Dans cette région, l’énergie éolienne est devenue le symbole de l’idéal de développement « durable » pour les administrations gouvernementales locales, étatiques et fédérales et le mot d’ordre pour évoquer le développement et l’investissement. L’installation de près de 2 000 éoliennes a cependant eu de graves conséquences pour les dynamiques de la vie quotidienne.
Dans les communautés où sont mis en œuvre les projets, les répercussions du capital privé sur les dynamiques sociales, économiques et culturelles se font ressentir. Des « enclaves éoliennes » ont été créées à des points clefs (sélectionnés pour leurs caractéristiques politiques et économiques), ce qui a entraîné une hausse des prix des services et des logements, une augmentation de la prostitution et l’implantation de chaînes de supermarchés, de restauration rapide et de restaurants, en vue de répondre aux besoins des travailleurs étrangers des entreprises (au détriment du marché local).
Le projet éolien colossal dans l’isthme de Tehuantepec illustre la manière dont les caractéristiques expansionnistes du supposé « développement » reproduisent les dispositions illégales des contrats de location et les conséquences néfastes pour la vie des communautés dans la région. L’objectif de ces projets est de garantir la continuité du modèle d’accumulation capitaliste et non pas l’atténuation du changement climatique. Une fois de plus, la technologie est employée comme arme du capital et des projets sont proposés alors qu’ils ne sont pas adaptés, qu’ils restent hors de portée des populations et que les avancées technologiques nécessaires à l’approvisionnement des énergies renouvelables coûtent cher et requièrent une certaine capacité financière et infrastructurelle. Par conséquent, les pays aux économies fragiles, et surtout les populations de ces pays, ont un accès limité à ces technologies, alors que les acteurs privés en profitent largement.
Face à ces dynamiques, la résistance locale dans l’isthme de Tehuantepec continue de s’adapter. Il ne s’agit pas seulement de s’opposer aux projets des multinationales du capitalisme vert, mais bien d’une lutte pour la défense du territoire face aux projets néolibéraux d’accaparement. Nous luttons pour la sauvegarde du mode de vie dans l’isthme, que l’on appelle binnizá e ikoojts, une vie liée au maïs (maïs endémique de la région appelé zapalote chico ou xhuuba’huiini), à la tomate, aux crevettes et au poisson. Nous luttons pour défendre un espace commun, un espace de vie. C’est là l’alternative que propose l’isthme de Tehuantepec, la légitimité de notre décision de rester une communauté.
« Tant que les projets qui menacent nos territoires continueront, notre lutte continuera aussi. »
Et nous nous demandons, encore et toujours : que nous reste-t-il, à nous, après tout cela ? L’arrivée des parcs éoliens était pleine de grandes promesses de progrès, de développement et d’opportunités, et s’accompagnait d’un discours sur la coresponsabilité environnementale face au changement climatique. On a imposé au territoire de l’isthme la responsabilité de contribuer aux objectifs internationaux d’atténuation du changement climatique, que le gouvernement mexicain a signés, sans même que les besoins énergétiques de notre région ou les conséquences du changement climatique pour nos communautés aient été pris en considération. Les politiques dites d’atténuation ont ouvert un nouvel espace permettant aux mêmes entreprises de continuer de mener les mêmes projets nocifs sur nos territoires, mais avec une apparence écologique.
Aujourd’hui, notre territoire est de nouveau menacé par une seconde phase du projet éolien visant à dupliquer l’énergie produite dans la région. Ce projet aggrave aussi l’accaparement du territoire qui est offert au capital financier international pour le sinistre projet de couloir interocéanique. Cela suppose la mise en place d’un couloir de communication et de transfert de marchandises de l’océan pacifique au golfe du Mexique par un train à grande vitesse qui profitera de l’avantage géopolitique de la traversée de l’isthme. Le projet interocéanique est évoqué depuis plusieurs siècles et, finalement, grâce à un discours progressiste mensonger, il va être réalisé et va même être accompagné d’une autoroute, de deux ports d’altitude et d’une ligne de gazoduc reliant Coatzacoalcos, Veracruz, Salina Cruz, Oaxaca et allant vers le sud jusqu’en Amérique centrale.
Les décisions internationales relatives aux actions des États et des gouvernements face à la crise climatique, comme celles prises à la COP-27 en Égypte, continuent d’avoir des conséquences pour la vie de centaines de communautés autochtones tout en garantissant la croissance verte du capitalisme. Au Mexique, les discussions relatives à l’énergie sont exclusives et perpétuent le statut de fournisseur de services et de matières premières pour l’industrie attribué aux des zones rurales et autochtones. Cela s’applique aux technologies tant fossiles que renouvelables, puisque les schémas d’exploitation industrielle restent les mêmes, sont mis en œuvre par les mêmes entreprises d’énergies fossiles qui produisent des déchets et accumulent des biens et des ressources et qui sont responsables de la crise environnementale actuelle.
Tant que les projets qui menacent nos territoires continueront, notre lutte continuera aussi. Nous continuerons de clamer qu’il ne revient à personne d’autre que nous de décider ce qui se passe sur nos terres. Malgré la pression qui nous est imposée pour nous faire abandonner ce qui fait de nous une communauté, nous continuerons de vivre notre identité. Nous savons que notre existence est un obstacle pour les intérêts colonialistes depuis plus 500 ans, et nous continuerons d’être un obstacle.
Dans l’isthme de Tehuantepec, nous continuons de résister à ces projets sur notre territoire, en première ligne de la défense de la vie, et nous exigeons le respect de la libre détermination et de la volonté des populations autochtones, particulièrement de la communauté de Puente Madera, qui résiste à l’installation du Parc industriel du couloir interocéanique sur ses terres.
Bettina Cruz et Rosa Marina Flores Cruz font partie de l’organisation Asamblea de Pueblos Indígenas del Istmo en Defensa de la Tierra y el Territorio, qui lutte pour la défense des terres des communautés et l’autodétermination des populations autochtones.