Les droits des femmes et des filles iraniennes sous la menace grandissante du projet de loi sur le port obligatoire du voile Pegah Sadeghi, assistante de recherche sur l’Iran à Amnesty International

En Iran, les femmes et les jeunes filles ont été au premier plan des protestations lors du soulèvement qui a balayé le pays depuis septembre 2022, à la suite de la mort en détention de Mahsa (Zhina) Amini. Les écolières ont également participé à des manifestations pacifiques, notamment en retirant leur hijab obligatoire lorsqu'elles portaient leur uniforme scolaire. Aujourd'hui, les droits à l'éducation, à la santé et à la vie de millions d'écolières sont menacés par les attaques au gaz chimique qui visent délibérément les écoles de filles en Iran.

Armita Garawand, lycéenne âgée de 16 ans, est toujours dans le coma après avoir perdu connaissance le 1er octobre dans une station de métro à Téhéran. C’est une confrontation avec une personne chargée d’appliquer les lois dégradantes et discriminatoires sur le port du voile qui aurait conduit à son hospitalisation, alors que les autorités intensifient ces derniers mois la campagne d’oppression lancée contre les femmes et les jeunes filles.

Si j’étais encore en Iran, sortir de la maison au quotidien me mettrait face à un dilemme : mon autonomie corporelle et ma liberté, ou le risque de harcèlement, de violence, d’amendes et d’emprisonnement. Si je décidais de sortir de chez moi sans voile, j’aurais peur de perdre ma voiture, mon emploi, ma liberté.

C’est donc avec une grande admiration que je regarde les femmes et les filles en Iran qui continuent de défier chaque jour avec courage les lois sur le port obligatoire du voile. Elles ne baissent pas les bras, malgré le durcissement de l’offensive que mènent les autorités iraniennes contre leurs droits, notamment à coups de sanctions encore plus draconiennes pour punir le fait de ne pas porter le voile et faire taire toute dissidence.

« Depuis la mort en détention de Mahsa/Zhina Amini, les autorités infligent, avec une cruauté inouïe, des violences au peuple d’Iran pour étouffer les contestations et écraser la dissidence »

Il y a tout juste un an, Mahsa/Zhina Amini, 22 ans, est morte en détention quelques jours après son arrestation par la « police des mœurs », et des informations crédibles font état d’actes de torture. Elle a été interpellée au motif qu’elle ne respectait pas la législation discriminatoire du pays relative au port obligatoire du voile. Sa mort a déclenché une vague de soulèvement populaire sans précédent à travers l’Iran, les manifestant·e·s s’unissant derrière le slogan « Femme, Vie, Liberté ». Des dizaines de milliers de personnes se sont aussi mobilisées à travers le monde, notamment en Europe, en solidarité avec les femmes et les filles en Iran. Les dirigeant·e·s européens ont exprimé avec force leur solidarité avec le peuple iranien, et condamné la répression des autorités. Cet afflux de déclarations de solidarité et de soutien venu d’Europe et du monde entier leur a donné du courage.

Depuis la mort en détention de Mahsa/Zhina Amini, les autorités infligent, avec une cruauté inouïe, des violences au peuple d’Iran pour étouffer les contestations et écraser la dissidence. Elles se sont rendues coupables d’une longue série de crimes relevant du droit international en toute impunité : des centaines d’homicides illégaux, l’exécution arbitraire de sept personnes en lien avec les manifestations, des dizaines de milliers d’arrestations arbitraires et de tortures systématiques contre les détenu·e·s, dont des viols et autres violences sexuelles, et le harcèlement systématique des familles des victimes.

Pourtant, les femmes et les filles continuent de défier avec courage la législation discriminatoire et dégradante imposant le port du voile en République islamique d’Iran. Leur immense courage leur vaut des sanctions sévères et des violations de leurs droits. Elles sont nombreuses à avoir vu leur inscription à l’université suspendue [1] ou annulée et à ne plus pouvoir utiliser les services bancaires [2]. Certaines sont poursuivies en justice et condamnées à des peines de prison et des sanctions dégradantes, comme la toilette des corps à la morgue [3].

À ce jour, pas un seul dirigeant iranien n’a eu à rendre des comptes pour avoir ordonné, planifié et commis des violations généralisées et systématiques des droits fondamentaux des femmes et des filles avec l’application de l’obligation du port du voile.

Enhardis par l’impunité, ils écrasent brutalement les manifestations et s’en prennent à ceux qui ont tenté de commémorer l’anniversaire du soulèvement.

« Ce texte de loi, qui en est au dernier stade de la procédure avant l’approbation finale, codifie encore davantage les méthodes répressives du régime à l’égard des femmes et des filles et punit celles qui osent revendiquer leurs droits »

Je me réjouissais de voir les dirigeant·e·s de l’UE réaffirmer [4] leur soutien résolu aux femmes et filles iraniennes face à la répression. Toutefois, le « projet de loi visant à soutenir la culture de la chasteté et du hijab » représente une véritable mise à l’épreuve de leur engagement déclaré.

Ce texte de loi, qui en est au dernier stade de la procédure avant l’approbation finale, codifie encore davantage les méthodes répressives du régime à l’égard des femmes et des filles et punit celles qui osent revendiquer leurs droits. S’il est approuvé par le Conseil des gardiens, il imposera un vaste éventail de sanctions bafouant gravement leurs droits et exacerbant la violence et la discrimination à leur égard. En outre, ses dispositions assimilent le retrait du voile à de la « nudité » et prévoient des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement en cas de non-respect des lois relatives à l’obligation de porter le voile. Par ailleurs, il renforcerait les pouvoirs et les capacités des organes de renseignement et de sécurité, notamment les pasdaran (gardiens de la révolution), la force paramilitaire Bassidj et les forces de police, pour contrôler et opprimer encore davantage les femmes et les filles. L’application de cette loi par divers organes politiques, sécuritaires et administratifs de la République islamique piétinerait une multitude de droits sociaux, économiques, culturels, civils et politiques — et intensifierait le type de violence qui a entraîné la mort en détention de Mahsa/ Zhina Amini.

Je sais que l’UE n’est pas la défenseure parfaite des droits des femmes. Certains États membres, comme la France, contrôlent ce que les femmes peuvent porter : en effet, depuis le mois de septembre, les mineur·e·s qui portent des abayas ou des qamis – vêtements amples traditionnellement portés dans les pays du Maghreb et du Golfe, ainsi qu’en Afrique de l’Ouest – ne peuvent plus suivre les cours. Les pays de l’UE doivent faire davantage pour les droits des femmes et des filles et respecter leur droit à l’autonomie corporelle, quel que soit l’endroit où des violations ont lieu. Des experts de l’ONU ont fait part de leur préoccupation face au nouveau projet de loi sur le port obligatoire du voile en Iran, pouvant s’apparenter à un « apartheid fondé sur le genre » puisque « les autorités semblent gouverner au moyen d’une discrimination systémique dans l’intention d’obliger les femmes et les jeunes filles à se soumettre totalement ».

Les leaders de l’UE doivent appeler sans délai les autorités iraniennes à retirer le projet de loi visant à soutenir la culture de la chasteté et du hijab avant qu’il ne soit promulgué, et à abolir toutes les lois et règles dégradantes et discriminatoires relatives au port obligatoire du voile. Ils doivent leur demander d’annuler toutes les condamnations des femmes et des filles qui osent défier ces lois, abandonner les poursuites déjà intentées et libérer sans condition toutes celles qui se trouvent incarcérées. L’UE doit aussi veiller à ce que les droits fondamentaux soient publiquement et clairement articulés dans son partenariat avec l’Iran, y compris dans le mandat du nouveau représentant spécial pour la région du Golfe.

Il est crucial que les États membres de l’UE actionnent les leviers juridiques internationaux permettant de mettre en cause la responsabilité des dirigeants iraniens qui ont ordonné, planifié et commis des violations aussi généralisées et systématiques des droits des femmes et des filles.

Cet article a été publié dans l’EUObserver.

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