Arabie saoudite - Rapport annuel 2021

Royaume d’Arabie saoudite
Chef de l’État et du gouvernement : Salman bin Abdulaziz al Saoud

Cette année encore, les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ont été réprimés en Arabie saoudite. Le Tribunal pénal spécial a prononcé de lourdes peines de prison contre des personnes qui n’avaient fait qu’agir en faveur des droits humains ou exprimer des opinions dissidentes. Des défenseur·e·s des droits humains, des personnes ayant critiqué le gouvernement et des militant·e·s politiques, entre autres, ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, de poursuites pénales ou de condamnations. Des militantes des droits humains ont été soumises à des décisions judiciaires d’interdiction de voyager après leur remise en liberté conditionnelle.

Les tribunaux ont largement recouru à la peine de mort, et des personnes ont été exécutées pour des infractions très diverses. Les travailleuses et travailleurs migrants étaient toujours exposés au risque de violences et d’exploitation dans le cadre du système de parrainage en vigueur dans le pays ; plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont été détenus arbitrairement avant d’être expulsés. Les autorités pénitentiaires ont bafoué le droit à la santé de défenseur·e·s des droits humains et d’autres personnes emprisonnées à l’issue de procès manifestement iniques.

Contexte

En janvier, le ministre des Affaires étrangères a annoncé la fin du conflit qui opposait l’Arabie saoudite, Bahreïn et d’autres pays au Qatar depuis 2018, indiquant que l’Arabie saoudite allait rétablir ses liens diplomatiques avec le Qatar.

En juillet, le Parlement européen a condamné avec fermeté le recours persistant à la peine de mort contre des mineurs délinquants et a demandé la libération immédiate et sans condition de tous les défenseur·e·s des droits humains détenus. Le premier dialogue UE-Arabie saoudite sur les droits humains s’est tenu le 27 septembre à Bruxelles, en Belgique. L’UE a exprimé ses préoccupations relatives à la liberté d’expression en Arabie saoudite et abordé plusieurs cas de défenseur·e·s des droits humains saoudiens.

La coalition menée par l’Arabie saoudite dans le cadre du conflit armé qui faisait rage depuis plusieurs années au Yémen a continué d’être impliquée dans des crimes de guerre et d’autres graves violations du droit international (voir Yémen).

Liberté d’expression et d’association

Après une brève accalmie sur le front des poursuites visant des défenseur·e·s des droits humains et d’autres personnes dissidentes pendant la présidence saoudienne du sommet du G20 en novembre 2020, les autorités ont repris les procès punitifs, en particulier devant le Tribunal pénal spécial, contre toutes les personnes critiquant le gouvernement ou exprimant des opinions contraires à celles des autorités sur la situation socioéconomique ou politique du pays. Le Tribunal pénal spécial a condamné plusieurs hommes à de lourdes peines d’emprisonnement en raison de leur travail en faveur des droits humains et de l’expression de points de vue dissidents, notamment sur Twitter. Il a en outre imposé des conditions strictes à des personnes remises en liberté après avoir purgé leur peine, telles que des interdictions de voyager et la fermeture de leurs comptes sur les réseaux sociaux.

En mars, il a augmenté de trois ans au total la peine de 14 ans de prison que purgeait déjà Mohammad al Otaibi, membre fondateur de l’Union pour les droits humains, organisation indépendante de défense des droits humains. Sa condamnation reposait uniquement sur son travail en faveur des droits humains, et notamment sur le fait qu’il avait créé une organisation pour défendre ces droits.

En avril, Abdulrahman al Sadhan, employé de la Société du Croissant-Rouge saoudien à Riyadh, a été condamné par le Tribunal pénal spécial à 20 ans de réclusion suivis d’une interdiction de voyager de même durée. Les preuves présentées contre lui étaient des tweets satiriques et critiques à l’égard des politiques économiques et de la forme de gouvernance du pays, pour lesquels il a été inculpé notamment de « préparation, stockage et envoi d’éléments susceptibles de porter préjudice à l’ordre public et aux valeurs religieuses » et d’« outrage aux institutions et représentants de l’État et diffusion de fausses rumeurs à leur sujet ».

Défenseur·e·s des droits humains

Des défenseur·e·s des droits humains ont cette année encore été détenus arbitrairement, condamnés à l’issue de procès iniques ou réduits au silence après leur libération conditionnelle.

En février, la célèbre militante des droits humains Loujain al Hathloul a été libérée sous conditions après avoir purgé sa peine de prison1. En juin, deux autres défenseures des droits humains, Nassima al Sada et Samar Badawi, ont également été remises en liberté conditionnelle. Le tribunal leur a notamment interdit de voyager, de s’exprimer en public, de reprendre leurs activités de défense des droits humains et d’utiliser les réseaux sociaux, en violation de leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique à l’intérieur du pays et de leur droit de circuler librement à l’extérieur du pays.

Entre janvier et juillet, le Tribunal pénal spécial a injustement condamné cinq défenseurs des droits humains à des peines de six à 20 ans d’emprisonnement. Certains avaient récemment fini de purger de longues peines de prison prononcées précédemment pour des chefs d’accusation similaires liés à l’exercice pacifique de leurs droits fondamentaux2. En avril, il a ainsi condamné Mohammad al Rabiah, militant des droits humains, auteur et fervent défenseur des droits des femmes, à six ans d’emprisonnement suivis d’une interdiction de voyager de même durée alors que cet homme avait déjà passé presque trois ans en prison après son arrestation, en mai 2018, lors de la répression visant les défenseur·e·s des droits des femmes.

Peine de mort

En janvier, les autorités saoudiennes ont annoncé des réformes majeures concernant l’application de la peine capitale, dont un moratoire sur les exécutions pour les infractions à la législation sur les stupéfiants, mais elles n’ont pris aucune mesure officielle pour modifier la Loi relative au contrôle des stupéfiants et des substances psychotropes, ni pour préciser comment le moratoire serait mis en œuvre.

En février, les condamnations à mort d’Ali al Nimr, d’Abdullah al Zaher et de Dawood al Marhoun, trois jeunes hommes arrêtés alors qu’ils étaient encore mineurs, ont été commuées par le Tribunal pénal spécial en des peines de 10 ans d’emprisonnement, dont le temps déjà passé en détention a été déduit3. La révision de leur condamnation avait été ordonnée par le parquet en août 2020. Ali al Nimr et Abdullah al Zaher ont été libérés respectivement en octobre et en novembre, après avoir purgé leurs 10 années d’emprisonnement.

La justice saoudienne a recommencé à prononcer des condamnations à mort relevant du tazir (peine discrétionnaire) contre des personnes reconnues coupables d’infractions non passibles de la peine capitale selon la charia (loi islamique). Le 15 juin, les autorités ont exécuté Mustafa al Darwish, un jeune chiite saoudien qui avait été condamné pour sa participation présumée à des manifestations violentes contre le gouvernement4.

Droits des personnes migrantes

En mars, le ministère du Travail a entamé des réformes limitées de son système de parrainage (kafala), allégeant les restrictions afin de permettre à certains employé·e·s migrants de changer de travail sans l’autorisation de leur patron·ne sous certaines conditions. Ce changement était notamment possible lorsque l’employé·e n’avait pas reçu son salaire pendant trois mois consécutifs, en cas d’expiration de son permis de travail ou si son employeur ou employeuse ne s’était pas présenté à deux audiences programmées dans le cadre d’un litige lié au travail. Ces réformes permettaient également aux travailleuses et travailleurs migrants de demander une autorisation de sortie du territoire sans l’accord de leur employeur. Toutefois, elles n’abolissaient pas l’autorisation de sortie. Dans ces conditions, les personnes migrantes restaient liées à leurs employeurs et employeuses, qui conservaient un pouvoir considérable de contrôle sur leurs droits et leur liberté de mouvement. Les employé·e·s de maison migrants restaient exclus des protections découlant du droit du travail.

Tout au long de l’année, les autorités ont poursuivi leur répression à l’encontre de personnes migrantes accusées d’avoir enfreint la réglementation et les lois en matière de séjour, de sécurité aux frontières et de travail, procédant à des arrestations arbitraires massives. Selon le ministère de l’Intérieur, durant les seuls mois de novembre et de décembre, au moins 117 000 hommes et femmes ont été arrêtés pour violation de ces règles et plus de 2 400 personnes, originaires d’Éthiopie ou du Yémen pour la plupart, ont été interpellées pour être entrées en Arabie saoudite sans visa valide. Environ 73 000 hommes et femmes ont ensuite été renvoyés dans leur pays d’origine.

En avril, Amnesty International a révélé la détention d’au moins 41 femmes sri-lankaises, toutes employées de maison, enfermées depuis huit à 18 mois dans le centre de détention aux fins d’expulsion Exit 18, à Riyadh, dans l’attente de leur rapatriement. Nombre d’entre elles avaient été arrêtées du fait de leur situation au regard de législation relative à l’immigration, en vertu du système de kafala, notamment parce que leur permis de travail avait expiré, que leur patron·ne refusait de leur procurer une autorisation de sortie du territoire ou ne faisait pas les démarches nécessaires en ce sens, ou qu’elles avaient tenté de regagner leur pays sans autorisation de sortie pour fuir des violences ou des conditions de travail abusives. À la suite de l’attention internationale et nationale suscitée par leur cas, toutes ces femmes ont été rapatriées en mai5.

En juillet, un média proche du pouvoir a annoncé que Qiwa, une plateforme du ministère des Ressources humaines, avait fixé un quota maximal pour l’embauche de ressortissant·e·s indiens, bangladais, yéménites et éthiopiens. Bien qu’il ait été précisé que cette décision ne s’appliquait qu’aux personnes nouvellement embauchées ou ayant modifié leur permis de travail pour intégrer une nouvelle entité, Reuters et Human Rights Watch ont signalé que les autorités saoudiennes avaient rompu ou cessé de renouveler les contrats de dizaines de Yéménites déjà employés par des institutions du pays.

Droits des femmes et des filles

Le 8 février, le prince héritier Mohammad bin Salman a annoncé via l’agence de presse officielle d’importantes évolutions législatives, notamment une nouvelle loi relative au statut personnel. Les autorités n’ont pas donné plus de précisions sur cette réforme législative ni sur la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Les femmes étaient toujours en butte à de graves discriminations en ce qui concerne le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage.

En mai, un média proche du pouvoir a indiqué que le Conseil consultatif avait repris les débats en vue de modifier la Loi relative à la nationalité saoudienne pour accorder un titre de séjour permanent, sans frais ni procédure interminable, aux enfants des femmes saoudiennes mariées à des ressortissants de pays tiers.

Droit à la santé

En septembre, selon le ministère de la Santé, au moins 42 millions de doses de vaccin anti-COVID-19 avaient été administrées. D’après Reuters, ce chiffre représentait environ 61 % de la population si l’on considérait que chaque personne avait reçu deux doses.

Un média proche du pouvoir a affirmé que, en avril, près de 68 % des personnes détenues dans les prisons de la sûreté de l’État avaient été vaccinées et que la campagne de vaccination des prisonniers et prisonnières ayant donné leur consentement se poursuivait. Les détenu·e·s testés positifs au COVID-19 étaient isolés dans des cellules individuelles. Cependant, ils étaient aussi privés de tout contact avec leur famille pendant la durée de leur isolement. L’un d’eux, Mohammad al Qahtani, défenseur des droits humains et cofondateur de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), aujourd’hui dissoute, a été détenu au secret et n’a pas pu parler à ses proches pendant 14 jours après avoir été testé positif en avril6.

Des personnes ayant un besoin urgent de soins médicaux restaient détenues sans prise en charge adaptée.
Mohammad al Khudari, chirurgien, homme politique et écrivain à la retraite âgé de 83 ans, dont la santé se détériorait en prison, a été privé de soins médicaux adaptés pour ses multiples problèmes de santé, dont un cancer, de l’incontinence, une hernie discale, une fragilité osseuse et une faiblesse générale. Le Tribunal pénal spécial l’a condamné le 8 août à 15 ans d’emprisonnement (dont la moitié avec sursis en raison de son âge) à l’issue d’un procès collectif où son fils faisait également partie des prévenus. Sa peine a été ramenée à six ans de prison (dont trois avec sursis) le 28 décembre, à l’issue de la procédure en appel. Son procès a été entaché de graves irrégularités7.

Le dignitaire religieux Salman Alodah demeurait détenu à l’isolement depuis son arrestation, en septembre 2017. Selon son fils, son état de santé s’est dégradé en détention, à tel point qu’il a partiellement perdu la vue et l’audition. Inculpé de chefs d’accusation passibles de la peine capitale, il a vu plus de 10 audiences reportées de plusieurs mois depuis le début de son procès en août 2018, dont trois en 2021, sans qu’aucune raison précise ne soit donnée, ce qui était extrêmement éprouvant pour lui et ses proches sur le plan psychique et émotionnel.

Décès en détention

En octobre, le dignitaire religieux Musa al Qarni a été agressé et tué par un codétenu dans sa cellule de la prison de Dhahban, près de Djedda. D’après certaines sources, il a eu le visage, le crâne et les côtes écrasés et fracturés et a subi une hémorragie cérébrale. Les autorités n’ont pas mené d’enquête sur les circonstances de son décès8.

Droit au respect de la vie privée

En juillet, l’enquête menée par le Projet Pegasus a révélé la fuite de 50 000 numéros de téléphone appartenant à des cibles potentielles du logiciel espion Pegasus, commercialisé par NSO Group, dont des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des proches de dissident·e·s saoudiens. Une expertise scientifique d’Amnesty International a permis de confirmer que des membres de la famille de Jamal Khashoggi avaient été visés par le logiciel Pegasus avant et après l’assassinat du journaliste en Turquie le 2 octobre 2018 par des agents saoudiens, malgré les démentis répétés de NSO Group. Le logiciel espion a été installé sur le téléphone de la fiancée de Jamal Khashoggi, Hatice Cengiz, quatre jours après son assassinat. Son épouse, Hanan Elatr, a été prise pour cible à plusieurs reprises par Pegasus entre septembre 2017 et avril 2018, et son fils, Abdullah, a aussi été désigné comme cible potentielle9.

« Arabie saoudite. La libération de la défenseure des droits des femmes Loujain al Hathloul n’avait que trop tardé », 10 février

Saudi Arabia’s Post-G20 Crackdown on Expression : Resumption of Crackdown on Free Speech, Human Rights Activism and Use of the Death Penalty (MDE 23/4532/2021), 3 août

« Arabie saoudite. La commutation des condamnations à mort de trois militants chiites arrêtés alors qu’ils étaient adolescents est une mesure encourageante », 8 février

Young Saudi Executed After Grossly Unfair Trial (MDE 23/4453/2021), 14 juillet

« Arabie saoudite. Des dizaines de Sri-Lankaises sont détenues à tort depuis des mois en raison du système abusif de la kafala », 15 avril

« Arabie saoudite. Craintes pour la santé d’un défenseur des droits humains emprisonné et détenu au secret », 16 avril

Arabie saoudite. Un prisonnier de 83 ans a besoin de soins médicaux urgents (MDE 23/4758/2021), 22 septembre

Arabie saoudite. L’impunité pour la mort en prison d’un dignitaire religieux met en lumière le mépris pour les droits des détenus (MDE 23/5105/2021), 15 décembre

« Le Projet Pegasus : des fuites massives de données révèlent que le logiciel espion israélien de NSO Group est utilisé contre des militant·e·s, des journalistes et des dirigeant·e·s politiques partout dans le monde », 18 juillet

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