se procurer leur prochain repas et quant à la possibilité de rentrer chez eux un jour, dans leurs familles, a déclaré Steve Cockburn, directeur du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.
« De nombreux employés de Mercury MENA avaient fait d’énormes sacrifices et contracté des emprunts ruineux pour trouver un emploi au Qatar. Ils se sont retrouvés à travailler sans salaire pendant des mois et ont été abandonnés par un système qui ne les a pas protégés. En veillant à ce qu’ils obtiennent les salaires qui leur sont dus, le Qatar peut aider ces travailleurs migrants à reconstruire leurs vies et montrer sa détermination à améliorer le respect des droits des travailleurs. »
« De nombreux employés de Mercury MENA avaient fait d’énormes sacrifices et contracté des emprunts ruineux pour trouver un emploi au Qatar. Ils se sont retrouvés à travailler sans salaire pendant des mois et ont été abandonnés par un système qui ne les a pas protégés. »
Entre octobre 2017 et avril 2018, Amnesty International a interrogé 78 ex-employés de Mercury MENA venus d’Inde, du Népal et des Philippines, à qui l’entreprise doit des sommes importantes. Au Népal, où plus d’un tiers de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, Amnesty International a interrogé 34 travailleurs à qui l’entreprise doit, en moyenne, 2 035 dollars à chacun.
Mercury MENA, auparavant connue sous le nom de Mercury Middle East, a joué un rôle important dans la construction d’un stade qui a servi de vitrine pour la candidature victorieuse du Qatar à la FIFA en décembre 2010. Depuis, les travailleurs migrants employés par l’entreprise ont travaillé sur certains des projets les plus prestigieux du Qatar, notamment la « Cité du futur » de Lusail, qui accueillera les cérémonies d’ouverture et de fermeture de la Coupe du monde. D’autres ont travaillé sur la cité ouvrière destinée à héberger les travailleurs, Barwa al Baraha – comble de l’ironie, le Qatar la présente comme un gage de l’amélioration des conditions pour les travailleurs migrants.
Non-paiement prolongé des salaires
La plupart des anciens employés de Mercury MENA interrogés par Amnesty International ont déclaré que l’entreprise leur devait en salaires et prestations entre 1 162 et 2 100 euros (entre 5 000 et 9 000 riyals qataris).
D’après ses recherches, Amnesty International a constaté que les retards dans le versement des salaires par Mercury MENA ont débuté aux environs de février 2016 et sont devenus plus récurrents et définitifs en 2017. En outre, l’entreprise n’a pas fourni de permis de séjour aux travailleurs comme l’exige la loi, ce qui a donné lieu à des amendes et a encore restreint leurs possibilités de changer de travail ou de quitter le pays. Dans un cas au moins, l’entreprise a rejeté la demande d’un travailleur qui souhaitait rentrer chez lui en lui refusant un « permis de sortie ».
En vertu du système de parrainage en vigueur au Qatar, les entreprises ont le pouvoir d’empêcher les travailleurs de quitter le pays ou de changer d’emploi, ce qui limite leurs possibilités d’échapper aux abus ou de dénoncer leur traitement.
La disposition relative au « permis de sortie » a été supprimée pour la majorité des travailleurs en septembre 2018.
Ernesto, originaire des Philippines, a travaillé chez Mercury MENA en tant que chef d’équipe dans le secteur canalisations pour la ville de Lusail, un projet de plus de 38 milliards d’euros. Lorsqu’il a quitté le Qatar au bout de deux ans, l’entreprise lui devait quatre mois de salaires et il était plus endetté qu’à son arrivée. Tout à fait conscient du contraste entre l’exploitation qu’il a subie et les projets lucratifs sur lesquels il a travaillé, Ernesto a déclaré :
« J’imagine comment ce sera durant [la Coupe du monde]... Des gens venus du monde entier pour acclamer, rire, visiter les stades magnifiques, les sites de loisirs et les hôtels ici... Est-ce qu’ils s’interrogeront sur ce qui s’est passé dans les coulisses de ces bâtiments ? »
Les travailleurs népalais englués dans les dettes
Amnesty International a mené d’autres recherches sur les employés népalais de Mercury MENA, interrogeant 34 d’entre eux après leur retour au pays. Elle a constaté que la règlementation laxiste du gouvernement népalais contribue à leur exploitation. Les agences de recrutement auxquelles Mercury MENA fait appel facturent aux travailleurs des frais exorbitants pour leur trouver des emplois, et ce en toute illégalité, ce qui les oblige à contracter des prêts avec des taux d’intérêt élevés. Ils se retrouvent alors surendettés, et il leur est difficile d’échapper aux conditions qui s’apparentent à de l’exploitation ou de les contester.
Certains travailleurs népalais interrogés avaient été contraints de vendre des terres ou de retirer leurs enfants de l’école afin de payer les dettes qu’ils avaient contractées pour aller travailler au Qatar.
Une agence a reconnu qu’elle avait eu connaissance de violations des droits du travail à Mercury MENA après avoir recruté des travailleurs pour cette entreprise, mais elle n’a effectué aucun suivi pour vérifier que leurs droits en tant que travailleurs étaient respectés, même lorsqu’ils l’ont contactée pour obtenir de l’aide. Le gouvernement népalais n’a pris aucune mesure contre cette agence. Amnesty International a précédemment recueilli des informations attestant de l’inaction des autorités népalaises pour contrer la conduite illégale des agences de recrutement, ce qui favorise les abus que subissent les travailleurs migrants népalais à l’étranger.
Par ailleurs, les autorités népalaises n’ont pas fourni d’assistance adéquate à leurs ressortissants au Qatar. Ce fut le cas en 2017 lorsque des employés népalais de Mercury MENA se sont retrouvés bloqués dans un camp de travailleurs, manquant de nourriture et d’argent, puisqu’ils n’avaient pas été payés depuis des mois. Les autorités népalaises ont été informées de cette situation à au moins quatre reprises – deux fois par les travailleurs eux-mêmes et deux fois par Amnesty International – mais ont préféré ignorer leurs appels à l’aide en vue de récupérer leurs salaires ou de rentrer chez eux. Et ce malgré l’existence du Fonds de prévoyance pour les travailleurs migrants doté de 32,2 millions d’euros. Le gouvernement du Népal n’a toujours pas mis Mercury MENA sur liste noire, ce qui signifie que rien n’empêche l’entreprise de continuer à recruter des migrants népalais.
Indemnisation
Malgré la promesse de réformes majeures en 2017 et l’abolition du permis de sortie pour la plupart des travailleurs migrants début septembre 2018, le droit du travail au Qatar ne respecte toujours pas les normes internationales. Les employeurs peuvent toujours empêcher les employés de changer d’emploi au Qatar, et ce parfois pendant cinq ans. Ceux qui changent d’emploi sans autorisation de leur employeur sont accusés de « fuite », infraction pénale qui peut aboutir à leur arrestation ou leur expulsion. Les réformes promises au sujet de la création d’un fonds destiné aux travailleurs en difficulté et de la mise en place d’un salaire minimum devraient se concrétiser à l’avenir.
Le Népal comme le Qatar ont un rôle à jouer pour remédier aux préjudices subis par les ex-employés de Mercury MENA et faire en sorte que ce type d’exploitation ne se reproduise plus. Le Népal et le Qatar sont tenus de protéger les travailleurs migrants contre les atteintes aux droits humains, en vertu des divers traités internationaux qu’ils ont ratifiés, notamment la Convention sur le travail forcé de l’Organisation internationale du travail (OIT), et de fournir des recours en cas d’abus, notamment en cas de non-paiement des salaires.
Les employeurs peuvent toujours empêcher les employés de changer d’emploi au Qatar, et ce parfois pendant cinq ans. Ceux qui changent d’emploi sans autorisation de leur employeur sont accusés de « fuite », infraction pénale qui peut aboutir à leur arrestation ou leur expulsion.
Amnesty International demande aux gouvernements de ces deux pays d’aider les anciens employés de Mercury MENA à obtenir justice et à recevoir l’argent qui leur est dû, et de prendre des mesures afin que cette situation ne se répète pas.
« Le Qatar a l’occasion de faire évoluer son bilan en matière de droits des travailleurs à l’approche de la Coupe du monde 2022 : en accordant une indemnisation adéquate aux employés de Mercury MENA, il ferait preuve de sa volonté de la saisir. Nombre d’anciens employés envisagent déjà d’immigrer de nouveau pour régler leurs dettes et il n’y a donc pas de temps à perdre, a déclaré Steve Cockburn.
« Hélas, l’exploitation des travailleurs migrants par Mercury MENA est loin d’être un cas isolé. Nous continuerons de faire pression sur les autorités du Qatar jusqu’à ce qu’elles s’acquittent de leur promesse de remanier le système de parrainage et jusqu’à ce que les droits des travailleurs soient pleinement protégés en droit et en pratique. »
Réponse de Mercury MENA
En novembre 2017, Amnesty International s’est entretenue avec le PDG de Mercury MENA, qui a reconnu les retards importants dans le paiement des salaires mais a nié exploiter ses employés. Il a déclaré que Mercury MENA avait été victime de partenaires commerciaux sans scrupules, ce qui avait donné lieu à des « problèmes de trésorerie » et à plusieurs litiges au sujet des règlements avec des entreprises et des clients.
D’après des communications entre Mercury MENA et ses employés, la direction de l’entreprise avait connaissance des problèmes de paiement des salaires et continuait de promettre de les verser, promesses qu’elle n’a pas tenues.
Amnesty International a adressé d’autres courriels au PDG de Mercury MENA en décembre 2017 et janvier 2018 pour demander des informations sur leur situation et sur les actions entreprises, ainsi qu’une lettre en juillet 2018 résumant les points principaux de son enquête. Ces courriers sont restés sans réponse.