« S’appuyant sur tout un éventail de moyens de répression – harcèlement, détention arbitraire et torture notamment – le gouvernement de Bahreïn est parvenu à rendre exsangue une société civile autrefois dynamique et à la réduire à quelques voix isolées qui osent encore s’exprimer, a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« La majorité des détracteurs pacifiques, qu’il s’agisse de défenseurs des droits humains ou de militants politiques, estiment qu’il est désormais trop risqué d’exprimer ses opinions à Bahreïn. »
Dans ce rapport, Amnesty International fait état des pays qui fournissent au Bahreïn des équipements qui pourraient servir à cette répression, dont fait partie la Belgique - et plus particulièrement la Région Wallonne - aux côtés de l’Angleterre, du Brésil, de Chypre, des Émirats arabes unis, de la France, de l’Italie, de la Turquie et de la Suisse.
“Depuis 2007, la Région wallonne a accordé des licences d’exportation de matériel de remplacement et de maintenance pour véhicules terrestres chaque année, à l’exception de 2014. Le Registre des armes classiques des Nations unies atteste par ailleurs dans son rapport de 2015 de la livraison par la Belgique de véhicules de combat qui, selon le rapport du Gouvernement wallon, correspondrait à un montant de 3,4 millions d’euros”, explique Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.
L’organisation de défense des droits humains demande dès lors aux États concernés, dont la Belgique et plus précisément la Région wallonne, responsable de l’octroi des licences d’exportation, de cesser tout transfert à ce pays jusqu’à ce que les autorités bahreïnites autorisent des enquêtes indépendantes et impartiales sur les allégations de recours à la force de manière abusive et arbitraire, et s’engagent à n’y recourir que sous le strict respect des standards internationaux.
Répression de la liberté d’expression
Depuis mi-2016, les autorités bahreïnites ont lancé une campagne systématique visant à supprimer la liberté d’expression dans le pays. Les principales cibles de cette répression tous azimuts sont les défenseurs des droits humains, les avocats, les journalistes, les militants politiques, les dignitaires chiites et les militants pacifiques. Le harcèlement et l’intimidation s’appliquent également aux militants installés à l’étranger.
Les autorités invoquent de plus en plus des dispositions du Code pénal bahreïnite qui criminalisent la liberté d’expression pour poursuivre en justice ceux qui ne font qu’exprimer leur opinion.
Le défenseur bien connu des droits humains Nabeel Rajab, président du Centre bahreïni pour les droits de l’homme, est l’un des plus visés à Bahreïn. Il s’agit d’un prisonnier d’opinion. Il a été condamné à deux ans de prison pour des interviews données dans les médias et encourt 15 années supplémentaires, simplement pour avoir envoyé des tweets.
Juste avant d’être de nouveau arrêté en juin 2016, il a déclaré à Amnesty International :
« J’ai été emprisonné à cinq reprises au cours de l’année... La plupart du temps, je n’ai pas le droit de voyager, je suis harcelé, emprisonné, torturé, et ma maison est la cible de tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes... Le gouvernement s’en prend à mes enfants, [ainsi qu’à] ma femme, ma famille, ma mère, qui est décédée alors que j’étais en prison et que je n’ai pas pu revoir avant sa mort. »
Torture
Entre juin 2016 et juin 2017, Amnesty International a reçu des informations concernant neuf cas de détracteurs torturés en détention, dont huit au cours du seul mois de mai 2017.
La militante des droits humains Ebtisam al Saegh en fait partie. Elle a déclaré que le 26 mai, elle a eu les yeux bandés, a été agressée sexuellement, frappée et maintenue debout pendant la majeure partie des sept heures qu’a duré son interrogatoire aux mains de l’Agence de sécurité nationale (NSA). « Ils m’ont volé mon humanité », a-t-elle déclaré.
« Nous avons eu connaissance de terribles allégations de torture à Bahreïn. Elles doivent faire l’objet d’investigations rapides et efficaces, en vue de traduire en justice les responsables présumés », a déclaré Philip Luther.
Amnesty International demande aux autorités de Bahreïn d’autoriser la venue du rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, et d’organisations internationales de défense des droits humains, dont Amnesty International, afin de surveiller la situation des droits humains qui se détériore.
Démantèlement de l’opposition politique
Durant cette période d’un an, le gouvernement bahreïnite a lancé une campagne d’accusations infondées visant à démanteler l’opposition politique, dissoudre al Wefaq, principal mouvement d’opposition, et Waad, parti d’opposition laïc. Des dirigeants politiques et des membres de mouvements d’opposition ont été emprisonnés ou pris pour cibles. En mai 2017, les autorités ont intensifié leurs actions visant à faire taire les militants politiques en les arrêtant pour interrogatoire. Certains ont affirmé avoir été menacés, torturés ou maltraités.
Répression contre la liberté de réunion
Les événements qui se sont déroulés dans le village de Duraz, où vit le guide spirituel chiite Issa Qassem, illustrent la manière dont la liberté de réunion est réprimée. Le gouvernement l’ayant déchu de manière arbitraire de sa nationalité en juin 2016, de grandes manifestations ont éclaté dans tout le pays et un sit-in permanent a été organisé pendant 11 mois devant chez lui.
En réaction, les autorités bahreïnites ont invoqué la loi pour interdire les rassemblements pacifiques. Plus de 70 manifestants, dignitaires chiites et militants ont été inculpés de participation à un « rassemblement illégal » entre juin et novembre 2016.
Depuis le début de l’année, les forces de sécurité, dont la NSA, recourent de plus en plus à la violence pour gérer des manifestations largement pacifiques. Amnesty International a recueilli des informations faisant état de manifestants frappés, de tirs de gaz lacrymogènes, de tirs de fusil et d’armes semi-automatiques directement sur les manifestants, et de véhicules blindés et de transport de troupes conduits dans les manifestations.
Mustapha Hamdan, 18 ans, est mort d’une balle dans la nuque alors qu’il tentait d’échapper à des membres des forces de sécurité masqués, en janvier 2017. Cinq personnes, dont un mineur de 17 ans, ont été tuées lors des affrontements à Duraz au mois de mai, des centaines d’autres ont été blessées et 286 arrêtées. Trente-et-un membres des forces de l’ordre ont été blessés.
« Les perspectives en matière de droits humains à Bahreïn sont bien sombres si les autorités poursuivent sans frein cette répression. Elles doivent commencer par maîtriser les forces de sécurité, libérer les prisonniers d’opinion et autoriser les organisations de la société civile interdites à reprendre leurs activités. Enfin, elles doivent veiller à ce que les victimes de torture et d’autres graves violations obtiennent justice. » a déclaré Philip Luther.
Une réponse internationale totalement inadaptée
Malgré la situation qui se dégrade et les violations flagrantes des droits humains perpétrées à Bahreïn, la plupart des gouvernements du globe se taisent ou modèrent leur critique. Parmi eux le Royaume-Uni et les États-Unis, deux pays qui jouissent d’une forte influence à Bahreïn, mais également la Belgique.
La Belgique, et la Région wallonne en particulier, doivent poser un geste fort pour ne pas se rendre indirectement coupables des graves violations des droits humains dont sont victimes les voix discordantes au Bahreïn.
“Livrer du matériel de combat à un gouvernement qui pourrait l’utiliser pour réprimer les droits fondamentaux de son peuple est une forme de complicité avec le pouvoir en place. La Belgique est très active sur la scène internationale en faveur du respect des droits humains. On ne peut tolérer que des entités fédérées participent directement ou indirectement à cette répression violente et sanglante”, souligne Philippe Hensmans.