Les mesures prises par le gouvernement face à la pandémie de COVID-19 ont soulevé un certain nombre de préoccupations en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne l’usage excessif de la force par la police, le droit à la liberté de réunion pacifique et les droits des migrant·e·s et des demandeurs et demandeuses d’asile. Cette année encore, des défenseur·e·s des droits humains ont été en butte à des actes de harcèlement et ont fait l’objet de poursuites pénales. À la suite de l’assassinat de Samuel Paty, le gouvernement a pris au nom de la lutte contre le terrorisme des mesures portant atteinte aux droits humains. Des milliers de personnes étaient toujours poursuivies pour outrage à agent dépositaire de l’autorité publique, une infraction définie en termes vagues. Des propos racistes tenus par des membres des forces de l’ordre ont été signalés. Les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis se sont poursuivies. Aucune mesure n’a été prise pour contrôler le respect de la législation sur la responsabilité des entreprises. Le gouvernement n’a pas mis en œuvre l’action nécessaire pour lutter contre le changement climatique.
Contexte de la situation des droits humains en France
Afin de lutter contre la pandémie de COVID-19, les autorités ont pris le 17 mars une série de mesures restreignant sévèrement les droits humains, notamment le droit de circuler librement et la liberté de réunion pacifique. Certaines restrictions ont été levées le 11 mai. Le 29 octobre, toutefois, face à l’envolée des contaminations par le coronavirus, de nouvelles mesures de confinement ont été décidées. Le 15 décembre, les autorités ont instauré un couvre-feu entre 20 heures et 6 heures sur tout le territoire national.
Recours excessif à la force
Des cas de recours excessif à la force ont été signalés tout au long de l’année. Cédric Chouviat est mort en janvier après un contrôle routier au cours duquel les policiers lui ont fait une clé d’étranglement. À la suite de ce décès, le ministre de l’Intérieur a annoncé l’interdiction de l’utilisation de la technique de l’étranglement, avant de revenir sur sa décision quelques jours plus tard.
L’application des mesures prises face à la pandémie de COVID-19 a révélé un peu plus au grand jour l’utilisation récurrente par la police française d’une force illégale, en particulier dans les zones urbaines défavorisées peuplées majoritairement de personnes issues de minorités ethniques. Amnesty International a recueilli des informations sur au moins 15 cas de ce type intervenus en mars et avril dans 15 villes différentes. Dans certains cas, les fonctionnaires de police ont aussi tenu des propos racistes ou homophobes [1] .
Le ministère de l’Intérieur a rendu publique en septembre une nouvelle stratégie de maintien de l’ordre dans les rassemblements. Loin de privilégier le dialogue et les techniques de désescalade, cette stratégie restait axée sur le recours à la force, y compris l’utilisation d’armes et de techniques dangereuses.
Il n’y avait toujours pas de mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les cas d’utilisation illégale de la force. Très peu de membres des forces de l’ordre ont fait l’objet de poursuites judiciaires à la suite des allégations d’usage excessif de la force pendant les manifestations de 2018 et 2019. En juin, dans le cadre de l’une de ces affaires, un policier qui avait tiré une balle en caoutchouc dans le visage d’une manifestante en 2018 a été condamné à une amende.
L’Assemblée nationale a adopté en novembre une proposition de loi rendant passible de sanctions pénales la diffusion d’images de membres des forces de l’ordre considérées comme portant atteinte à leur « intégrité physique ou psychique », ce qui entraverait les possibilités d’amener les membres des forces de l’ordre à rendre compte de leurs actes. Le texte était en instance au Sénat à la fin de l’année.
Défenseures et défenseurs des droits humains
Les autorités ont décidé en juin d’engager des poursuites contre trois policiers, dont l’un avait agressé Tom Ciotkowski, un défenseur britannique des droits humains qui recueillait des informations sur les violences policières commises contre des personnes réfugiées à Calais en 2018 [2] . Les tribunaux ont par ailleurs relaxé Pierre-Alain Mannoni, Cédric Herrou et Martine Landry, trois défenseur·e·s des droits humains qui étaient poursuivis pour avoir aidé ou hébergé des demandeurs et demandeuses d’asile [3] .
Le gouvernement, en particulier dans le cadre de sa candidature à l’élection au Conseil des droits de l’homme [ONU], a redit son intention de faire de la protection des défenseur·e·s des droits humains à l’étranger l’une de ses priorités en matière de politique étrangère. Aucune mesure concrète n’a toutefois été prise pendant l’année. En France, pendant le confinement, les défenseur·e·s des droits humains qui apportaient une aide humanitaire aux personnes réfugiées et migrantes à Calais et à Grande-Synthe ont quant à eux continué de subir des actes de harcèlement et d’intimidation. À l’instigation du ministre de l’Intérieur, le préfet du Pas-de-Calais a pris en septembre un arrêté interdisant la distribution de nourriture et de boissons aux migrant·e·s dans une grande partie de la ville de Calais.
Mesures abusives prises par l’État
En juin, le gouvernement a déposé un projet de loi visant à proroger les mesures de contrôle administratif figurant dans la Loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui devaient expirer à la fin de l’année. Le Parlement a approuvé en décembre la prolongation des mesures jusqu’au 31 juillet 2021.
Kamel Daoudi, un homme placé sous mesures de contrôle depuis 2008, a été condamné en octobre à un an d’emprisonnement pour avoir enfreint le couvre-feu auquel il était astreint.
En octobre et en novembre, à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, un enseignant qui avait montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet, le gouvernement a adopté une série de mesures de lutte contre le terrorisme qui soulevaient un certain nombre de préoccupations en matière de droits humains. Il a en particulier dissous plusieurs organisations et expulsé au moins 66 personnes de nationalité étrangère sans procéder à une évaluation en bonne et due forme des véritables risques de torture auxquels elles seraient exposées dans leur pays d’origine [4] .
Liberté d’expression
Dans un arrêt rendu en juin, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que la condamnation de 11 militant·e·s de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) appelant au boycott de produits israéliens constituait une violation de leur droit à la liberté d’expression. Les procureurs avaient reçu en 2010 l’instruction spécifique de mettre en œuvre les dispositions législatives en matière de protection contre la discrimination pour poursuivre les militant·e·s pacifiques de BDS et les réduire au silence.
Des milliers de personnes étaient toujours poursuivies pour outrage à agent, une infraction définie en des termes vagues. En octobre, à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, les autorités ont ouvert des dizaines d’enquêtes pour « apologie du terrorisme », une infraction tout aussi vague.
Liberté de réunion
Dans un objectif de protection de la santé publique, le gouvernement a imposé le 11 mai une interdiction générale de manifester. Le Conseil d’État a suspendu cette interdiction le 13 juin. Des centaines de manifestant·e·s ont néanmoins reçu des amendes pour avoir participé à des rassemblements sur la voie publique entre le 11 mai et la fin août [5] . En outre, des manifestant·e·s ont cette année encore été arrêtés et poursuivis pour des infractions définies en des termes vagues, comme l’outrage à agent, le non-respect des obligations de déclaration préalable ou la participation à un groupement en vue de la préparation de violences.
Personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes
La pandémie de COVID-19 a fait surgir pour les personnes migrantes, en particulier celles qui vivaient dans des campements de fortune à Paris et dans le nord de la France, de nouveaux obstacles à l’accès aux droits économiques et sociaux. Le gouvernement a suspendu le traitement de toutes les demandes d’asile pendant le confinement.
À Paris et dans le nord de la France, les migrant·e·s et les réfugié·e·s qui vivaient dans des campements de fortune ont cette année encore fait l’objet d’évacuations forcées récurrentes, y compris pendant le confinement, sans que ne leur soient proposés une autre solution d’hébergement ni un accès aux soins de santé. À Calais, les forces de l’ordre ont régulièrement soumis les personnes migrantes et réfugiées à des actes de harcèlement et à un usage excessif de la force.
La police aux frontières a continué de refouler vers l’Italie des personnes migrantes ou demandeuses d’asile. En outre, des migrant·e·s ont continué d’être placés en rétention administrative, au mépris de la protection de leur santé pendant la pandémie. Les mineur·e·s non accompagnés continuaient de se heurter à de nombreux obstacles pour bénéficier d’une prise en charge et risquaient toujours d’être renvoyés vers l’Italie.
Le Conseil d’État a conclu en juin que le renvoi vers l’Italie d’une femme et de son enfant sans que leur demande d’asile ait été enregistrée et examinée constituait une violation du droit de demander et de recevoir l’asile.
La France et le Royaume-Uni n’ont pas mis en place de mécanisme de partage des responsabilités pour fournir un lieu sûr aux milliers de personnes qui tentaient de traverser la Manche à bord de petites embarcations.
Discrimination
Droits sexuels et reproductifs
Le projet de loi relatif à la bioéthique déposé par le gouvernement en 2019 était toujours en instance au Sénat à la fin de l’année. Le texte prévoyait d’ouvrir la procréation médicalement assistée à toutes les femmes, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur situation matrimoniale.
Crimes de haine
Des communautés roms vivant dans deux campements informels près de Paris ont été visées par cinq incendies volontaires en mai, selon des informations diffusées par des ONG. L’un des deux campements a été la cible à quatre reprises de jets de cocktails Molotov, qui ont réduit en cendres la plus grande partie des cabanons de fortune.
Racisme
Les médias se sont fait l’écho de comportements et de propos racistes de la part de membres des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux. Le ministre de l’Intérieur a condamné ces attitudes et prôné la tolérance zéro face au racisme au sein de la police.
Transferts d’armes irresponsables
Le gouvernement a continué de vendre des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis malgré la forte probabilité qu’elles soient utilisées pour commettre des violations des droits humains dans le cadre du conflit au Yémen. Il a manqué à son obligation de fournir des informations détaillées, complètes et à jour sur les transferts d’armes autorisés par le Premier ministre. Le 8 août, les forces de sécurité libanaises ont utilisé des armes acquises auprès de la France lors de leur intervention contre des manifestations, au cours desquelles plus de 230 personnes ont été blessées (voir Liban).
Responsabilité des entreprises
De nombreuses entreprises ne respectaient toujours pas la Loi de 2017 relative au devoir de vigilance, qui imposait aux grandes entreprises d’appliquer une diligence raisonnable en matière de droits humains. Sur les quelque 200 groupes concernés, 72 seulement ont publié un plan établissant les modalités prévues pour garantir le respect des droits humains dans leurs chaînes de valeur. Les autorités n’avaient toujours pas proposé de mesures en vue de la mise en place d’un système de contrôle du respect de cette loi.
Lutte contre le changement climatique
Le gouvernement n’a pas respecté son obligation de mettre en œuvre les moyens suffisants face à l’urgence climatique. Le plafond des émissions de gaz à effet de serre autorisées qui figurait dans la stratégie nationale révisée adoptée par le gouvernement en avril a été relevé par rapport à celui de l’année précédente. Le Haut Conseil pour le climat, une autorité indépendante, a estimé en juillet que l’action du gouvernement face à l’urgence climatique était insuffisante. De plus, le gouvernement a accordé des aides financières aux secteurs les plus polluants de l’économie dans le cadre du plan de relance mis en place en réponse à la crise du COVID-19.