L’enquête sur les prisons clandestines administrées par le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) – les services secrets ukrainiens – était au point mort. Les responsables de l’application des lois continuaient d’avoir recours à la torture et, plus généralement, aux mauvais traitements. Les autorités ukrainiennes ont intensifié la pression sur les personnes qui les critiquaient et sur les ONG indépendantes, notamment les journalistes et les militants anti-corruption. Elles ont ouvert des informations judiciaires et adopté des lois destinées, entre autres, à restreindre les droits à la liberté d’expression et d’association. Les autorités de fait des territoires sous contrôle séparatiste ont cette année encore arrêté et placé en détention leurs adversaires de manière illégale. Mise en place par le pouvoir contrôlant la région, la Cour suprême de Donetsk a ordonné en novembre la mise à mort d’un homme. En Crimée sous occupation russe, les personnes critiques à l’égard des autorités étaient la cible de manœuvres d’intimidation, d’actes de harcèlement et de poursuites pénales. La marche des fiertés LGBTI a eu lieu à Kiev, la capitale ukrainienne, sous protection policière. Le nombre d’attaques contre des manifestations LGBTI a augmenté un peu partout dans le pays. Le gouvernement n’a pas apporté de réponse satisfaisante au problème des violences sexuelles et domestiques. Les autorités ont annoncé que l’Ukraine gelait toutes ses livraisons d’armes au Soudan du Sud.
CONTEXTE
La grogne sociale s’est encore amplifiée. Face à une situation économique de plus en plus préoccupante, à la lenteur des réformes et à une corruption omniprésente, Kiev a été le théâtre de nombreuses manifestations. Certaines ont donné lieu à des violences. Plusieurs de ces manifestations ont rassemblé des centaines de personnes. Au mois d’avril, la Banque mondiale a annoncé que l’économie ukrainienne avait cessé de se contracter et que la croissance devrait être de 2 % pour l’année 2017 ; elle a invité le gouvernement à poursuivre les réformes. L’UE a levé le 14 juin l’obligation de visa qui incombait jusqu’alors aux ressortissants ukrainiens. Le gouvernement a adopté toute une série de réformes dans le domaine de la médecine et de l’enseignement. Pour la première fois, ces réformes intégraient les droits humains dans les futurs programmes scolaires.
Dans l’est de l’Ukraine, des affrontements ont continué d’opposer les forces séparatistes et l’armée régulière, en violation de l’accord de cessez-le-feu conclu en 2015. Le nombre de victimes a continué d’augmenter, aussi bien parmi les combattants que parmi les civils. L’ONU citait le chiffre de 10 225 morts au 15 août, dont 2 505 civils. Le 27 décembre, les deux camps ont procédé à un échange de prisonniers, libérant au total 380 personnes.
Selon un rapport publié en septembre par la Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine [ONU], 3,8 millions de personnes vivant dans les régions touchées par le conflit souffraient de niveaux croissants de pauvreté et de chômage, tandis que les prix des denrées alimentaires atteignaient des sommets et que ces personnes devaient déjà affronter au quotidien les difficultés engendrées par les hostilités et les politiques appliquées par les deux camps. Certaines lois adoptées les années précédentes empêchaient en outre les personnes vivant dans les zones touchées par le conflit d’exercer leurs droits sociaux et de percevoir leurs retraites.
La Crimée était toujours sous occupation russe et la Russie continuait de refuser la venue sur place de mécanismes internationaux de protection des droits humains.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Les agents des différents services chargés de l’application des lois avaient toujours recours à la torture et à d’autres mauvais traitements. Ils se sont en outre rendus coupables d’autres violations des droits humains. Les auteurs de violations du droit international humanitaire, présentes comme passées, jouissaient toujours d’une impunité totale.
Daria Mastikacheva a été arrêtée le 15 août par le SBU et détenue au secret pendant deux jours. Ressortissante ukrainienne résidant en Russie, la jeune femme était venue rendre visite à sa mère en Ukraine. Elle a été accusée de trahison et de détention illégale d’armes. Des photos d’elle prises par son avocat devant le tribunal montraient qu’elle avait été frappée, voire torturée, par des agents du SBU. Selon son avocat, Daria Mastikacheva aurait reçu des menaces visant sa mère et son fils, jusqu’à ce qu’elle accepte de lire devant une caméra une déclaration dans laquelle elle s’accusait des infractions qui lui étaient reprochées. Elle se trouvait toujours en détention à la fin de l’année, dans l’attente de son procès.
Le chef du Bureau national d’enquête, organisme autonome créé pour mener des enquêtes indépendantes sur les autres services d’application des lois, a enfin été nommé le 16 novembre. Toutefois, ce Bureau ne disposait toujours pas de l’ensemble du personnel nécessaire et n’était pas en mesure d’assurer sa mission à la fin de l’année.
VIOLENCES SEXUELLES LIÉES AU CONFLIT
Dans un rapport publié en février, la Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine a fait état de plusieurs cas de violences sexuelles liées au conflit, reprochant au système judiciaire ukrainien de ne pas avoir permis aux victimes d’obtenir justice et dénonçant l’absence de prise en charge et d’accompagnement dignes de ce nom. La majorité des cas signalés concernaient des violences sexuelles perpétrées contre des hommes et des femmes détenus aussi bien par les forces gouvernementales que par des groupes armés.
DÉTENTION
L’enquête du procureur général militaire sur les allégations de détention secrète par le SBU dans l’est de l’Ukraine n’a débouché sur rien. Les autorités ont pour ainsi dire totalement ignoré les éléments rendus publics en 2016 par plusieurs ONG internationales qui prouvaient l’existence de cette pratique.
DÉTENTION DE CIVILS DANS LA ZONE DE CONFLIT
Le 27 avril, le Sous-comité pour la prévention de la torture [ONU] a publié le rapport faisant suite à sa visite de 2016 en Ukraine. Ce rapport notait que le SBU avait fait obstruction au travail du Sous-comité en refusant à ses membres l’accès à certains établissements, le contraignant à suspendre sa visite en mai 2016. Lorsque le Souscomité a repris son inspection, en septembre, il « a eu la nette impression que certaines pièces et certains espaces avaient été vidés pour faire croire qu’ils n’avaient pas été utilisés à des fins de détention ». Selon certaines informations, les locaux en question, notamment dans la ville de Kharkiv, avaient été utilisés pour détenir secrètement des personnes. Ils n’auraient été ouverts aux visiteurs qu’après transfert des détenus vers d’autres lieux de détention non officiels [1]. Le Sous-comité n’a pas pu visiter les centres de détention situés dans les territoires de l’est de l’Ukraine contrôlés par la république populaire de Donetsk (DNR) et la république populaire de Louhansk (LNR), deux entités autoproclamées soutenues par la Russie.
Les autorités de fait de la DNR et de la LNR ont continué d’arrêter et d’emprisonner des personnes qui critiquaient leur action ou qui étaient soupçonnées d’être favorables à l’Ukraine. Le 4 mai, un tribunal de Donetsk a condamné Ihor Kozlovski, universitaire de renom, à deux ans et huit mois d’emprisonnement pour détention d’armes, sur la foi d’éléments forgés de toutes pièces. Détenu depuis janvier 2016, cet homme a été libéré le 27 décembre 2017 dans le cadre d’un échange de prisonniers.
Le 31 janvier, Seroe Fioletovoe et Viktoria Mirochnitchenko, deux artistes militants russes, ont été arrêtés après être passés en territoire sous contrôle de la DNR. Ils ont été maintenus en détention au secret pendant deux semaines. À la suite d’une campagne internationale menée en faveur de leur libération, des hommes du ministère de la Sûreté de l’État (MGB) mis en place par les autorités de fait les ont escortés le 14 février jusqu’à la frontière avec la Russie, où ils ont été remis en liberté.
Le journaliste free-lance Stanislav Asseïev, qui travaillait de manière anonyme depuis la DNR, a été victime le 2 juin d’une disparition forcée à Donetsk. Les autorités de fait ont nié pendant plusieurs semaines le détenir. Le 16 juillet, un membre du MGB a dit à sa mère que le journaliste était bien entre leurs mains et qu’il était accusé d’espionnage. Stanislav Asseïev était toujours en détention pour enquête à la fin de l’année.
LIBERTÉ D’ASSOCIATION
Les militants de la société civile et les membres d’ONG étaient régulièrement victimes d’actes de harcèlement et de violences, en particulier lorsqu’ils s’intéressaient à la corruption. Bien souvent, ces actes ne faisaient pas l’objet d’une véritable enquête, et des représentants des pouvoirs publics – notamment des agents des services de sécurité – étaient soupçonnés d’en être les instigateurs.
Une loi adoptée en mars obligeait les militants anti-corruption, y compris les membres d’ONG et les journalistes, à remplir une déclaration annuelle de revenus (au même titre que les représentants de l’État), sous peine de poursuites pénales et d’emprisonnement.
En juillet, les services de la Présidence ont soumis deux propositions de loi, qui, si elles étaient adoptées, imposeraient des contraintes lourdes et indiscrètes de publication financière aux ONG dont le budget annuel est supérieur à 300 fois le « minimum vital » – montant défini par la loi et revu régulièrement, fixé à la fin de l’année à 1 700 hryvnias (63 dollars des États-Unis). Aux termes de ces deux textes, les ONG seraient également tenues de rendre publics tous les versements faits à des membres de leur personnel ou à des consultants. Le nonrespect de ces dispositions entraînerait des sanctions sévères, allant jusqu’à la perte du statut d’organisation à but non lucratif et au gel des comptes. Ces deux propositions de loi étaient à l’étude devant le Parlement ukrainien à la fin de l’année.
Le 11 octobre, la police fiscale a mené une opération dans les locaux de l’organisation Patients of Ukraine et du Réseau panukrainien de personnes vivant avec le VIH/ Sida, deux ONG connues pour avoir dénoncé des montages douteux au sein du dispositif d’État de passation de marchés dans le secteur médical. Les autorités accusaient ces ONG d’irrégularités dans l’utilisation de financements venant de l’étranger (alors qu’elles avaient satisfait à un audit financier indépendant). Selon le dossier judiciaire, il leur était reproché de « soutenir le terrorisme » en finançant des organisations de patients partenaires en Crimée.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Les enquêtes sur les meurtres des journalistes Oles Bouzina, en 2015, et Pavel Cheremet, en 2016, n’avaient donné aucun résultat. Les autorités ont de nouveau cherché cette année à limiter le droit à la liberté d’expression en entamant des poursuites judiciaires pour des motifs fallacieux contre les journalistes qui critiquaient le gouvernement pour le manque de réformes mises en œuvre et pour sa politique dans l’est de l’Ukraine. Le 7 juin, la Cour suprême spécialisée dans l’examen des affaires civiles et pénales a annulé le jugement prononcé en juillet 2016 par une cour d’appel, qui avait acquitté le prisonnier d’opinion Rouslan Kotsaba. Ce journaliste était poursuivi pour trahison et préjudice causé aux forces armées ukrainiennes, parce qu’il avait critiqué le conflit dans l’est du pays.
Les bureaux de la publication en ligne Strana.ua ont été perquisitionnés en juin, dans le cadre d’une enquête ouverte pour divulgation présumée de secrets d’État. Les domiciles du rédacteur en chef, Ihor Goujva, et d’un autre journaliste ont été à leur tour fouillés en août. En juillet, ce sont les bureaux du groupe de presse Vesti qui ont été perquisitionnés dans le cadre d’une enquête pour fraude. Ces deux organes de presse étaient connus pour leur position critique à l’égard des autorités ukrainiennes et de leur politique dans la région du Donbass, touchée par le conflit.
Lors de trois opérations distinctes, le SBU a expulsé en août quatre journalistes étrangers (deux Espagnols et deux Russes) accusés « d’atteinte aux intérêts nationaux de l’Ukraine », avec interdiction de revenir en Ukraine pendant trois ans. La porte-parole du SBU, Olena Guitlianska, a accusé la journaliste russe Anna Kourbatova, expulsée le 30 août, d’avoir écrit des articles « portant atteinte à l’intérêt national de l’Ukraine ». Elle a averti que quiconque « oserait faire honte à l’Ukraine » subirait le même sort. Le SBU a finalement levé en octobre l’interdiction de séjour qui frappait les deux journalistes espagnols.
Toujours au mois d’août, le SBU a arrêté le journaliste free-lance Vassily Mouravitsky, originaire de la ville de Jytomyr. Celui-ci collaborait avec plusieurs organes de presse russes. Il était accusé par le SBU d’avoir préparé et diffusé des documents « antiukrainiens », sur l’ordre de Moscou. Il était passible de 15 ans d’emprisonnement. Vassily Mouravitsky se trouvait toujours en détention provisoire à la fin de l’année.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES
Des milliers de personnes ont participé le 18 juin à la plus grande marche pour l’Égalité (le défilé annuel des fiertés LGBTI) jamais organisée à Kiev. Celle-ci a donné lieu à des contre-manifestations rassemblant plusieurs 468 Amnesty International — Rapport 2017/18 dizaines de personnes. La police a assuré la protection des participants face aux personnes qui entendaient protester contre le défilé et aucun incident n’a été signalé pendant le rassemblement. Après l’événement, en revanche, des membres de groupes d’extrême droite s’en sont pris à plusieurs participants, qui ont reçu des coups. Le nombre d’agressions contre des personnes LGBTI a globalement augmenté en 2017. Au mois de septembre, des manifestants d’extrême droite ont passé à tabac plusieurs personnes qui participaient à un festival LGBTI à Zaporijia.
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
Le Parlement n’avait toujours pas ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul), signée par l’Ukraine en 2011.
CRIMÉE
La répression des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion s’est poursuivie en Crimée. Les Tatars ont cette année encore été la principale cible des autorités. La Medjlis des Tatars de Crimée, assemblée autonome représentative de ce peuple, demeurait interdite. Dans le cadre d’une campagne destinée à faire taire les personnes critiques à l’égard de l’occupation de la péninsule par la Russie, les services de sécurité russes ont effectué plusieurs dizaines de perquisitions au domicile de Tatars de Crimée, à la recherche, officiellement, d’armes illégales, de drogue ou de documents « extrémistes ». Les rares avocats qui acceptaient de défendre des opposants en Crimée s’exposaient au harcèlement des autorités russes.
L’avocat Emil Kourbedinov a été arrêté le 26 janvier et condamné à 10 jours de détention administrative par un tribunal de Simferopol, la capitale de la Crimée. Il était accusé d’atteinte à la législation russe contre l’extrémisme pour un contenu mis en ligne sur les réseaux sociaux avant l’occupation russe de la péninsule. Il avait partagé une vidéo montrant une manifestation organisée par l’organisation musulmane Hizb ut-Tahrir, interdite en Russie mais légale en Ukraine. Le 8 août, la police de Simferopol a fait usage d’une force excessive pour arrêter Server Karametov, qui brandissait une pancarte devant la Cour suprême de Crimée pour protester contre les représailles dont étaient victimes les Tatars de Crimée. Server Karametov a été condamné à 10 jours d’emprisonnement. Le 22 septembre, le journaliste ukrainien Mykola Semena a été condamné pour « menace contre l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie » en raison d’articles qu’il avait publiés. Il a été condamné à deux ans et demi d’emprisonnement avec sursis et à trois ans d’interdiction de participer à des « activités publiques ». Au mois de septembre, les dirigeants tatars Akhtem Tchiigoz et Ilmi Oumerov ont été condamnés à des peines d’emprisonnement en raison de leurs activités militantes pacifiques. Le 25 octobre, ils ont tous les deux été conduits en avion jusqu’en Turquie, où ils ont été libérés, sans la moindre explication officielle. Akhtem Tchiigoz avait passé 34 mois en détention et Ilmi Oumerov avait été interné de force dans un établissement psychiatrique en août ou en septembre 2016. Ils étaient tous deux des prisonniers d’opinion.
COMMERCE DES ARMES
Le 28 septembre, le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, Alexandre Tourtchynov, a annoncé que les entreprises d’État ukrainiennes avaient décidé de geler les transferts d’armes à destination du Soudan du Sud. Cette annonce est intervenue quelques jours après la publication par Amnesty International d’un rapport indiquant, contrats et attestations d’utilisateur final à l’appui, que l’exportateur d’armes Oukrinmach, détenu par l’État ukrainien, s’apprêtait à fournir au ministère de la Défense du Soudan du Sud des armes légères et de petit calibre, pour une valeur de 169 millions de dollars des États-Unis [2]. En réponse à ce rapport, les services gouvernementaux de contrôle des exportations ont publié une déclaration indiquant que le contrat en question n’avait pas été concrétisé et qu’aucune arme n’avait été envoyée au Soudan du Sud.
L’Ukraine avait les années précédentes régulièrement déclaré des exportations d’armes légères et de petit calibre, ainsi que d’armes plus importantes, à destination du gouvernement du Soudan du Sud. L’Ukraine n’avait toujours pas ratifié le Traité sur le commerce des armes, qu’elle avait signé en septembre 2014.