Des centaines de milliers de personnes ont dû s’enfuir de chez elles en raison du conflit. L’accès à l’aide humanitaire a été entravé, voire totalement empêché. Toutes les parties au conflit ont perpétré de graves violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, avec des attaques aveugles ou ciblées faisant des victimes civiles, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants, des actes de violence sexuelle et la destruction de biens, notamment. Au moins 52 personnes, parmi lesquelles des enfants, ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires. L’impunité pour les violations des droits humains restait la norme et le gouvernement n’a pas mis en place le Tribunal mixte pour le Soudan du Sud. Les forces de sécurité ont eu recours cette année encore à la surveillance illégale contre les personnes qui critiquaient le gouvernement, et procédé à leur arrestation et détention arbitraire dans certains cas. Elles ont lancé des opérations de répression à la suite d’appels à des manifestations pacifiques. Des condamnations à mort ont été prononcées et des exécutions ont eu lieu. Le gouvernement ne s’acquittait toujours pas de l’obligation lui incombant de respecter et de garantir le droit à la santé et le droit à l’éducation.
Contexte
Le Soudan du Sud a célébré le 10e anniversaire de son indépendance en juillet.
Le pays a connu cette année encore de très fortes inondations. Touchant, selon l’ONU, huit États sur les 10 que comptait le pays, elles ont déclenché ou aggravé des crises humanitaires.
Les violences persistaient dans plusieurs zones à travers le pays, où s’opposaient les parties au conflit ainsi que les groupes locaux alliés. Après des mois de tension, des affrontements ont éclaté en juin dans le comté de Tambura (État d’Équatoria-Occidental) entre des groupes locaux rivaux ralliés aux forces affiliées, d’un côté, aux Forces de défense populaires du Soudan du Sud (FDPSS, l’armée gouvernementale) et, de l’autre côté, à l’Armée populaire de libération du Soudan–Opposition (APLS-O). En août, des combats ont opposé dans le nord du pays différents groupes issus de la scission de l’APLS-O. Dans les États d’Équatoria-Central et d’Équatoria-Occidental, les hostilités se sont poursuivies entre les forces gouvernementales et le Front national du salut, un groupe armé non étatique.
En mai, le Conseil de sécurité de l’ONU a reconduit l’embargo sur les armes et fixé cinq critères à la lumière desquels il serait réexaminé en 20221.
La Coalition du peuple pour l’action civile, qui a vu le jour en juillet, a lancé des appels à manifester massivement et pacifiquement pour réclamer la démission des dirigeants du pays.
Violations du droit international humanitaire
Entre juin et octobre, des groupes locaux affiliés les uns aux FDPSS et les autres à l’APLS-O ont mené une campagne de terreur au sein de la population civile des communautés Balanda et Azandé, dans le comté de Tambura. Selon les chiffres du gouvernement local, environ 300 personnes ont été tuées. Des combattants des deux camps ont tué sommairement des civil·e·s, par balle ou en les égorgeant ; ils ont enlevé des civil·e·s, mutilé des corps, incendié des quartiers et pillé et détruit des biens de la population civile, des écoles et des établissements de santé. D’après les chiffres du gouvernement authentifiés par l’ONU, les combats ont contraint plus de 80 000 personnes à fuir leur foyer. Des familles ont été séparées pendant l’exil et certaines n’étaient pas parvenues à se reconstituer plusieurs mois plus tard. Accueillies dans des camps ou dans la collectivité, les personnes déplacées manquaient de nourriture, de médicaments et de logements adéquats.
Les combats opposant forces gouvernementales et forces de l’opposition au Front national du salut se sont poursuivis, pour la quatrième année consécutive. Selon l’ONU, des membres du Front national du salut ont attaqué un hôpital et se sont livrés à des violences sexuelles contre trois personnes au moins, entre autres atteintes aux droits humains.
Ailleurs, les affrontements entre groupes ethniques, clans et sous-clans ont continué, et au moins 441 cas d’atteintes aux droits humains ont été dénombrés, selon l’ONU, qui a recensé notamment des exécutions arbitraires, des blessures, des enlèvements, des violences sexuelles liées au conflit, des arrestations et détentions arbitraires, des cas de torture ou autres mauvais traitements et des pillages ou destructions de biens civils.
Des attaques de jeunes gens armés contre des véhicules humanitaires clairement identifiables ont été signalées cette année encore. Selon des informations diffusées par l’ONU, au moins cinq membres du personnel humanitaires ont été tués et deux ont été détenus arbitrairement.
Privation d’aide humanitaire
Quelque 8,3 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire, d’après l’ONU. Malgré ces besoins urgents, l’accès humanitaire a été empêché ou restreint cette année encore. Les acteurs humanitaires ont recensé 542 cas d’entrave à l’accès humanitaire, a indiqué le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies, précisant que les autorités gouvernementales continuaient de dresser des obstacles administratifs.
Exécutions extrajudiciaires
Entre mars et novembre, 52 personnes au moins, dont des enfants, ont été exécutées de façon extrajudiciaire dans les États de Warrab et des Lacs, a fait savoir la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS). Selon la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud [ONU], dans presque tous les cas, les forces de sécurité de l’État soit étaient les auteurs de ces actes, soit se trouvaient à proximité immédiate lorsqu’ils se sont produits. Les victimes, parmi lesquelles des enfants, étaient alignées, par exemple sur la place du marché, et abattues par un peloton d’exécution sous les yeux des gens qui se trouvaient là. La MINUSS a indiqué que dans certains cas les personnes étaient ligotées à un arbre avant d’être exécutées. Elle a précisé que des représentants du gouvernement considéraient qu’en l’absence d’institutions en mesure de faire respecter l’état de droit, ces exécutions étaient un outil de dissuasion nécessaire.
Droits des enfants
Selon l’ONU, l’APLS-O, les groupes armés et les forces de sécurité du gouvernement ont commis de graves violations des droits humains et atteintes contre 124 enfants (28 filles et 96 garçons) : homicides, mutilations, enlèvements, violences sexuelles, recrutement forcé et utilisation d’enfants dans les combats et les tâches de soutien telles que le portage, la cuisine ou l’espionnage, entre autres. Les chiffres réels étaient probablement plus élevés.
Droit à l’éducation
Le droit des enfants à l’éducation demeurait fortement restreint. Selon l’UNICEF, plus de 2 millions d’enfants, pour la plupart des filles, ont cessé de fréquenter l’école en raison de la pandémie de COVID-19 et d’autres problèmes (difficultés financières et inondations, notamment) venus entraver leur accès à l’éducation.
En novembre, seulement huit des 53 écoles du comté de Tambura étaient ouvertes, ce qui a fortement limité le droit à l’éducation pendant plusieurs mois. Des combattants affiliés aux FDPSS se sont servis d’une école primaire à Tambura comme caserne pendant des semaines lors des combats et jusqu’à fin octobre, les responsables du gouvernement les ayant alors enfin persuadés de quitter les lieux. L’utilisation d’établissements scolaires par des parties prenantes armées est contraire à la Déclaration sur la sécurité dans les écoles, à laquelle le gouvernement a souscrit en 2015, et porte atteinte au droit international humanitaire et au droit international relatif aux droits humains.
Violences fondées sur le genre
Le grand nombre d’actes de violence sexuelle liés au conflit et de violences fondées sur le genre restait préoccupant. Selon l’ONU, les forces de sécurité du gouvernement et les acteurs armés non étatiques ont été responsables d’au moins 63 cas de violence sexuelle dans le cadre du conflit (viols, viols en réunion et nudité forcée, notamment), touchant 89 personnes (des femmes, des filles et des hommes) âgées de deux à 50 ans.
Impunité
L’impunité pour les crimes de droit international et les autres graves atteintes aux droits humains persistait. Le Conseil des ministres a approuvé en janvier un plan établi par le ministère de la Justice pour l’établissement du Tribunal mixte pour le Soudan du Sud, de la Commission vérité, réconciliation et apaisement et de l’Autorité d’indemnisation et de réparation, et pour la mise en œuvre des autres dispositions en matière de justice prévues dans l’accord de paix. Les seuls progrès réalisés à la fin de l’année, cependant, étaient la reconstitution du comité technique chargé d’établir la Commission vérité, réconciliation et apaisement, et le début de la formation des membres de ce comité par une agence de l’ONU. Il semble que le gouvernement donnait la priorité à la question de la vérité plutôt qu’à la tenue de procès, et continuait de différer et d’entraver la mise en place du Tribunal mixte qui, s’il était opérationnel, serait compétent pour enquêter et engager des poursuites sur des crimes de droit international.
Aucune modification visant à inscrire dans le Code pénal de 2008 des dispositions sur les crimes de droit international n’avait encore été faite. Alors que la juridiction chargée des violences fondées sur le genre et des mineur·e·s était toujours opérationnelle, aucune affaire de violences sexuelles liées au conflit n’a été jugée.
Arrestations et détentions arbitraires
Le Service national de la sûreté (NSS) a continué tout au long de l’année d’arrêter et de placer arbitrairement en détention, pour de longues périodes, des opposant·e·s au gouvernement, réels ou supposés, ainsi que d’autres personnes critiques, notamment des journalistes et des membres de la société civile. En lien avec les appels à des manifestations pacifiques, des acteurs gouvernementaux ont arrêté arbitrairement au moins 14 personnes dans tout le pays entre le 2 et le 30 août. À Yei, deux membres de la société civile ainsi qu’un évêque et un étudiant ont été placés pendant près de deux mois dans un centre de détention du renseignement militaire sans aucun accès ou avec un accès limité à leur avocat. Kuel Aguer Kuel, l’un des membres fondateurs de la Coalition du peuple pour l’action civile, a été arrêté par des agents du NSS le 2 août et il était toujours incarcéré à la prison centrale de Djouba à la fin de l’année4 (voir ci-dessous Liberté d’expression, d’association et de réunion).
La Loi de 2014 relative au NSS était toujours en vigueur, alors que l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit en République du Soudan du Sud de 2018 prévoyait sans ambiguïté l’obligation de la modifier avant février 2020. Le texte octroyait toujours aux agents du NSS des pouvoirs équivalents à ceux de la police en matière d’arrestation et de placement en détention, en violation du mandat de ce service, inscrit dans la Constitution et axé sur la collecte de renseignements, et des normes internationales relatives aux droits humains.
Liberté d’expression, d’association et de réunion
Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion étaient toujours frappés de restrictions, et les médias restaient censurés.
En août et en septembre, les appels à manifester pacifiquement lancés par la Coalition du peuple pour l’action civile ont été suivis d’une vague de répression. Les autorités ont fait intervenir les forces de sécurité en nombre dans les rues des principales villes et fait arrêter des militants de la société civile et un responsable politique, entre autres ; elles ont aussi ordonné la fermeture d’une station de radio et d’un groupe de réflexion universitaire, qui ont pu reprendre leurs activités respectivement en septembre et novembre.
Le 29 août, la veille des manifestations prévues, des coupures d’Internet ont été signalées qui ont duré jusqu’en fin d’après-midi le 30 août. Plusieurs signes montraient que ces coupures pouvaient s’inscrire dans le cadre d’une tentative délibérée des autorités de torpiller les manifestations.
Après les manifestations avortées, les forces de sécurité ont continué de harceler des membres de la société civile à Djouba, la capitale, et dans les villes de Yei, Bor et Wau. Certaines de ces personnes soupçonnaient avoir été placées sous surveillance par les forces de sécurité. Plusieurs militants des droits humains ont été contraints de quitter le pays.
Le 6 octobre, la Banque du Soudan du Sud a donné l’ordre à toutes les banques commerciales du pays de geler les comptes de trois organisations de la société civile, d’un groupe de réflexion ainsi que de quatre militants et d’un responsable politique membres, ou soupçonnés d’être membres, de la Coalition du peuple pour l’action civile6. Ces comptes étaient toujours bloqués à la fin de l’année, à l’exception de ceux du groupe de réflexion.
Droit au respect de la vie privée
Le gouvernement s’est livré à la surveillance de communications, selon toute probabilité avec l’aide d’entreprises de télécommunications. Le NSS a en outre mené des opérations de surveillance physique, en utilisant un vaste réseau transfrontalier d’informateurs et d’agents infiltrés à tous les niveaux de la société et de la vie quotidienne ; la surveillance s’exerçait aussi sur les médias et les réseaux sociaux, et les personnes qui organisaient des événements devaient demander une autorisation avant la tenue de tout rassemblement public. Le NSS a utilisé ces formes de surveillance, en violation des droits au respect de la vie privée, pour arrêter et détenir arbitrairement des personnes hors de toute procédure légale, portant ainsi atteinte aux droits à la liberté d’expression et de réunion. Le 17 juillet, il a interrompu un atelier organisé par la société civile sur le processus d’élaboration de la constitution, au motif que les responsables de l’organisation n’avaient pas demandé d’autorisation préalable au NSS. Par effet d’accumulation, ces mesures créaient un climat de peur généralisé et conduisaient à l’autocensure.
Peine de mort
Cette année encore, des condamnations à mort ont été prononcées et des exécutions ont eu lieu. La Cour suprême a confirmé le 12 février l’annulation par la Cour d’appel, en 2020, de la condamnation à mort de Magai Matiop Ngong, et ordonné la tenue d’un nouveau procès après une procédure de détermination de l’âge de l’intéressé. Magai Matiop Ngong avait 15 ans au moment des faits qui lui étaient reprochés et de sa condamnation.
Droit à la santé
Le droit à la santé demeurait gravement menacé et les établissements publics de santé ne disposaient pas de ressources suffisantes. Faute de services de santé adéquats, et du fait des attaques menées contre les installations sanitaires, les habitant·e·s étaient toujours très nombreux à mourir de maladies évitables et d’autres pathologies. Dans le comté de Tambura, des hommes armés ont saccagé et pillé des établissements de santé, privant les civil·e·s de soins essentiels et violant le droit international. En novembre, 13 des 20 établissements médicaux du comté étaient inutilisables à la suite d’actes de vandalisme ; les sept autres étaient à peine en état de fonctionner.
À la fin de l’année, 1,52 % seulement de la population présentait un schéma vaccinal complet. La distribution inégale des vaccins dans le monde, l’insuffisance des approvisionnements et l’imprévisibilité des délais de livraison, la courte durée de conservation de ces produits et les difficultés d’accès à certaines zones en raison des inondations et des conflits, entre autres facteurs, expliquaient ce très faible taux8.
Santé mentale
L’accès aux services de santé mentale était très limité et les professionnels de santé ne pouvaient pas répondre aux besoins importants de la population. Le pays comptait en tout et pour tout trois psychiatres, qui étaient chargés aussi de la formation et de la supervision du personnel soignant. Seul établissement médical public proposant une prise en charge psychiatrique dans le cadre d’une hospitalisation, le centre hospitalier universitaire de Djouba ne disposait pas d’un nombre de lits suffisants pour faire face à la demande. Les médicaments psychotropes n’étaient accessibles que de façon irrégulière, et en quantité limitée.
Letter of appeal for truth and trials in South Sudan (AFR 65/4305/2021), 7 juin
South Sudan must respect the right to freedom of peaceful assembly (AFR 65/4760/2021), 23 septembre