Si le but est louable, les demandes qui sont portées à l’attention du gouvernement fédéral ne permettent en aucun cas d’atteindre l’objectif proposé par la résolution.
Il est plus que regrettable que ce texte qui sera soumis ce jeudi au séance plénière de la Chambre manque complètement son but en passant à côté des recommandations qui pourraient réellement faire la différence dans cette course vitale — mais semée de nombreuses embûches — visant à vacciner un maximum de personnes partout sur la planète
Il faudrait tout d’abord être en mesure de répartir plus équitablement les capacités de production des vaccins, ce qui suppose de partager les connaissances et les technologies et mettre entre parenthèses les droits de propriété intellectuelle.
On serait également en droit d’attendre des entreprises qu’elles coopèrent activement avec les mécanismes mis en place par l’Organisation des Nations unies (ONU), à savoir l’initiative COVAX, qui vise à aider les pays à bas et moyen revenu à accéder aux vaccins, et d’autre part le Pool d’accès aux technologies (C-TAP) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Par ailleurs, quand la résolution mentionne le rôle des entreprises pharmaceutiques, elle se réfère toujours à la notion de « collaboration ». Il est pourtant de notoriété publique que les entreprises ont très peu, voire pas du tout, collaboré avec les mécanismes de l’ONU. Par ailleurs, la résolution ne dénonce pas la pression des entreprises qui refusent la coopération technologique et les licences volontaires qui permettraient à des entreprises installées dans les pays du Sud de pouvoir lancer à leur tour la production de vaccins.
Si les entreprises sont uniquement soucieuses d’engranger le maximum de profits au détriment de la santé de la moitié de la planète, alors ce sont les États qui doivent changer leur législation et revoir les règles de la négociation avec les entreprises
Ensuite, la résolution ne demande pas que les surplus des pays riches puissent systématiquement être donnés à COVAX pour assurer leur distribution dans les pays à bas et moyen revenu.
Notons toutefois que la résolution demande à la Belgique de s’engager pour améliorer la transparence des accords entre les entreprises pharmaceutiques et les pays concernant les contrats relatifs aux vaccins contre la COVID-19. Cette demande est en effet cruciale car, à ce jour, les entreprises négocient des clauses qui empêchent un État de donner ses surplus de doses à un autre État, sans l’accord de l’entreprise qui lui a vendu les vaccins. Ces clauses empêchent ou retardent évidemment la livraison des doses. Or, les vaccins ont une durée de vie limitée… Derrière ces négociations, ce sont des vies humaines qui sont en jeu.
Dans le même esprit, la résolution aurait pu demander aux entreprises qui acceptent de vendre leurs doses à COVAX de le faire au prix coûtant et de lever le secret qui entoure les ventes à COVAX. À l’heure actuelle, le manque de transparence fait qu’il est impossible de vérifier dans quelles conditions sont livrés les vaccins pour les pays pauvres.
Enfin, on peut souligner un autre point positif, mais présenté de façon bien trop timide : l’identification « des obstacles aux licences volontaires en nouant un dialogue avec les entreprises européennes productrices de vaccins détentrices et non détentrices de vaccin ». L’appel des parlementaires devrait se montrer plus exigeant vis-à-vis du gouvernement, dont la responsabilité est de s’assurer que la vaccination puisse se faire en Belgique, mais aussi partout dans le monde. Les entreprises sont quant à elles dans l’obligation de s’assurer que leur comportement ne soit pas préjudiciable au respect des droits humains.
Si les entreprises sont uniquement soucieuses d’engranger le maximum de profits au détriment de la santé de la moitié de la planète, alors ce sont les États qui doivent changer leur législation et revoir les règles de la négociation avec les entreprises.
Pour sortir de la crise sanitaire, la Belgique et les autres États, mais aussi les entreprises pharmaceutiques, ont la responsabilité de changer immédiatement et radicalement de politique
Il est donc clair que cette résolution n’apportera pas son concours à l’atteinte des objectifs réclamés par l’OMS et le Fonds monétaire international (FMI), soit 40 % de la population à vacciner dans les pays à revenu faible ou à revenu intermédiaire inférieur. Il est d’ailleurs regrettable que la résolution ne demande pas clairement au gouvernement belge de soutenir la proposition de suspension temporaire des brevets à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’exhorter les entreprises pharmaceutiques à partager leurs connaissances à travers le C-TAP.
Et ce n’est pas l’appel de la résolution enjoignant la Belgique à participer aux négociations pour un nouveau traité international sur les pandémies qui fera la différence. Ce n’est pas quand la maison brûle que l’on réfléchit à l’élaboration d’un plan contre les incendies…
Il est plus que regrettable que ce texte qui sera soumis ce jeudi au séance plénière de la Chambre manque complètement son but en passant à côté des recommandations qui pourraient réellement faire la différence dans cette course vitale — mais semée de nombreuses embûches — visant à vacciner un maximum de personnes partout sur la planète. Pour sortir de la crise sanitaire, la Belgique et les autres États, mais aussi les entreprises pharmaceutiques, ont la responsabilité de changer immédiatement et radicalement de politique.
SIGNATAIRES :
Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International
Arnaud Zacharie, Secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11)
Cette carte blanche a été publiée sur le site du journal Le Soir [1].