Les violences policières, persécutions, détentions arbitraires et viols survenus dans le cadre d’une opération de sécurité visant à expulser hors de la République du Congo (ou Congo-Brazzaville) des dizaines de milliers de ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC) l’an dernier relèvent d’attaques généralisées susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public jeudi 2 juillet.
L’organisation demande la suspension de l’ensemble des projets d’expulsions collectives d’étrangers hors de la République du Congo, ainsi que l’autorisation pour toutes les personnes ayant fait l’objet d’une expulsion illégale de revenir si elles le souhaitent.
Le rapport, intitulé
« Mbata ya Bakolo a donné lieu à des attaques de grande ampleur susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité », a déclaré Evie Francq, spécialiste de la RDC à Amnesty International.
« Les informations que nous avons recueillies incluent de nombreux témoignages montrant que dans leur empressement à appréhender des ressortissants de la RDC, les policiers ont fréquemment recouru à une force excessive, procédé à des arrestations arbitraires, extorqué des sommes d’argent et des effets personnels, détruit des biens et même, dans certains cas, violé des femmes et des filles. Ces agissements n’ont semble-t-il toujours pas donné lieu à l’ouverture d’enquêtes ni de poursuites. La République du Congo a l’obligation claire de traduire en justice les responsables présumés de crimes de droit international. »
L’opération Mbata ya Bakolo (qui signifie la « gifle des aînés », en lingala) est la réponse de grande ampleur adoptée par les forces de sécurité face à l’impression d’une hausse de la criminalité, que les autorités de la République du Congo ont attribuée aux membres de « koulouna », des groupes de délinquants originaires de la RDC voisine. Officiellement, l’opération visait les « étrangers en situation irrégulière », mais en pratique les ressortissants de la RDC ont rapidement été pris pour cibles, quel que soit leur statut migratoire.
Durant l’opération, entre avril et septembre 2014, les retours forcés de demandeurs d’asile et de réfugiés ont été monnaie courante, ce qui est contraire au droit international.
Ces expulsions ont eu lieu dans tout le pays. L’arrivée de ressortissants de la RDC a été enregistrée au niveau de 33 postes frontaliers. À Brazzaville, après avoir soumis des citoyens de la RDC à une arrestation arbitraire, la police les amenait au port communément appelé le Beach - principal point de départ des traversées en direction de Kinshasha, en RDC, située sur la rive opposée du fleuve Congo.
Jacqueline (le prénom a été changé), une ressortissante de la RDC qui vivait à Brazzaville depuis 2009, a expliqué à Amnesty International que les descentes de police étaient totalement arbitraires :
« Le vendredi 2 mai [2014], nous étions à la maison, dans le quartier de Moungali à Brazzaville, quand le chef de quartier et des policiers sont arrivés. Ils ont dit que tous les Zaïrois devaient partir. [...] On est en situation régulière à Brazzaville mais ils ont refusé de jeter un œil à nos papiers d’identité ! On a pris des vêtements et ils nous ont forcés à monter sur un bateau pour Kinshasa. Je suis donc ici maintenant, avec mes quatre enfants, et on vit dans la rue. On est abandonné. On est en danger ici. »
Près de la moitié des 112 personnes dont Amnesty International a recueilli les propos ont dit avoir fait l’objet d’une arrestation arbitraire, certaines à plusieurs reprises, au cours de l’opération.
La crainte des violences policières et la xénophobie croissante ont poussé de nombreuses personnes à retourner en RDC de leur propre chef. Marie (le prénom a été changé), 35 ans, ressortissante de la RDC, a parlé à Amnesty International des conditions inhumaines au Beach tandis que les expulsés, en très grand nombre, attendaient leur départ vers la RDC.
« Je suis restée au Beach deux jours avant de partir [en RDC]. Pendant ces deux jours, il y avait des enfants qui mouraient et même des femmes qui accouchaient sur place. J’ai moi-même assisté à un accouchement. L’enfant est mort d’étouffement. Je dormais dehors avec les enfants et il y avait beaucoup de gens. Les policiers les piétinaient, les poussaient, et [même si] le bateau était gratuit, ils demandaient de l’argent pour nous aider à [monter à bord]. J’ai donné 20 000 francs CFA au policier pour qu’il m’aide à entrer dans le bateau. »
Violences et viols
Outre les cas d’extorsion d’argent et de biens aux ressortissants de la RDC, les témoins ont également décrit comment les forces de sécurité de la République du Congo ont recouru à des violences physiques, notamment au viol, pour les humilier et les intimider.
Une jeune femme âgée de 21 ans a expliqué que six policiers sont entrés chez elle à 3 heures du matin et l’ont violée alors qu’elle était seule à son domicile avec sa fille de quatre ans :
« Ils m’ont déshabillée et m’ont violée à tour de rôle. Comme je me débattais et ne voulais pas me laisser faire, ils m’ont dit qu’ils allaient me montrer comment les Brazzavillois considéraient les Zaïrois : comme des chiens. L’un d’eux m’a tailladé le bras, il m’a blessée avec un instrument. »
Amnesty International a par ailleurs recueilli des informations sur le viol de quatre autres personnes, notamment une fillette de cinq ans.
Xénophobie à l’égard des ressortissants de la RDC
La police de la République du Congo s’est beaucoup servie des médias pour promouvoir l’opération « Mbata ya Bakolo », utilisant la radio, la télévision et des mégaphones pour encourager la population à identifier les « foyers criminogènes ». Des artistes ont composé des chansons incitant à la discrimination et contenant des paroles telles que « Les Ngala [étrangers ou ressortissants de la RDC] rentrent chez eux maintenant, sauvons nos emplois, laissons-les partir ».
La xénophobie s’est alors généralisée et des ressortissants de la RDC ont été victimes de menaces, de brimades et de harcèlement de la part de leurs voisins et de personnes dans la rue. Ils ont perdu leur emploi et leur capacité à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Certains ont été forcés à dormir dans la rue après avoir été expulsés de chez eux, la police ayant introduit une amende de 300 000 francs CFA (soit environ 450 euros) pour les propriétaires dont les locataires seraient « en situation irrégulière ».
Une demandeuse d’asile de la RDC et mère de neuf enfants a dit à Amnesty International :
« J’ai été menacée au marché : "On va s’occuper de vous, vous allez voir", ils disaient. Les voisins disent "on est fatigué de vous", ils [nous] jettent des pierres et ils [nous] coupent le courant. Nos enfants ne vont plus à l’école car on a peur qu’ils [soient renvoyés] à Kinshasa. »
« Compte tenu de cette xénophobie galopante alimentée par les autorités, beaucoup de ressortissants de la RDC ont estimé qu’ils n’avaient d’autre choix que de quitter la République du Congo. Le gouvernement a qualifié ces retours de "volontaires", mais il s’agissait en réalité d’expulsions déguisées et d’une violation du droit international. Les autorités doivent mettre un terme à toutes les formes de discrimination qu’elles ont encouragées, et lutter de toute urgence contre les comportements xénophobes au sein de la société », a déclaré Evie Francq.
Les ressortissants d’Afrique de l’Ouest désormais visés
Amnesty International s’inquiète aussi des arrestations, des détentions et des expulsions du territoire visant désormais les personnes originaires d’Afrique de l’Ouest depuis le 14 mai 2015 dans la ville de Pointe-Noire.
« Le gouvernement de la République du Congo doit immédiatement mettre fin à cette nouvelle phase de l’opération, et garantir qu’il n’y ait pas de répétition des expulsions collectives de l’an dernier », a déclaré Evie Francq.