Il y a quatre ans, Human Rights Watch et Amnesty International – se joignant à des centaines d’autres intervenants – ont demandé au Conseil de sécurité des Nations unies de saisir la Cour pénale internationale (CPI) des crimes atroces commis en Syrie, afin qu’elle engage des poursuites.
Le conflit avait alors déjà fait quelque 100 000 morts. Aujourd’hui, on estime à plus d’un demi-million le nombre de morts, et de nouvelles violations et de nouveaux homicides illégaux sont commis jour après jour.
Pourtant, la CPI n’a pas été en mesure de réagir. Le veto opposé par la Russie au Conseil de sécurité continue de bloquer un processus qui permettrait aux victimes en Syrie d’obtenir justice. D’autres membres du Conseil, notamment les États-Unis, ont également utilisé ou menacé d’utiliser leur droit de veto pour bloquer l’action du Conseil de sécurité concernant d’autres terribles crimes.
Cette triste situation représente un revirement par rapport à l’été 1998, quand de nombreux gouvernements, soutenus par des organisations non gouvernementales (ONG), se sont réunis à Rome pour donner naissance à la CPI. Un grand nombre de grandes puissances, parmi lesquelles les États-Unis, se sont opposées à ces démarches, mais de petits pays et des pays de taille moyenne ont soutenu cet élan finalement fugace. Ces gouvernements, guidés par une foi dans le multilatéralisme faisant suite à la guerre froide et réagissant aux génocides commis au Rwanda et en ex-Yougoslavie, ont voulu concrétiser un projet de longue date resté lettre morte visant à créer une cour pénale internationale permanente. Le Satut de Rome, document fondateur de la Cour, a ainsi été adopté le 17 juillet 1998, et la Cour a été mise en place quatre ans plus tard.
La CPI est une instance de dernier ressort chargée de juger les crimes internationaux les plus graves, notamment les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. La Cour peut agir dans tous les pays qui ont adhéré au traité – on dénombre actuellement 123 membres de la CPI –, mais pour les pays qui n’y ont pas adhéré, comme la Syrie, il est nécessaire que la Cour soit saisie d’une situation donnée par le gouvernement ou par le Conseil de sécurité des Nations unies. Malgré des limitations telles que celles-ci, la création de la Cour représente une victoire extraordinaire qui a fermement établi une avancée du côté de la justice et de la protection des droits humains.
La Cour peut agir dans tous les pays qui ont adhéré au traité – on dénombre actuellement 123 membres de la CPI –, mais pour les pays qui n’y ont pas adhéré, comme la Syrie, il est nécessaire que la Cour soit saisie d’une situation donnée par le gouvernement ou par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Actuellement, la Cour mène des enquêtes formelles sur 10 pays. Mais il est nécessaire qu’elle intervienne également ailleurs, au vu des atrocités commises massivement dans de nombreuses régions du globe. La Cour a réagi en cessant de concentrer ses activités sur l’Afrique uniquement. Par exemple, la volonté de la procureure de la CPI d’ouvrir une enquête sur l’Afghanistan pourrait permettre de mettre en cause des ressortissants des États-Unis soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre dans ce pays. Le gouvernement de Donald Trump va probablement farouchement s’opposer à une telle initiative. Or, elle permettrait de prouver que la CPI a la capacité d’enquêter sur des acteurs autrefois « intouchables » et que nul n’est au-dessus de la loi, battant ainsi en brèche l’idée fausse selon laquelle la Cour ne cible que des dirigeants africains. De la même manière, le fait que la Palestine, qui a ratifié le Statut de Rome, ait récemment demandé à la CPI d’enquêter sur des crimes de guerre commis sur son territoire attire l’attention de la Cour sur une situation qui dure depuis 10 ans d’impunité quasi totale aussi bien pour les forces israéliennes que pour les forces palestiniennes.
Mais parallèlement à cette nécessité, la Cour est confrontée à des défis de taille. Certains de ces défis étaient prévisibles dans la mesure où la Cour devient plus efficace et commence à enquêter sur des États puissants ou à compromettre leurs intérêts. Mais cette explication ne suffit pas.
La Cour a besoin d’améliorer son mode de fonctionnement afin d’être plus efficace. Elle pâtit de procédures interminables, d’enquêtes insuffisantes pour les affaires qu’elle a traitées à ses débuts, et d’une stratégie de choix des affaires qui ne correspond pas toujours à ce qui est le plus important pour les victimes.
Le bureau de la procureure aurait tout intérêt à établir des priorités claires parmi les pays sur lesquels elle travaille et au sein de ces pays, et à respecter ces priorités.
Mais il appartient également aux États membres de soutenir la CPI. Tout comme d’autres institutions de protection des droits humains, la Cour doit lutter contre un manque de volonté politique de la part de gouvernements qui lui accordent ostensiblement leur soutien, en particulier quand il s’agit d’arrêter des suspects. Il est évidemment plus difficile de respecter ses obligations en pratique qu’en principe. Quinze mandats d’arrêt de la CPI ne sont actuellement pas exécutés. De plus, les marchandages préjudiciables parmi les membres de la CPI portant sur une réduction du budget de la Cour ont déplacé le débat, qui devrait en fait être centré sur la façon de bâtir une institution efficace.
La CPI se heurte également, de manière tout à fait prévisible, à l’opposition de dirigeants ayant des raisons de craindre la mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes.
Face à d’éventuelles enquêtes de la CPI, le Burundi et les Philippines ont annoncé leur retrait de la CPI, et le Burundi a à présent officiellement quitté la CPI. Comme le montre l’enquête maintenant ouverte sur le Burundi, le retrait de la CPI n’a en fait que peu d’effets juridiques en ce qui concerne l’aptitude de la Cour à engager des poursuites sur des crimes commis dans le passé. Le Kenya a tenté d’orchestrer un retrait massif de pays africains à l’époque où des poursuites étaient en instance devant la CPI contre le président du pays et son vice-président, soupçonnés d’avoir organisé des attaques contre les sympathisants de leur adversaire à la suite de l’élection contestée de 2007. Cette tentative a échoué en raison de la forte opposition d’autres gouvernements africains et de la société civile africaine.
Pour contrer de telles attaques, les États membres doivent profiter de chaque occasion qui se présente de soutenir la Cour. Les États membres qui se sont plaints d’une certaine partialité doivent soutenir la Cour quand elle ouvre des enquêtes en dehors de l’Afrique. Concrètement, cette aide consiste notamment à exercer des pressions pour que soient exécutés les mandats d’arrêt en instance et à veiller à ce que la Cour dispose des fonds nécessaires pour faire son travail.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas uniquement le succès d’une institution prise isolément. Le « système » du Statut de Rome est un réseau composé des tribunaux nationaux des États membres de la CPI. L’obligation de rendre des comptes inscrite dans le traité de la CPI sert de catalyseur pour les autres initiatives visant à obtenir justice telles que le mécanisme d’enquête soutenu par l’ONU créé pour la Syrie qui doit servir à contourner le veto de la Russie au Conseil de sécurité. Ce mécanisme n’est pas un tribunal, mais il peut constituer des dossiers prêts pour un procès pour des enquêtes nationales ou internationales quand des suspects sont arrêtés et quand les moyens internationaux d’obtenir justice deviennent disponibles.
À l’approche du 20e anniversaire du traité de la CPI, il est temps de renouveler l’engagement envers cette institution historique et que d’autres États rejoignent la Cour.
Nous vivons actuellement des heures sombres que les fondateurs de la Cour avaient anticipées, mettant en garde dans le traité contre le fait que la « mosaïque délicate [que forment les peuples unis par des liens étroits peut] être brisée à tout moment ». Ils croyaient créer une institution garantissant la protection par la loi des valeurs les plus fondamentales, à savoir les valeurs d’égalité, de dignité et de justice. Il est d’une importance fondamentale de ne pas abandonner ces objectifs. Nous demandons aux membres de la communauté internationale qui ont soutenu la création de la CPI de travailler main dans la main avec les hauts responsables de la Cour afin de garantir, face à l’adversité, le renforcement et non l’affaiblissement de son combat contre l’impunité.