Le coût meurtrier de la défense de l’environnement Par Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International

Un beau soir, dans la chaleur de la forêt tropicale amazonienne du Venezuela, la militante Lisa Henrito a entendu son nom à la télévision nationale : un responsable des forces armées l’accusait de « haute trahison » et lui reprochait d’être à la tête d’un mouvement visant à former une nation indigène.

Dix jours plus tôt, lors d’un rassemblement de personnes indigènes dans la ville de Puerto Ordaz, Lisa Henrito avait déclaré que les États étaient tenus de respecter et de reconnaître les droits des peuples indigènes sur leurs territoires et leurs ressources ; cela aurait un impact majeur sur la progression de la militarisation et de l’exploitation financière de l’Amazonie vénézuélienne.

La relation unique entre les peuples indigènes et leurs terres ancestrales est largement reconnue par le droit international relatif aux droits humains. Cette relation privilégiée est essentielle tant pour leurs moyens de subsistance que pour l’intégrité culturelle de leur identité. Les peuples indigènes ont fait preuve d’une grande résilience dans leur combat pour la protection des droits relatifs à la terre, au territoire et à l’environnement, mais cette lutte, partout sur la planète, est de plus en plus risquée.

Au Venezuela, dans une zone menacée par des projets de grande ampleur tels que l’Arc minier de l’Orénoque (pour lesquels le consentement préalable et éclairé des peuples indigènes n’a pas été sollicité, et aucune étude d’impact sur l’environnement n’a été rendue publique, ce qui signifie que les dommages potentiels sur leurs territoires n’ont pas pu être évalués), les dangers auxquels s’exposent ces gardiens de la terre et de l’environnement augmentent au fur et à mesure que les ressources naturelles s’épuisent et que la recherche effrénée de matières premières s’intensifie. Les violences sont à la hausse.

Comme des milliers d’autres personnes qui défendent l’environnement dans la région, Lisa Henrito paie très cher son engagement en faveur des droits humains. Son nom figure désormais sur la liste des personnes persécutées pour s’être élevées contre l’exploitation qui menace les derniers sanctuaires naturels de la planète.

La criminalisation et les campagnes visant à discréditer la défense des droits humains sont un type de violence aujourd’hui couramment exercé par les États de la région. Les propos stigmatisants tenus par les autorités vénézuéliennes pour montrer du doigt et « accuser » Lisa Henrito sont une forme de violence institutionnelle qui met en danger sa vie et son intégrité physique, ainsi que la vie de tous les défenseurs et dirigeants indigènes qui dénoncent des violations des droits humains.

Au Honduras, Berta Cáceres, dirigeante et défenseure renommée de la communauté indigène lenca, a été confrontée à une situation similaire. Victime de la série d’assassinats qui a touché les défenseurs de l’environnement, cette dirigeante du Conseil civique d’organisations indigènes et populaires du Honduras (COPINH) ne savait que trop bien que pour nos peuples indigènes, la défense de la terre est synonyme de préservation culturelle et de survie d’un mode de vie qui reconnaît sa dépendance totale envers la nature.

En raison de ses vastes richesses naturelles, qui attirent l’exploitation commerciale, et de la mise en œuvre d’un modèle économique qui a déjà révélé son caractère non durable, l’Amérique latine, où sont commis environ 60 % des assassinats visant des défenseurs de l’environnement, est le lieu le plus meurtrier au monde pour les militants écologistes.

En 2016, 40 % de ces défenseurs étaient des membres de peuples indigènes ; en 2017, au Mexique, le rapport entre les personnes indigènes tuées pour avoir cherché à protéger leurs terres ancestrales et l’ensemble des défenseurs tués était de 13 sur 15. Le 24 octobre 2018, Julián Carrillo, défenseur des droits fondamentaux des Rarámuris, a été assassiné par un groupe armé dans la Sierra Tarahumara, à Chihuahua (Mexique), malgré les mesures prises par les autorités mexicaines pour le protéger. Julián Carrillo défendait depuis des années les terres et l’environnement contre l’exploitation forestière illégale, l’exploitation des ressources et la présence du crime organisé.

Malgré les protestations internationales et les mesures cosmétiques mises en œuvre au niveau des États, la situation des défenseurs de l’environnement dans la région ne s’est guère améliorée. Au contraire, des rapports d’organisations de défense des droits humains montrent que le risque d’être tué quand on défend l’environnement et le territoire augmente chaque année.

Depuis 2016, Amnesty International signale qu’il s’agit de la région la plus dangereuse pour les personnes qui défendent les droits humains, le Honduras étant le pays le plus risqué pour les défenseurs de l’environnement. Nous sommes maintenant profondément préoccupés par le fait que le Venezuela se dirige dans la même direction. Si des mesures ne sont pas adoptées pour protéger les défenseurs des droits humains, le Venezuela risque de se retrouver sur la liste des lieux où défendre l’environnement et les territoires indigènes est synonyme de persécution et de mort.

Au Venezuela aujourd’hui, Lisa Henrito et son peuple font face à une volonté de prise de contrôle de l’Amazonie, sous prétexte de sécurité publique, qui vise à démobiliser et à chasser les communautés des peuples indigènes afin de faciliter les opérations minières et l’exploitation des ressources naturelles.
La militarisation des ressources, en particulier dans l’Amazonie, riche en minéraux et en biodiversité, n’est pas un phénomène nouveau, tout comme l’implication de représentants de l’État dans la criminalisation, le harcèlement, voire les assassinats dont des militants écologistes sont victimes.

Cette stratégie du gouvernement vénézuélien intervient alors qu’une grave crise économique et une crise alarmante des droits humains affectent de manière disproportionnée les groupes marginalisés tels que les peuples indigènes.

Les États et les entreprises travaillent ensemble à des projets qui alimentent les inégalités, placent les intérêts financiers de quelques-uns au-dessus des droits fondamentaux de la majorité, et méconnaissent le droit à la vie des personnes qui s’élèvent pour défendre leur territoire.

La justice n’est qu’un vain mot pour les défenseurs des droits humains dans la ligne de mire, comme en témoignent les nombreuses lacunes des enquêtes menées sur les assassinats de défenseurs tels que Berta Cáceres au Honduras, Isidro Baldenegro au Mexique et Sabino Romero au Venezuela. De même, le harcèlement et la criminalisation systématiques dont la défenseure péruvienne Máxima Acuña est la cible illustrent la complicité des autorités et montrent qu’elles peuvent aller très loin pour soutenir le développement non durable.

Les gouvernements de la région n’ont pas la volonté politique de mettre fin à ce phénomène, mais il est impératif qu’ils s’engagent à protéger les personnes qui défendent l’environnement, sachant que les peuples indigènes ont besoin de mesures de protection sensibles à leur culture et respectueuses de leurs juridictions particulières et des cadres normatifs nationaux et internationaux.

Les mesures de protection collectives et individuelles doivent répondre non seulement aux contextes et aux menaces, mais aussi aux risques liés au genre et à la culture.

Aucun métal, aucune pierre précieuse ne vaut une vie humaine ni la destruction des cycles écologiques fragiles dont nous dépendons toutes et tous pour l’exercice de nos droits humains les plus élémentaires.
En tant que sociétés, il est de notre devoir de continuer à exiger des États qu’ils protègent les personnes qui, comme Lisa Henrito et les milliers de dirigeants indigènes, prennent soin de l’environnement et de nos ressources communes et les défendent, car ce sont ces personnes qui s’emploient sans relâche à tracer la voie vers un présent et un avenir durables.

Cet article a initialement été publié en espagnol par El Nacional.

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