La CPI doit se poser en tant que défenseure de la justice face aux abus de pouvoir

Vingt ans se sont écoulés depuis l’adoption à Rome du Statut de la Cour pénale internationale (CPI), et son objectif principal consistant à mettre fin à l’impunité est encore bien loin d’être atteint, à tel point qu’en cette date anniversaire, de nombreuses personnes soutenant la justice internationale se demandent sans doute ce qu’il faut attendre de l’avenir. La réponse est simple : la Cour pénale internationale doit être déterminée à mettre la justice au pouvoir.

Le monde a beaucoup changé par rapport à ce qu’il était en 1998. Pendant une brève période au tournant du siècle, les droits humains ont dominé l’agenda international. À la suite des atrocités perpétrées en ex-Yougoslavie et au Rwanda, la grande majorité des États et des organisations de la société civile à travers le monde ont voulu mettre en place un système permanent de justice internationale.

Malheureusement, depuis les événements du 11 septembre 2001, le soutien des États en faveur de tels idéaux s’est essoufflé. Le Statut de Rome n’aurait pas vu le jour si les négociations avaient eu lieu à l’heure actuelle. Le monde est plus que jamais en proie à des conflits armés, et les civils continuent d’être les principales victimes de ces violences. La « guerre » contre le terrorisme et contre le trafic de stupéfiants, ainsi que la répression et l’exploitation menées par des acteurs étatiques et non étatiques, y compris des entreprises, se sont intensifiées dans presque toutes les régions du monde. Les politiques extrémistes prônant la haine pour des motifs de religion ou de race, la misogynie ou encore la persécution de communautés marginalisées ont gagné du terrain dans un nombre inquiétant de pays. Des abus de pouvoir ont été dénoncés quasiment partout où il y a un pouvoir.

Dans un tel contexte, le système de justice internationale créé à Rome doit représenter une lueur d’espoir en ce qui concerne la reddition de comptes, et la CPI doit constituer un puissant mécanisme de lutte contre les abus de pouvoir. Or, la situation est actuellement tout autre. Cela est en partie dû au fait que le Conseil de sécurité de l’ONU s’est souvent abstenu de saisir la CPI de situations telles que celle de la Syrie.

Depuis sa mise en place en 2002, le Bureau du procureur de la CPI a la plupart du temps appelé trop mollement les autorités nationales à respecter leurs obligations fondamentales en matière de reddition de la justice dans le cadre de ses compétences ; été trop conciliant à l’égard des graves déficiences des mesures adoptées au niveau national en matière de justice ; mis trop de temps à ouvrir des enquêtes, sauf en Afrique ; et a trop rechigné à engager des poursuites contre ceux qui détiennent le pouvoir, en particulier au niveau étatique. Lorsque la Cour est intervenue, elle n’a pas toujours été un modèle de respect des droits à un procès équitable [1] et du principe de traitement équitable des victimes [2], tant s’en faut. De plus, le soutien, la coopération (en particulier en ce qui concerne l’arrestation et le transfert des suspects) et les ressources [3] apportés par les États parties ont été et demeurent insuffisants.

Le fait est que dans un contexte où des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sont commis à un rythme alarmant, la CPI ne mène actuellement que trois procès, et les procès à venir sont peu nombreux.

Pour toutes ces raisons, il n’y a pas grand-chose à fêter à l’occasion de ce 20e anniversaire de la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unies sur la création d’une cour criminelle internationale. Bien au contraire, cette date correspond à un point critique en matière de justice internationale, et l’avenir est fort incertain. La CPI va devoir travailler très dur pour rétablir sa crédibilité, au vu des défaillances qui ont marqué ses premières années, notamment en pilotant une Assemblée des États parties qui manque d’ambition et en regagnant la confiance des organisations de la société civile qu’elle a déçues.

La CPI a le mérite d’avoir commencé à prendre des mesures appréciables pour renforcer ses activités, même si beaucoup reste encore à faire. Les stratégies du Bureau du procureur de la CPI concernant les examens préliminaires, la sélection des affaires et les poursuites pour les crimes sexuels et liés au genre (négligés dans certaines des premières affaires traitées [4]) permettront dans une large mesure de pallier nombre de ses insuffisances, à condition qu’elles soient appliquées totalement et de façon transparente et cohérente. La Cour prend également d’importantes mesures pour revoir [5] le niveau d’assistance juridique fourni à la défense, qui est faible par rapport à d’autres cours pénales internationales, et améliorer ses stratégies concernant les victimes.

Les nouvelles initiatives prises par le Bureau du procureur de la CPI pour ouvrir une enquête sur l’Afghanistan, notamment sur les allégations d’actes de torture commis par les forces des États-Unis, et pour mener un examen préliminaire [6] au sujet des homicides commis dans le contexte de ce que le gouvernement des Philippines appelle la « guerre contre la drogue » sont fort appréciables et elles peuvent enfin [7] permettre de réparer les dégâts engendrés par le fait qu’elle s’est focalisée sur les acteurs non étatiques en Afrique. De plus, ces mesures, qui visent certains des pires abus de pouvoir relevant de la compétence de la CPI, sont essentielles pour démontrer la nécessité de cet organe en cet instant de notre histoire.

L’idée consistant à utiliser le droit pénal international pour mettre la justice au pouvoir n’a rien de révolutionnaire, car elle est au cœur du projet de justice pénale internationale, même si sa mise en œuvre est extrêmement décevante. Robert H. Jackson a ainsi déclaré en 1945 : «  Nous n’acceptons pas ce paradoxe selon lequel la responsabilité juridique occuperait la dernière place et le pouvoir prédominerait. Nous défendons le principe de la responsabilité des gouvernements […] qui veut que même un roi se trouve "inféodé à Dieu et à la loi". »

Un certain nombre de dispositions du statut de la CPI (notamment l’article 27 sur le
« Défaut de pertinence de la qualité officielle ») permettent tout particulièrement à la Cour d’engager des poursuites contre ceux qui détiennent le pouvoir. L’obligation qui incombe au Bureau du procureur de la CPI de remplir ses fonctions de façon impartiale et objective implique implicitement qu’il est tenu de se confronter aux enquêtes et affaires les plus sensibles sur le plan politique, et de ne pas s’en détourner craintivement.

Bien entendu, il n’est jamais facile de faire prédominer la justice. Il pourrait sembler contraire à la logique, d’un point de vue politique, de promouvoir de telles mesures alors que les États refusent souvent d’apporter à la Cour le soutien dont elle a besoin, et alors que le président soudanais Omar el Béchir continue d’échapper à une arrestation et à son transfert à la Cour. Mais la CPI n’est pas, et ne doit jamais devenir, une institution politique. Il s’agit d’un organe judiciaire et sa force dépend avant tout de son intégrité, de son impartialité et de son indépendance dans la conduite de sa mission de justice.

Afin qu’elle puisse amener ceux qui détiennent le pouvoir à répondre de leurs actes, le comportement de la CPI dans l’exercice de ses pouvoirs doit être irréprochable, quelle que soit la situation. Le Bureau du procureur de la CPI doit « sans crainte ni parti pris [8] » veiller activement à l’application de la justice dans toutes les situations qui relèvent de sa compétence, en dépit des obstacles ou des conséquences politiques. Sa priorité, dans l’immédiat, doit être de mener un examen préliminaire, qui n’a que trop tardé, sur les allégations de crimes contre l’humanité commis dans le cadre de la soi-disant « guerre contre la drogue » menée au Mexique [9], et de prendre dans les meilleurs délais des décisions transparentes et convaincantes sur l’opportunité d’ouvrir des enquêtes sur les crimes commis en Colombie, en Guinée, en Irak, au Nigeria, en Palestine et en Ukraine. Elle doit dans toutes ses enquêtes examiner la responsabilité pénale des acteurs étatiques et non étatiques, y compris en élargissant le champ de ses investigations pour y inclure la complicité des entreprises, le cas échéant.

Le fait de déférer à la justice ceux qui détiennent le pouvoir entraîne inévitablement des relations instables avec les États. Il s’agit d’une conséquence inévitable de l’indépendance de la CPI, et cela représentera toujours une difficulté pour la Cour. Le fait que l’Afrique du Sud ait cherché à se retirer [10] du Statut de Rome montre bien que même les plus ardents défenseurs de la CPI peuvent changer d’avis quand leurs intérêts géopolitiques sont impactés par les activités de la Cour. Cependant, la détermination de la Cour ne doit pas être entamée par le risque probable d’attaques politiques et de difficultés à obtenir le soutien, la coopération et les ressources nécessaires.

Il est regrettable de constater que la Cour a trop souvent manqué de détermination face à de semblables pressions politiques, comme par exemple lorsque la présidente de la CPI a avec obséquiosité fait remarquer [11] lors de la dernière Assemblée des États parties que « ce 20e anniversaire offre l’occasion de discuter de la question de savoir si la communauté de la CPI est prête à soutenir pour les 20 prochaines années une Cour puissante et efficace ».

En tant qu’organe chargé de requérir l’application de la loi et de mener des procès, la CPI ne doit en aucun cas se placer ainsi à la merci des États.

Elle doit bien au contraire se sortir de la crise actuelle en ayant une vision très claire de son action et en présentant ses requêtes aux États parties avec la plus grande détermination, aussi impopulaire soit-elle auprès de certains d’entre eux. Tout d’abord, elle doit cesser de laisser les pressions exercées par l’Allemagne, le Canada, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni influer sur le montant de ses demandes de budget annuel, et exiger les ressources dont elle a besoin pour fonctionner efficacement en 2019 et pour les années suivantes.

Même si le soutien des États ne peut jamais être garanti, il sera plus facilement obtenu si la CPI regagne la confiance et le soutien actif des milliers d’organisations de la société civile qui ont soutenu sa création et si la Cour obtient du public un plus large soutien pour son action. Même si les organisations de la société civile sont actuellement déçues par le travail de la CPI, elles se remettront certainement à soutenir la Cour si cette dernière intensifie ses efforts pour que les victimes obtiennent justice. Si les médias sophistiqués, les informations destinées au public et les stratégies relatives aux réseaux sociaux promeuvent davantage le travail de la CPI visant à obtenir justice pour les pires abus de pouvoir, la Cour peut alors soulever l’enthousiasme de millions de personnes.

À un moment ou un autre cette année, quelqu’un va forcément poser la question de savoir si la CPI existera toujours dans 20 ans. Cela dit, l’objectif de la justice internationale ne doit pas se limiter à la survie de ses institutions. Il serait donc plus pertinent de se demander si la CPI deviendra la cour équitable, juste et efficace dont nous avons rêvé à Rome. Cet objectif n’est pas hors d’atteinte si le Bureau du procureur de la CPI se montre davantage ambitieux et déterminé dans l’accomplissement de sa tâche consistant à déférer à la justice les responsables des pires abus de pouvoir, et si la Cour a la volonté de se battre pour obtenir le soutien dont elle a besoin.

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