Un nouveau rapport publié par l’organisation le 15 mai, intitulé Des lacunes à combler - Directive européenne sur le devoir de diligence des entreprises en matière de durabilité : Recommandations pour une loi efficace pour les détenteurs et détentrices de droits, identifie plusieurs graves lacunes dans la proposition de directive, sur laquelle le Parlement européen votera le 1er juin avant qu’elle ne fasse l’objet de négociations finales entre les organes décisionnels, qui débuteront plus tard dans le même mois.
Un cadre juridique plein d’espoir mais un champ d’application trop étroit
Hannah Storey, conseillère politique d’Amnesty International sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains et autrice du rapport, a déclaré :
« Cette nouvelle législation pourrait poser un cadre juridique et protéger les personnes vivant en Europe et ailleurs dans le monde des dommages causés par les entreprises, en comblant un vide juridique qui permet à certaines sociétés de commettre des atteintes généralisées aux droits humains sans avoir à rendre de comptes.
« Cependant, le champ d’application de la directive telle qu’elle est actuellement formulée par la Commission européenne et les États membres de l’UE est trop étroit. Il ne permettra pas d’empêcher les atteintes aux droits humains liées à l’utilisation finale de nombreux produits, tels que les balles en caoutchouc et d’autres équipements de maintien de l’ordre, qui pourraient toujours être vendus à des services de police ou de sécurité en dehors de l’UE et utilisés pour commettre des violations.
« Par ailleurs, cette législation ne traite pas suffisamment l’impact des activités des entreprises sur le changement climatique. Elle contraint les grandes entreprises à adopter des mesures d’atténuation des effets du changement climatique, mais ne prévoit aucune obligation de mettre celles-ci en œuvre. Et elle ne les tient pas non plus pour responsables des dommages qu’elles pourraient causer sur le climat, alors que le changement climatique est avant tout une question de droits humains.
« Amnesty International engage les député·e·s européens à renforcer le texte proposé par la Commission et les États membres et à élaborer une législation rigoureuse pour mettre fin aux dommages causés par les entreprises et favoriser l’accès des victimes à la justice. »
Des obstacles à la justice parfois décuplés selon le genre et l’origine ethnique
Les victimes d’atteintes aux droits humains ont le droit à un recours effectif. La Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité créera une voie de recours dont le besoin est urgent pour les victimes de dommages liés à l’activité des entreprises, mais elle ne remédie pas aux obstacles que celles-ci rencontrent lorsqu’elles tentent d’accéder à la justice.
Hannah Storey a déclaré : « Quand les peuples autochtones, les ouvriers et ouvrières de l’industrie textile, les paysans pauvres et les défenseur·e·s des droits humains font face à l’influence et au pouvoir des grandes entreprises, la balance de la justice est déséquilibrée.
« Cette directive pourrait grandement améliorer l’accès à la justice, mais elle ne remédie pas aux obstacles existants tels que les coûts élevés et le manque d’accès à l’information, en raison desquels les victimes risquent davantage de rester sans recours. »
Des maillons manquants dans la chaîne de valeur
La Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité oblige les entreprises à exercer une diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement dans le cadre de leurs activités et tout au long de leur chaîne de valeur.
Selon les normes internationales, la chaîne de valeur désigne généralement l’ensemble des activités nécessaires pour créer un produit, comprenant l’extraction des matières premières et l’utilisation d’un produit ou service.
L’utilisation des produits a toutefois été enlevée de la définition retenue par cette directive.
« Limiter la définition de la chaîne de valeur que les entreprises sont tenues d’examiner dans le cadre de leur devoir de vigilance en matière de droits humains et d’environnement, notamment en ne les obligeant pas à rendre des comptes pour l’utilisation finale de leurs produits, risque d’avoir pour conséquence de nombreuses atteintes aux droits humains », a déclaré Hannah Storey.
Quand les peuples autochtones, les ouvriers et ouvrières de l’industrie textile, les paysans pauvres et les défenseur·e·s des droits humains font face à l’influence et au pouvoir des grandes entreprises, la balance de la justice est déséquilibrée.
À titre d’exemple, dans son rapport intitulé « Mon œil a explosé », Amnesty International a révélé que des balles en caoutchouc fabriquées en France avaient été utilisées par les forces de sécurité libanaises pour viser et blesser des manifestant·e·s pacifiques en 2019 et 2020.
« La législation doit obliger les entreprises à examiner toute leur chaîne de valeur pour détecter les éventuels risques concernant les droits humains et l’environnement, afin que des mesures adaptées puissent être prises pour y faire face », a déclaré Hannah Storey.
Des dérogations pour les établissements financiers et les contrôles à l’exportation
Les établissements financiers de l’UE sont actuellement exclus de certaines dispositions de la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, même s’il est établi que certains ont financé des clients qui ont causé ou contribué à causer de graves atteintes aux droits humains.
« La législation doit s’appliquer à toutes les entreprises de tous les secteurs, y compris les établissements financiers, qui doivent être obligés d’exercer une diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement comme toutes les autres entreprises concernées par ces dispositions », a déclaré Hannah Storey.
D’autres dérogations visent les secteurs soumis à des contrôles à l’exportation, comme les armes et les technologies de surveillance
Hannah Storey a déclaré : « Amnesty International estime que les contrôles à l’exportation ne peuvent pas se substituer à une législation fondée sur les droits humains. Les entreprises produisant des articles soumis à ces contrôles doivent être également obligées d’exercer une diligence raisonnable en matière de droits humains et d’environnement en vertu de la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.
« Des personnes ont subi des dommages terribles à cause de l’utilisation abusive de certaines armes et des technologies de surveillance à travers le monde, malgré l’existence de contrôles à l’exportation sur ces produits. »