Le conflit armé s’est étendu et de nouveaux groupes armés d’opposition sont apparus. Les différentes parties ont continué à commettre des crimes de droit international et des atteintes aux droits humains, en toute impunité. Les affrontements entre forces gouvernementales et forces d’opposition ont eu des conséquences dévastatrices pour la population civile sur le plan humanitaire. Les combats et la famine ont entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes.
CONTEXTE
Le Mouvement/Armée populaire de libération du Soudan-Opposition (MPLS/APLS-O), principal groupe d’opposition, était toujours divisé entre les partisans de Riek Machar et ceux de Taban Deng Gai. Ce dernier avait succédé à Riek Machar au poste de premier vice-président en juillet 2016, à la suite d’affrontements entre les forces gouvernementales et les forces d’opposition à Djouba, la capitale, qui avaient contraint Riek Machar à s’exiler. De nouveaux groupes d’opposition sont apparus, parmi lesquels le Front national du salut, dirigé par le général Thomas Cirillo Swaka, ancien chef d’état- major adjoint de l’armée sud-soudanaise qui a démissionné en février 2017.
L’Accord sur la résolution du conflit en République du Soudan du Sud (ARCSS) a perdu de sa légitimité et de sa pertinence, faute d’améliorer la sécurité. En juin, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) a annoncé qu’elle organiserait un forum de haut niveau en vue du rétablissement d’un cessez-le-feu permanent et de la mise en œuvre de cet accord. Entre août et novembre, elle a consulté les parties à l’ARCSS, d’autres groupes d’opposition et les principales parties prenantes, y compris la société civile, au sujet des modalités et des résultats attendus de ce forum. Un accord de cessez-le-feu a été signé en décembre, mais de nouveaux combats ont éclaté peu après dans différentes régions du pays.
CONFLIT ARMÉ INTERNE
Les hostilités entre, d’une part, les forces gouvernementales et, d’autre part, les forces d’opposition conduites par Riek Machar et d’autres groupes armés d’opposition, ont touché pratiquement l’ensemble du territoire. Les parties au conflit ont commis des atteintes aux droits humains et bafoué le droit international humanitaire. Elles ont notamment pris pour cible des civils, souvent en raison de leur appartenance ethnique ou de leur affiliation politique supposée, pillé et détruit systématiquement des biens de caractère civil, et perpétré des enlèvements et des violences sexuelles.
Dans l’État du Haut-Nil, par exemple, les forces gouvernementales, aidées de miliciens dinkas padangs, ont mené tout au long de l’année des opérations à répétition sur le territoire contrôlé par les forces d’opposition shilluks, sur la rive occidentale du Nil Blanc. Elles ont lancé des attaques sans discrimination contre des villes et des villages habités par des civils, tels que Wau Shilluk, Lul, Fachoda, Kodok et Aburoc, et ont délibérément tué des civils, pillé des biens et provoqué le déplacement de dizaines de milliers de civils [1].
Dans la région d’Équatoria, les combats se sont poursuivis toute l’année, faisant de nombreux morts parmi les civils. Des cas d’homicides délibérés de civils, d’infractions à caractère sexuel, de pillage et de destruction de biens civils, imputables pour la plupart aux forces gouvernementales, ont été recensés dans les comtés de Yei et de Kajo Keji.
VIOLENCES SEXUELLES
Les violences sexuelles étaient toujours généralisées dans le contexte du conflit. Toutes les parties ont soumis des femmes, des filles, des hommes et des garçons à des viols, parfois en réunion, de l’esclavage sexuel, des mutilations génitales, y compris des castrations, et une nudité forcée lors d’attaques contre des villages et de fouilles dans des quartiers résidentiels, sur des routes ou à des postes de contrôle, ou encore à la suite d’un enlèvement ou en détention. Des membres des forces gouvernementales ont agressé des femmes et des filles vivant dans des camps sous la protection des casques bleus de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) lorsqu’elles allaient acheter ou chercher des denrées de première nécessité, comme de la nourriture ou du bois pour le feu. Les victimes de violences sexuelles bénéficiaient rarement d’une prise en charge médicale et psychologique, parce que peu de services de ce type étaient disponibles ou parce qu’elles n’avaient pas la possibilité de s’y rendre. Les auteurs présumés d’infractions à caractère sexuel n’étaient pratiquement jamais amenés à rendre de comptes [2].
RESTRICTIONS À L’AIDE HUMANITAIRE
L’environnement hostile dans lequel évoluaient les travailleurs humanitaires limitait considérablement leur capacité à répondre aux besoins de la population en matière d’alimentation, de soins médicaux, d’éducation et d’hébergement d’urgence. Les parties au conflit ont régulièrement entravé l’accès des organisations humanitaires en menaçant, harcelant et détenant des membres de leur personnel ou en commettant des actes de violence à leur encontre. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], au moins 25 travailleurs humanitaires ont été tués pendant l’année. À de nombreuses reprises, des affrontements entre groupes armés ont contraint des travailleurs humanitaires à quitter leur zone d’intervention et à suspendre leurs activités. Les parties au conflit ont pillé des stocks destinés à l’aide humanitaire, notamment plus de 670 tonnes de nourriture dans des locaux d’organisations humanitaires en juin et en juillet, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires.
DROIT À L’ALIMENTATION
Selon les estimations, 4,8 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, vivaient dans une insécurité alimentaire grave du fait des restrictions à l’aide humanitaire, du conflit armé, des déplacements massifs et de la crise économique. En février, l’état de famine a été déclaré dans les comtés de Leer et de Mayendit (État d’Unité). En juin, la situation s’était améliorée grâce à une action humanitaire de grande ampleur.
Dans la région d’Équatoria, où la nourriture était autrefois abondante, les forces gouvernementales et les forces d’opposition ont restreint l’accès des civils aux denrées alimentaires pour contrôler leurs déplacements ou les obliger à quitter leur logement et leurs terres [3]. Ceux qui sont restés ont été confrontés à de graves pénuries alimentaires et le taux de malnutrition a augmenté.
Dans tout le pays, les déplacements et le risque de violence ont freiné l’activité agricole et empêché des civils de s’occuper de leur cheptel ou de recevoir une aide alimentaire suffisante et continue.
La dégradation de la situation économique a aussi exacerbé la crise alimentaire. Les recettes de l’État ont diminué en raison de la baisse des cours des hydrocarbures et de la faible production de pétrole. La dépréciation de la monnaie locale et la pénurie de produits importés ont entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires. Les fonctionnaires n’ont pas été payés pendant plusieurs mois.
PERSONNES RÉFUGIÉES OU DEMANDEUSES D’ASILE ET PERSONNES DÉPLACÉES
Plus de 3,9 millions de personnes, soit environ un tiers de la population, avaient quitté leur domicile depuis le début du conflit, en décembre 2013. On comptait notamment 1,9 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays, dont plus de 200 000 vivaient sur des bases de l’ONU protégées par des casques bleus de la MINUSS.
Plus de 640 000 personnes ont fui le pays au cours de l’année, ce qui portait à plus de deux millions le nombre total de réfugiés sud- soudanais. La plupart d’entre eux se trouvaient dans des pays voisins, à savoir l’Éthiopie, l’Ouganda (voir Ouganda) et le Kenya (voir Kenya) ; l’Ouganda accueillait à lui seul environ un million de réfugiés.
DÉTENTIONS ARBITRAIRES, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
En mars, le président Kiir a annoncé que la libération de tous les prisonniers politiques était envisagée. Au moins 30 détenus ont recouvré la liberté au cours de l’année.
Cependant, le Service national de la sûreté (NSS) et la Direction du renseignement militaire ont continué de procéder à des arrestations arbitraires et de détenir pendant de longues périodes, sans inculpation ni jugement, des opposants supposés au régime. Ces personnes étaient privées du droit de faire examiner la légalité de leur détention par un tribunal et étaient souvent victimes d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements. Les conditions de détention étaient rudes : les détenus étaient régulièrement coupés de leur famille et ne disposaient pas toujours d’assez d’eau potable et de nourriture. Ces mauvaises conditions, associées à l’insuffisance de soins médicaux, ont contribué au décès de plusieurs détenus.
Le NSS a libéré 21 personnes − une en janvier, deux en mars, une en avril, deux en mai et 15 en août − qu’il détenait depuis longtemps sans inculpation et de façon arbitraire au sein d’une prison située dans l’enceinte de son siège, dans le quartier de Djebel, à Djouba. La plupart d’entre elles s’y trouvaient depuis deux à trois ans. Au moins cinq autres personnes, accusées de communiquer avec l’opposition ou de la soutenir, ont été maintenues en détention au siège du NSS. Un sixième homme, James Gatdet, ancien porte-parole du MPLS/APLS-O détenu au même endroit, a été inculpé d’incitation à la violence, de " trahison " et de " publication ou communication de fausses déclarations préjudiciables au Soudan du Sud ". Il avait été arrêté après son renvoi de force par le Kenya en novembre 2016 [4].
Mike Tyson, Alison Mogga Tadeo, Richard Otti et Andria Baambe, également détenus sans inculpation en raison de liens présumés avec l’opposition, sont morts dans cette même prison entre février et juillet du fait des rudes conditions carcérales et de l’insuffisance de soins médicaux. Ils étaient détenus depuis 2014.
Les autorités n’ont pas enquêté sur le recours à la détention arbitraire ni sur les violations commises dans ce contexte par les forces de sécurité. Les personnes soupçonnées de porter une responsabilité pénale dans ces agissements n’ont pas été amenées à rendre de comptes, et les victimes n’ont pas obtenu réparation (indemnisation financière, réadaptation, etc.).
DISPARITIONS FORCÉES
Le NSS et la Direction du renseignement militaire ont soumis des opposants présumés au régime à une disparition forcée.
Dong Samuel Luak et Aggrey Idri, deux hommes qui critiquaient ouvertement le gouvernement, ont disparu respectivement le 23 et le 24 janvier à Nairobi, au Kenya. Ils ont été renvoyés de force au Soudan du Sud et conduits à la prison située au siège du NSS, à Djouba, d’où ils auraient été transférés ailleurs le 27 janvier. On ignorait tout de leur sort et de l’endroit où ils se trouvaient [5].
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Des journalistes, des défenseurs des droits humains, des membres de l’opposition et d’autres personnes qui parlaient ouvertement du conflit ont été victimes de harcèlement, d’arrestations et de détentions arbitraires, de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Cela a encouragé l’autocensure et instauré un climat politique dans lequel il était impossible de travailler ou de s’exprimer librement.
Adil Faris Mayat, directeur de la South Sudan Broadcasting Corporation, a été arrêté par le NSS le 10 juillet parce qu’il n’avait pas diffusé le discours prononcé par le président Kiir à l’occasion de la fête de l’indépendance. Il a été détenu sans inculpation au siège du NSS à Djouba pendant neuf jours, avant d’être licencié. Le 17 juillet, l’Autorité nationale des communications a bloqué les sites Internet de quatre médias d’information. Le ministre de l’Information a, selon la presse, déclaré que ces sites avaient publié des informations " hostiles " au régime.
OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES
Aucune enquête crédible n’a été menée sur les crimes de droit international ni sur les atteintes aux droits humains, et aucun responsable présumé de ces actes n’a été jugé dans le cadre d’un procès équitable devant un tribunal civil. L’armée a indiqué que certains soldats ayant perpétré des crimes contre des civils avaient été traduits devant la justice militaire. La Loi relative à l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) dispose pourtant que, si un civil est victime d’une infraction imputable à un militaire, c’est un tribunal civil qui a compétence en la matière. Malgré cela, en mai, le procès de 12 soldats accusés de viol, de meurtre et de pillage s’est ouvert devant un tribunal militaire d’exception ; les faits avaient été commis à l’hôtel Terrain, à Djouba, en 2016.
Les trois organes de la justice de transition institués en 2015 par l’ARCSS n’avaient toujours pas été mis en place à la fin de l’année. En juillet, la Commission de l’Union africaine et le gouvernement sud-soudanais se sont entendus sur des statuts et un protocole d’accord en vue de la création de l’un de ces organes, le tribunal hybride pour le Soudan du Sud. Toutefois, il n’y a pas eu d’approbation ou d’adoption officielle. Un comité technique pour la commission vérité, réconciliation et guérison a commencé les consultations sur les modalités de fonctionnement et le cadre juridique de cet organe.
La législation du Soudan du Sud ne définissait ni n’érigeait en infractions la torture, les disparitions forcées et les crimes contre l’humanité.
ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, CONSTITUTIONNELLES OU INSTITUTIONNELLES
L’Assemblée générale des juges a entamé une grève en avril afin de réclamer une hausse des salaires, de meilleures conditions de travail et la démission du président de la Cour suprême, qui n’aurait pas assuré correctement son rôle de direction. Le 12 juillet, le président Kiir a réagi en publiant un décret qui révoquait 14 juges en vertu d’une disposition de la Constitution autorisant à démettre des magistrats de leurs fonctions pour " faute professionnelle ". Le 11 septembre, les juges ont mis fin à leur grève, notamment parce que le président avait promis qu’il ferait suite à leurs demandes et réintègrerait les juges révoqués. Les intéressés n’avaient pas été rétablis dans leurs fonctions à la fin de l’année. En novembre, un juge de la Cour suprême a démissionné, se plaignant du manque d’indépendance de la justice.
En octobre, l’Assemblée législative nationale de transition a voté la ratification du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo).