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« Je m’appelle Nadia Thalia Filippidou. Je vis et travaille à Limassol, à Chypre. J’ai deux enfants âgés de 8 et 9 ans, et quelque chose d’impensable est en train de m’arriver.
Durant l’été 2015, nous avions prévu de visiter Malte. J’étais très fatiguée à l’époque, et je voulais prendre quelques jours de vacances avec ma famille. J’avais rempli tous les documents nécessaires pour que mon mari, Ahmed, puisse voyager avec moi.
Cet été-là, la situation en Syrie était devenue extrêmement difficile, particulièrement dans la région où les parents de mon mari vivaient. Ces derniers nous appelaient régulièrement en pleurant. “Aidez-nous, aidez-nous, on entend un avion arriver, mon Dieu, ils vont finir par nous tuer” nous disaient-ils. Ils pleuraient tellement qu’on ne savait pas s’ils seraient capables de supporter ça plus longtemps. Nous tentions de leur donner du courage.
Nous ne sommes finalement pas partis à Malte.
Le 8 septembre 2015, mon mari est parti rejoindre ses parents âgés, son frère et sa famille à Istanbul. C’est en effet ce jour-là qu’ils ont quitté la Syrie pour fuir la guerre. Comme mon mari parle anglais, il était en mesure de les aider. Ils souhaitaient fuir vers un pays sûr et, comme l’Allemagne acceptait les réfugiés syriens à ce moment-là, leur idée était d’aller là-bas. Ils ont tenté de rejoindre l’Allemagne depuis Istanbul par train ou par bus, mais sans succès. Ils ont alors décidé de suivre la même route que tous les autres réfugiés, en prenant un bateau depuis la Turquie vers la Grèce, pour ensuite traverser les Balkans jusqu’à leur destination. Cela me paraissait être un voyage pénible, empreint de difficultés, et je ne savais pas comment ils pourraient y arriver.
Ahmed H fait tout ce qu’il peut pour aider ses parents à trouver un lieu sûr
Pourtant, ils y sont arrivés. Tous, sauf mon mari, qui est toujours loin de moi. Ils ont traversé la Grèce, puis les Balkans, jusqu’à la frontière entre la Serbie et la Hongrie, qui venait d’être fermée par les autorités hongroises. Des émeutes ont éclaté, durant lesquelles mon mari a tenté de calmer tout le monde. Et le 16 septembre 2015, son frère nous a appelait pour nous dire : “les Hongrois ont arrêté mon frère, il n’est pas avec nous, on ne sait pas où il est, s’il te plaît trouve où ils ont emmené Ahmed”. J’étais dévastée. J’ai immédiatement appelé le service d’urgence pour signaler la situation. C’était un samedi. Le lundi, j’ai téléphoné à l’ambassade de Chypre en Hongrie pour leur dire que mon mari était en prison.
« Il m’a dit “Nadia, ils disent que je suis un terroriste” et il pleurait, pleurait sans cesse. Ils m’ont laissé le voir pendant une heure seulement. J’ai dit à la police qu’Ahmed n’avait rien d’un terroriste »
J’étais anéantie mais, avec le courage et la force qu’il me restait encore, j’ai pris mes enfants avec moi et nous sommes allés en Hongrie. J’ai vu mon mari dans un commissariat hongrois, assis sur une chaise et constamment en pleurs. Il est tombé à genou dans les bras des enfants, nous n’avons pas parlé, nous avons juste pleuré. Ensuite, il m’a dit “Nadia, ils disent que je suis un terroriste” et il pleurait, pleurait sans cesse. Ils m’ont laissé le voir pendant une heure seulement. J’ai dit à la police qu’Ahmed n’avait rien d’un terroriste, qu’il était père de famille ; je leur ai dit que c’était un homme bien, en vain. En sortant du commissariat, je suis tombée sur le trottoir, incapable de respirer. Nous avons pris un taxi et nous sommes retournés à l’hôtel où j’ai continué de pleurer. Mon calvaire ne faisait que commencer. Durant quatre mois, je n’ai pas pu communiquer avec mon mari, je ne savais pas comment il allait. J’ai prié tous les jours pour lui, pour moi et pour mes enfants qui commençaient l’école et avaient besoin de leur père. Je n’ai jamais cru ce qu’ils disaient à propos de mon mari, parce que je le connais. Je suis sa femme, j’ai vécu avec lui et je le connais.
Ahmed H est accusé injustement de terrorisme par la Hongrie
J’ai réalisé plus tard que la Hongrie détruisait ma famille simplement par opportunisme politique et pour faire de la propagande. Comment peut-on détruire une famille de la sorte ? Comment peut-on priver des enfants de leur père ? Une épouse de son mari ? Comment peut-on porter de telles accusations diffamatoires à l’encontre de quelqu’un, et pourquoi ?
En 2016, j’ai commencé à recevoir des messages de la part d’activistes venant des quatre coins de l’Europe, disant “Nadia, nous connaissons la vérité, nous allons t’aider”. Je vivais désormais avec mon téléphone toujours à la main, chaque message était porteur d’espoir. J’ai commencé à espérer qu’il allait se passer quelque chose, qu’un jour j’entendrai mon mari dire “bonjour mon amour, comment vas-tu aujourd’hui ?”.
La même année, Amnesty International m’a contactée. Au premier coup de fil, j’ai simplement pleuré. Ils m’ont dit la même chose, qu’ils allaient m’aider. J’ai reçu énormément de solidarité et de support de la part de leurs membres, et j’ai eu l’impression qu’ils étaient ma seconde famille.
Petit à petit, on avançait. Les gens ont commencé à apprendre la vérité, et à réaliser ce qu’il se passait.
J’ai emprunté de l’argent à mon travail, que j’ai remboursé petit à petit, afin de pouvoir payer l’avocat.
Mon mari a été relâché le 19 janvier 2019.
Ahmed H est relâché mais le calvaire continue : avec Chypre cette fois-ci
J’ai cru qu’il pourrait revenir à la maison immédiatement. Les ambassadeurs chypriotes lui avaient dit qu’il recevrait de nouveaux documents de voyage une fois qu’il serait relâché, parce que les documents qu’il possédait avaient expiré durant son séjour en prison.
Mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Mon mari n’a pas obtenu les documents nécessaires pour revenir à Chypre. Au lieu de ça, il a été transféré dans un centre de détention pour réfugiés en Hongrie, dans lequel il est toujours enfermé.
J’ai appris du Ministère des affaires étrangères que le dossier de mon mari se trouvait au Ministère de l’intérieur, et que je devais m’adresser à eux pour plus d’informations.
Dès ce moment, un nouveau cauchemar a débuté. Les autorités chypriotes tardent à prendre une décision et mes tentatives d’obtenir des informations n’aboutissent à rien, tandis que les multiples promesses et assurances que j’ai reçues n’ont jamais été respectées. Aujourd’hui, huit mois après qu’Ahmed a été relâché, mes deux filles et moi-mêmes continuons d’attendre que la République de Chypre fasse ce que l’on attend d’elle : permettre à ma famille d’être à nouveau réunie et qu’on puisse reprendre nos vies. Peut-être qu’on ne pourra pas rattraper le temps perdu, mais au moins mes filles ne seront pas privées plus longtemps de leur père.
Depuis janvier 2019, je m’attends à voir Ahmed, à l’entendre garer sa voiture devant la maison, à vivre à nouveau avec lui et nos enfants. Je n’ai pas épousé Ahmed pour le savoir enfermé dans un centre de détention. Sa place est ici, à la maison, comme elle l’a toujours été depuis 2007, lorsque je l’ai rencontré.
Tout ceci est un cauchemar, faites en sorte qu’il se finisse. Ahmed doit pouvoir enfin rentrer à la maison. »