Tchad - Rapport annuel 2021

carte Tchad rapport annuel amnesty

République du Tchad
Chef de l’État : Mahamat Idriss Déby (a remplacé Idriss Déby Itno en avril)
Chef du gouvernement : Albert Pahimi Padacké (fonction créée en avril)

La répression s’est poursuivie à l’encontre des personnes qui critiquaient le gouvernement ; les autorités ont arrêté arbitrairement des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s de la société civile et ont bafoué le droit à la liberté d’expression. Certaines manifestations ont été interdites et les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive à l’encontre des manifestant·e·s pacifiques qui bravaient l’interdiction. Les violences et la discrimination à l’égard des femmes et des filles perduraient. L’accès à l’alimentation et aux soins de santé demeurait précaire pour une grande partie de la population.

Contexte

À l’approche de l’élection présidentielle du 11 avril, une coalition appelée Wakit Tama (« Le temps est venu »), constituée de partis d’opposition, de syndicats et d’ONG, s’est mobilisée pour protester contre le processus électoral, qui selon elle manquait d’ouverture et de transparence. À partir d’avril, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), groupe armé tchadien basé en Libye, a lancé une série d’attaques dans le nord et l’ouest du pays. Avant que la commission électorale annonce officiellement que le président Idriss Déby Itno avait été réélu pour un sixième mandat, celui-ci a été tué lors d’un déplacement dans une zone de combat. À la suite de son décès, un conseil militaire de transition dirigé par son fils, Mahamat Idriss Déby, a été mis en place.

Arrestations et détentions arbitraires

En juin, Baradine Berdeï Targuio, président de l’Organisation tchadienne des droits de l’homme, s’est vu accorder une libération conditionnelle. Arrêté le 24 janvier 2020 à la suite d’une publication sur Facebook dans laquelle il avançait que le président Idriss Déby était malade, il purgeait une peine de trois ans d’emprisonnement. Il a été détenu au secret pendant près de sept mois avant d’être inculpé, en août 2020, d’atteinte à la sécurité nationale, de possession illégale d’armes et de coups et blessures volontaires. Les conditions exactes de sa libération n’ont pas été communiquées.

Mahamat Nour Ibedou, secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’homme, qui a participé à plusieurs manifestations contre le régime avec la coalition Wakit Tama, a été harcelé par les autorités judiciaires. Il a été convoqué à plusieurs reprises en raison de sa participation aux manifestations et a été arrêté en mars, au cours d’un rassemblement contre la candidature du président Idriss Déby à un sixième mandat. Il a été remis en liberté sans inculpation au bout de trois jours de détention. Il a été convoqué de nouveau en juillet, à la suite d’une plainte déposée par le ministère de la Sécurité publique au sujet d’une déclaration dans laquelle il dénonçait les conditions de détention de membres du FACT.

Liberté de réunion et recours excessif à la force

Entre janvier et mai, les autorités tchadiennes ont privé la population du droit de manifester pacifiquement en interdisant systématiquement les rassemblements au motif qu’ils étaient susceptibles de troubler l’ordre public. Des manifestant·e·s ont bravé ces interdictions, protestant d’abord contre le processus électoral, puis contre la mise en place du gouvernement de transition. Les forces de sécurité ont usé d’une force excessive pour disperser les manifestations pacifiques.

En février, au moins 14 manifestants ont été arrêtés à N’Djamena, la capitale, et inculpés de « coups et blessures volontaires, trouble à l’ordre public et destruction de biens de l’État1 ». Ils ont été remis en liberté au bout de quelques jours. Le même mois, les forces de sécurité ont attaqué le domicile d’un opposant politique parce que celui-ci aurait refusé de répondre à plusieurs convocations des tribunaux2. Selon des ONG locales de défense des droits humains, deux proches de cet homme, qui se trouvaient dans la maison, ont trouvé la mort dans cette attaque.

En avril et mai, au moins 16 manifestants ont été tués à N’Djamena et à Moundou, une ville située dans le sud du pays, lors de rassemblements organisés par la coalition Wakit Tama3. Des dizaines d’autres personnes ont été blessées et au moins 700 ont été arrêtées. Une grande partie des personnes arrêtées ont été remises en liberté immédiatement après les manifestations. Plusieurs personnes ont indiqué que des agents des forces de l’ordre les avaient visées avec des armes meurtrières alors qu’elles manifestaient. Les autorités ont annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire sur ces faits. Un policier qui aurait fait usage de son arme a été suspendu. Aucune information sur l’état d’avancement de l’enquête n’avait été communiquée à la fin de l’année.

En mai, le gouvernement de transition a autorisé une manifestation de soutien aux autorités, mais a interdit un rassemblement organisé par la coalition Wakit Tama.

Droits des femmes et des filles

La discrimination et les violences à l’égard des femmes et des filles demeuraient courantes. En juin, après le viol en réunion d’une adolescente de 15 ans filmé et diffusé sur les réseaux sociaux, des femmes sont descendues dans la rue pour manifester contre les violences sexuelles et la culture de l’impunité dont bénéficiaient les auteurs de ces actes.

Le taux de scolarisation des filles dans l’enseignement secondaire a continué de chuter, atteignant 12 % en 2021 contre 31 % en 2017, selon le Forum économique mondial. (Ce taux était de 25 % pour les garçons en 2021.) Cette baisse s’expliquait en partie par la fermeture des écoles sur l’ensemble du territoire en 2020-2021 en raison de la pandémie de COVID-19. Pendant cette période, plusieurs organisations ont constaté une augmentation du taux de mariages précoces et forcés.

Droit à l’alimentation

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], l’insécurité alimentaire et la malnutrition touchaient 5,5 millions de personnes au Tchad, dont 1,7 million sous une forme grave. La situation demeurait précaire dans les provinces où les activités de groupes armés perturbaient les récoltes et contraignaient la population à se déplacer. En outre, 1,7 million de personnes se trouvaient dans des situations d’urgence sanitaire, notamment des enfants, des femmes enceintes et des mères allaitantes.

Droit à la santé

Selon l’OMS et le ministère tchadien de la Santé, une épidémie de rougeole s’est déclarée dans le pays, avec 264 cas confirmés et 15 décès. Les provinces du sud ont été les plus touchées et la faible couverture vaccinale faisait craindre une nouvelle flambée épidémique.

Au moins 350 000 cas de paludisme ont été confirmés au cours de l’année, faisant 546 morts, selon le Comité national de lutte contre les épidémies. Les hôpitaux étaient submergés par le nombre de malades et n’étaient pas en mesure de soigner tous les patient·e·s, faute de lits. Le ministère de la Santé a procédé à la désinfection de plusieurs quartiers de N’Djamena et a distribué des moustiquaires imprégnées.

En décembre, le Tchad avait enregistré 6 185 cas de COVID-19 et 184 décès imputables à cette maladie. Le nombre de personnes ayant reçu au moins une dose de vaccin s’élevait à 367 000, mais seules 80 663 personnes disposaient d’un schéma vaccinal complet (sur une population totale estimée à 17 millions). Le pays, bénéficiaire de l’initiative COVAX, a lancé sa campagne de vaccination en juin à N’Djamena, Moundou et Abéché. En octobre, il existait 63 sites de vaccination sur le territoire tchadien, selon l’OMS.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

L’ancien président Hissène Habré est décédé au Sénégal en août. Le 27 avril 2017, la chambre d’appel des Chambres africaines extraordinaires, siégeant à Dakar, avait confirmé sa déclaration de culpabilité et sa condamnation à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, y compris esclavage sexuel, et lui avait ordonné de verser l’équivalent de 150 millions de dollars des États-Unis en dommages et intérêts aux victimes. Par ailleurs, un fonds au profit des victimes créé par l’UA a été chargé de localiser, de retrouver, de geler et de saisir les biens d’Hissène Habré, ainsi que de solliciter des contributions volontaires de la part d’États et d’autres parties prenantes. En dépit de ces nouvelles encourageantes, les victimes n’avaient toujours pas été indemnisées à la fin de l’année.

Une décision de justice de 2015 qui ordonnait à l’État tchadien et à 20 agents du régime Hissène Habré déclarés coupables de meurtre et de torture de payer conjointement des réparations n’avait toujours pas été appliquée, selon les avocat·e·s des victimes.

« Tchad. Opposants et défenseurs des droits humains empêchés de manifester librement à l’approche de l’élection », 9 février

« Tchad. Les autorités doivent enquêter sur un raid et des homicides survenus à la résidence d’un candidat à la présidentielle », 1er mars

« Tchad. Les morts causées par la violente répression des manifestations doivent faire l’objet d’une enquête », 28 avril

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