L’année a été marquée par des manifestations pacifiques récurrentes, et l’élection présidentielle du mois d’août a donné lieu à une répression particulièrement sévère des libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association, atteignant un niveau que le Bélarus n’avait pas connu depuis son indépendance. Des candidat·e·s d’opposition ainsi que des membres de leurs équipes de campagne et des sympathisant·e·s ont été arrêtés sur la base de fausses accusations ou exilés de force. La police a employé une force excessive et aveugle pour disperser des manifestations. Des dizaines de milliers de manifestant·e·s pacifiques et de passant·e·s ont été arrêtés. Beaucoup ont été soumis à des mauvais traitements, voire torturés. Des journalistes, des membres de professions médicales, des étudiant·e·s, des lycéen·ne·s et des syndicalistes, entre autres, ont aussi été la cible d’arrestations, de violences et de poursuites judiciaires. La réaction initiale des autorités face à la pandémie de COVID-19 n’a pas été satisfaisante. De nouvelles condamnations à mort ont été prononcées.
Contexte de la situation des droits humains au Bélarus
La popularité du président Alexandre Loukachenka s’est effondrée sous les effets conjugués, entre autres, de perspectives économiques de plus en plus sombres, d’une mauvaise gestion de la pandémie de COVID-19 et des nombreux commentaires incendiaires du chef de l’État. Celui-ci a notamment tenu, à l’approche de l’élection présidentielle du 9 août, des propos misogynes lors d’interventions télévisées diffusées aux grandes heures d’écoute, tandis qu’augmentaient les arrestations arbitraires, les poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques et d’autres formes de représailles à l’encontre de candidat·e·s d’opposition et de leurs sympathisant·e·s, de militant·e·s politiques et de la société civile et de journalistes indépendants. Une coalition d’opposition constituée autour de la candidate à l’élection présidentielle Svyatlana Tsikhanouskaya a placé les femmes en première ligne d’un mouvement de contestation qui n’a pas tardé à s’étendre à tout le pays et à toutes les couches de la société. Le président Alexandre Loukachenka a revendiqué une victoire écrasante, mais les résultats ont été vivement contestés par Svyatlana Tsikhanouskaya et considérés comme frauduleux par de nombreux observateurs électoraux indépendants. L’OSCE, qui n’avait pas été autorisée à assister en tant qu’observatrice au scrutin, a enregistré un certain nombre d’informations dignes de foi faisant état d’irrégularités généralisées et de graves manquements d’ordre administratif. Le Bélarus a été submergé par une vague de manifestations dénonçant la manière dont s’était tenue l’élection, ainsi que son résultat. Ces manifestations ont été dans leur immense majorité pacifiques, malgré la répression brutale menée par les autorités. Un certain nombre de personnes considérées comme les leaders de la contestation ont été rapidement arrêtées ou contraintes à l’exil. Les relations avec une bonne partie de la communauté internationale se sont fortement détériorées et des sanctions ciblées ont été adoptées contre des dizaines de responsables bélarussiens impliqués dans des irrégularités électorales et des violations des droits humains. La Russie a exprimé son soutien au régime du Bélarus, auquel elle a apporté une aide financière.
Liberté d’expression
Le droit à la liberté d’expression a été fortement restreint par les autorités, qui ont cherché à faire taire toute opposition et toute dissidence, en s’en prenant notamment à certaines personnes et à des organes de presse. Les autorités ont également procédé à des modifications de la législation et n’ont pas hésité à recourir à des pressions administratives ou à des mesures techniques, telle que l’interruption de l’accès à Internet.
Le gouvernement continuait de contrôler étroitement les médias. Des journalistes et des organes de presse indépendants ont été harcelés et empêchés de s’acquitter de leurs tâches légitimes. Des observateurs et observatrices locaux ont recueilli des informations sur plus de 400 cas d’arrestation, de torture et d’autres mauvais traitements dont auraient été victimes des personnes travaillant pour les médias pour la seule période allant de mai à octobre. L’accréditation de plusieurs organes de presse internationaux a été refusée ou annulée, pour éviter toute couverture des événements échappant à la censure. Les journaux du Bélarus, comme l’édition locale de la Komsomolskaïa Pravda, se sont heurtés au refus des imprimeries contrôlées par l’État d’imprimer des éditions critiques à l’égard du gouvernement. Les autorités ont suspendu la licence de la plateforme TUT.by, un site d’information majeur. Au moins trois journalistes ont été touchés le 10 août par des balles de caoutchouc tirées par la police, dont Natallia Lyubneuskaya, journaliste à Nacha Niva, un journal indépendant. Cette femme a dû être opérée et est restée 38 jours à l’hôpital. Plusieurs blogueurs, blogueuses et journalistes ont fait l’objet de poursuites pénales motivées par des considérations politiques. C’était notamment le cas du co-animateur d’une chaîne très suivie de l’application Telegram, Ihar Losik, qui a été arrêté le 25 juin et inculpé sur la foi d’éléments fallacieux.
Les autorités se sont assuré le concours des fournisseurs d’Internet pour imposer une coupure quasiment totale du réseau Internet mobile pendant les trois premiers jours de manifestations post-électorales, puis pendant les mouvements de protestation hebdomadaires qui ont suivi, avec la volonté d’empêcher les manifestant·e·s de se coordonner et d’échanger des informations. Des restrictions d’accès ont été régulièrement imposées à des sites d’information indépendants.
Les prises de position dissidentes, qui n’ont pas tardé à se diffuser dans tous les secteurs de la société, ont été brutalement et directement réprimées. Des étudiant·e·s, des universitaires, des sportifs et sportives, des personnalités religieuses ou culturelles et des salarié·e·s d’entreprises d’État ont été exclus ou licenciés. Beaucoup risquaient de faire l’objet de sanctions administratives, voire pénales, pour avoir osé critiquer les pouvoirs publics, soutenir la contestation non violente ou prendre part à des grèves.
Les femmes
Les femmes critiques à l’égard du régime s’exposaient à des représailles spécifiques à leur genre, axées sur ce qui était perçu comme leurs vulnérabilités (menaces de violences sexuelles ou de placement de leurs enfants en bas âge dans des institutions, etc.) [1] .
Liberté de réunion
Le droit à la liberté de réunion a cette année encore fait l’objet de restrictions importantes et abusives. Les sanctions infligées à des manifestant·e·s pacifiques au titre du droit administratif étaient souvent plus lourdes que celles prononcées pour certaines infractions pénales.
En début d’année, des dizaines de militant·e·s ont dû payer de lourdes amendes ou ont été condamnés à des peines de « détention administrative », cumulant parfois plusieurs peines de 15 jours de privation de liberté consécutives (15 jours étant le maximum prévu par la loi) pour des « infractions administratives » supposées avoir été commises lors des manifestations pacifiques de fin 2019.
Entre le début de la période de campagne électorale en mai et l’élection, des centaines de manifestant·e·s pacifiques, de militant·e·s en ligne, de journalistes indépendants et d’autres personnes ont été arrêtés arbitrairement, notamment par des hommes en civil ayant recours à une force illégale et circulant à bord de véhicules banalisés, et des dizaines de personnes ont reçu des amendes ou ont été placées en « détention administrative ». Après les élections, des centaines de milliers de Bélarussien·ne·s sont régulièrement descendus dans la rue de manière légale et pacifique, dans tout le pays, pour dénoncer la manière dont s’était tenu le scrutin. Les forces de sécurité ont procédé à des dizaines de milliers d’arrestations et des centaines de personnes ont été torturées et soumises à d’autres mauvais traitements, avant de se voir infliger de lourdes sanctions. Amnesty International a été directement témoin du caractère infondé, arbitraire et brutal d’un certain nombre de ces arrestations [2] .
Pour la seule période allant du 9 au 12 août, les autorités ont confirmé l’arrestation de 6 700 manifestant·e·s. Des manifestations pacifiques ont ensuite eu lieu chaque semaine, aux quatre coins du pays, aussi bien dans la rue que, par exemple, dans des entreprises publiques, des théâtres ou des universités. À la mi-novembre, d’après des estimations officielles et indépendantes, plus de 25 000 personnes avaient été arrêtées, parmi lesquelles de nombreux passant·e·s et journalistes. Les forces de sécurité ont procédé à plusieurs reprises à plus d’un millier d’interpellations dans une seule journée [3] . Des organisations locales de défense des droits humains ont recueilli des informations concernant plus de 900 procédures pénales et au moins 700 personnes inculpées.
La police (souvent en civil) a eu recours à une force excessive et aveugle, n’hésitant pas à tirer des balles de caoutchouc à faible distance et directement dans la foule et à se servir de grenades assourdissantes, de produits chimiques irritants, de canons à eau, d’armes automatiques chargées de cartouches à blanc, de matraques et de divers autres moyens pour disperser des rassemblements non violents et procéder à des arrestations. Quatre personnes au moins ont été tuées par les forces gouvernementales [4] et plusieurs autres sont mortes dans des circonstances suspectes.
Si un grand nombre de manifestant·e·s et de simples passant·e·s ont été agressés au hasard et de façon arbitraire, d’autres personnes ont été délibérément prises pour cibles en raison de leur profession. C’est notamment le cas de professionnel·le·s des médias qui couvraient les événements ou de membres de professions médicales qui s’étaient portés au secours de blessé·e·s. D’autres encore ont été visées en raison de leur identité sexuelle. La défenseure des droits humains Victoria Biran a ainsi été arrêtée le 26 septembre alors qu’elle se rendait à un rassemblement, après que des policiers l’eurent identifiée comme étant une militante des droits des personnes LGBTI. Elle a été condamnée à 15 jours de « détention administrative ».
Liberté d’association
Les autorités ont mené une campagne de persécution brutale contre toute association indépendante d’individus soucieux de défendre les droits humains et désireux de s’opposer pacifiquement au régime en place (initiatives de surveillance, équipes de campagne de candidat·e·s d’opposition, syndicats indépendants, etc.). De nombreuses personnes ont fait l’objet d’arrestations, de poursuites pénales infondées ou de peines de « détention administrative », ainsi que de menaces d’emprisonnement ou d’exil forcé.
Le 6 mai, le blogueur très suivi sur Internet Syarhei Tsikhanouski, candidat potentiel à l’élection présidentielle, s’est vu imposer une peine injustifiée de 15 jours de détention administrative visant à l’empêcher de déposer sa candidature – ce qui a poussé sa femme, Svyatlana Tsikhanouskaya, à se présenter à sa place. Le 29 mai, alors qu’il recueillait des signatures en faveur de celle-ci à Hrodna, il a été victime d’une provocation et a été immédiatement arrêté, en compagnie d’au moins sept de ses collaborateurs [5] . Syarhei Tsikhanouski et ces hommes ont par la suite été poursuivis, aux côtés de plusieurs autres blogueurs d’opposition connus, dans le cadre d’une même information judiciaire ouverte au titre de l’article 342 du Code pénal (« organisation d’actions collectives causant un trouble grave à l’ordre public ou participation active à de telles actions »).
Un autre candidat potentiel à la présidentielle, Viktar Babaryka, son fils Eduard Babaryka, plusieurs membres de son équipe et certains de ses anciens collaborateurs et collaboratrices ont été placés en détention sur la foi d’accusations fallacieuses d’infractions économiques, afin d’empêcher Viktar Babaryka de se présenter à l’élection et d’envoyer un avertissement aux autres prétendant·e·s.
Le Conseil de coordination de l’opposition mis en place par Svyatlana Tsikhanouskaya et dirigé par un présidium de sept personnes, a été qualifié par Alexandre Loukachenka de « tentative de prise du pouvoir ». Une information judiciaire a été ouverte le 20 août au titre de l’article 361 du Code pénal (« appel à des actions visant à porter atteinte à la sécurité nationale »). À la fin de l’année, les sept membres du présidium étaient soit en détention, soit en exil forcé, comme bon nombre de leurs sympathisant·e·s [6] .
Le 7 septembre, les autorités ont enlevé la dirigeante de l’opposition Maryia Kalesnikava. Celle-ci a été conduite, avec deux de ses collaborateurs, jusqu’à la frontière ukrainienne, où on leur a intimé l’ordre de quitter le territoire national, sous peine d’emprisonnement. Les deux collaborateurs de Maryia Kalesnikava sont passés en Ukraine, mais l’opposante a préféré déchirer son passeport pour échapper à l’expulsion. Elle a ensuite disparu, en détention au secret pendant deux jours, avant d’être finalement placée en détention provisoire, une procédure pénale ayant été ouverte contre elle sur la foi d’accusations fallacieuses, à l’instar d’un autre membre du présidium du Conseil de coordination, Maksim Znak.
Marfa Rabkova, une militante de l’ONG Centre de défense des droits humains Viasna, a été arrêtée le 17 septembre et placée en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pénale ouverte contre elle pour « préparation d’émeutes » pour des faits liés à son action en faveur des droits fondamentaux.
Anatoli Bakun, dirigeant du Syndicat indépendant du Bélarus, a été arrêté de façon arbitraire à plusieurs reprises, en lien avec les grèves à la mine de potasse Belaruskali de Salihorsk. Il a été condamné à un total de 55 jours de « détention administrative » pour violation de la Loi sur les grands rassemblements. Trois autres militants syndicaux, Yury Karzun, Syarhei Charkasau et Pavel Puchenya, ont purgé 45 jours de détention chacun pour la même « infraction » entre septembre et novembre.
Torture et autres mauvais traitements
Les autorités ont eu systématiquement recours à la torture et à d’autres mauvais traitements contre les personnes arrêtées lors des manifestations, qu’il s’agisse de participant·e·s, de journalistes ou de simples passant·e·s. Des associations locales et internationales ont recueilli des informations concernant des centaines de cas, dans tout le pays.
Les expert·e·s de l’ONU chargés des droits humains ont reçu 450 témoignages de mauvais traitements infligés à des détenu·e·s – témoignages étayés par des photos, des vidéos et des certificats médicaux, mettant en évidence une terrible accumulation de violations. Ils ont ainsi décrit la manière dont des manifestant·e·s ont été torturés et maltraités au moment de leur arrestation, pendant leur transfert et lors de leur détention dans des locaux bondés. Des manifestant·e·s ont été humiliés, frappés, soumis à des violences sexuelles (notamment des femmes et des mineur·e·s) et privés de nourriture, d’eau potable et de soins médicaux pendant de longues périodes de détention. Des détenu·e·s se sont également vu refuser le droit d’informer leurs proches de l’endroit où ils se trouvaient, parfois pendant toute la période de « détention administrative » et n’ont pas été autorisés à contacter un·e avocat·e. Des colis et des lettres ont été retenus. Des vêtements chauds et des produits d’hygiène ont été confisqués, notamment des articles d’hygiène menstruelle.
Les autorités bélarussiennes ont reconnu avoir reçu environ 900 plaintes pour des violences commises par la police en lien avec les manifestations, mais, à la fin de l’année, aucune information judiciaire n’avait été ouverte sur les faits dénoncés et aucun responsable de l’application des lois n’avait été inculpé pour son rôle présumé dans des violences.
Droit à la santé
La réaction initiale des autorités face à la pandémie n’a pas été satisfaisante. Le président Alexandre Loukachenka a qualifié le COVID-19 de « psychose », affirmant que les premiers malades confirmés étaient simplement victimes de leur propre manière de vivre et recommandant à la population de conduire des tracteurs, de boire de la vodka et d’aller au sauna pour combattre la maladie. Il a refusé de prendre des mesures imposant de réelles restrictions.
Peine de mort
Le Bélarus était toujours le dernier pays d’Europe et de l’ancienne Union soviétique à prononcer des sentences capitales. Au moins quatre hommes se trouvaient dans le quartier des condamnés à mort à la fin de l’année. Trois nouvelles condamnations à mort au moins ont été prononcées, notamment contre deux frères âgés de 19 et 21 ans. Aucune exécution n’a été signalée.