La police a eu recours à une force excessive et parfois meurtrière pour disperser des manifestations. Le droit à la vie a cette année encore été bafoué. Plus de 100 personnes ont été tuées de manière illégale, et le nouveau président a démantelé une unité de la police qui, selon lui, était responsable de ces homicides. La famine provoquée par une sécheresse prolongée touchait plusieurs millions de personnes. Le gouvernement avait toujours du mal à protéger les droits sociaux et économiques, notamment les droits au logement et à la santé. Des mesures ont été prises pour améliorer le respect des droits des femmes et des filles. La Haute Cour a demandé au Parlement d’adopter des textes législatifs autorisant l’avortement dans certaines situations.
Contexte
La Cour suprême a confirmé l’élection de William Ruto à la présidence, à la suite d’un scrutin contesté. Il a prêté serment le 13 septembre.
Liberté d’expression et de réunion
Le 9 avril, les militant·e·s Anthony Kanyiri, Minoo Kyaa, Nahashon Kamau et Clinton Ojiambo ont été arrêtés à Kasarani pour avoir manifesté contre la vie chère. Ils ont été inculpés de rassemblement illégal et de résistance à leur arrestation, et ont ensuite été remis en liberté sous caution.
Recours excessif à la force
Le 2 juin, des agents de l’Unité de services généraux (GSU) ont tué quatre manifestants et en ont blessé sept autres dans la ville de Masimba (comté de Kajiado). Ces personnes manifestaient contre l’inaction de l’Agence kenyane de protection de la nature (KWS) face aux éléphants, après la mort de Felix Kilapae Moloma, un enseignant de 27 ans tué par un éléphant. Les policiers ont ouvert le feu sur les manifestant·e·s sur l’autoroute Nairobi-Mombasa. Ils ont affirmé avoir répliqué à des jets de pierres. Le ministre de l’Intérieur et de la Coordination gouvernementale a ordonné à l’inspecteur général de la police d’enquêter sur ces homicides, mais aucune information à ce sujet n’avait été transmise à la fin de l’année.
Droit à la vie et à la sécurité de la personne
Elizabeth Ekaru, défenseure des droits humains et membre du groupe local d’Isiolo de Gender Watch Kenya, a été tuée dans le comté d’Isiolo le 3 janvier à la suite d’un conflit foncier présumé. Un suspect a été arrêté et inculpé. L’affaire était toujours en cours à la fin de l’année.
Sheila Lumumba a été retrouvée morte à son domicile de Karatina, dans le comté de Nyeri, le 17 avril. Le rapport médicolégal a fait état de traces de viol, de membres brisés et de multiples coups de couteau au niveau du cou et de la poitrine. Deux suspects ont été arrêtés, et le procès de l’un d’entre eux était en cours. Au moment de l’élection présidentielle, Wafula Chebukati, président de la Commission électorale indépendante (IEBC), a signalé que des agent·e·s électoraux avaient été la cible de manœuvres d’intimidation, de profilage, d’enlèvements et de harcèlement de la part des services de sécurité. Daniel Mbolu Musyoka, responsable des élections dans la circonscription d’Embakasi-Est, à Nairobi, a disparu le 11 août et a été retrouvé mort quatre jours plus tard. Le procureur général a ordonné à l’inspecteur général de la police d’enquêter sur cette disparition et ce décès et de rendre son rapport sous sept jours. Le 19 octobre, quatre personnes ont été arrêtées en lien avec cet homicide et présentées à un juge. Une femme qui était en possession du téléphone de la victime a accepté de témoigner devant le tribunal.
Exécutions extrajudiciaires
Selon Missing Voices, une coalition d’organisations de défense des droits humains dont fait partie Amnesty International Kenya, 128 personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires commises par les forces de police en 2022. En janvier, 37 cadavres ont été retrouvés dans la Yala, une rivière de l’ouest du Kenya. Ils présentaient des lésions, notamment des coupures profondes et des doigts coupés, et certains semblaient avoir été asphyxiés au moyen de sacs en plastique ; la plupart des corps étaient en état de décomposition avancée. Des agent·e·s de l’Unité des services spéciaux (SSU), une branche de la police nationale, ont été soupçonnés d’avoir interrogé certaines des victimes avant leur mort, ou avaient été vus avec elles. Certaines victimes étaient suspectées d’infractions pénales, d’autres avaient gagné en justice contre la police nationale, et d’autres encore n’avaient aucun casier judiciaire. Au moment de la découverte des corps, aucune menace éventuelle, présente ou future, à la sécurité nationale n’était signalée.
Le 16 octobre, le président a démantelé la SSU, l’accusant d’être responsable d’exécutions extrajudiciaires au Kenya. Il a également reproché à cette unité de la police d’avoir tué des gens pour ramener la sécurité au lieu de les protéger. Par la suite, neuf personnes soupçonnées dans l’affaire des cadavres découverts dans la Yala ont été arrêtées. L’affaire était toujours en cours à la fin de l’année.
Le 22 juillet, la Haute Cour a déclaré les agent·e·s de police Fredrick Leliman, Stephen Cheburet et Sylvia Wanjiku, ainsi que Peter Ngugi, informateur de la police, coupables de l’homicide de Willy Kimani, de son client Josephat Mwenda et de Joseph Muirur, leur chauffeur de taxi, le 23 juin 2016. Willy Kimani était un avocat spécialisé dans les droits humains qui travaillait pour l’ONG International Justice Mission. Lui et les deux autres victimes avaient été tués alors qu’ils quittaient le tribunal de Mavoko, dans le comté de Machakos.
Expulsions forcées
Le gouvernement n’a pas réinstallé 18 988 foyers expulsés par la force de Mukuru Kwa Njenga, un quartier informel de Nairobi, la capitale. En janvier 2022, Uhuru Kenyatta, qui était alors président, a présenté ses excuses pour la démolition de leurs maisons en novembre 2021, qui visait à laisser place à une autoroute menant à l’aéroport international Jomo Kenyatta.
Pour atténuer la pénurie de logements dans le pays, le nouveau gouvernement du président William Ruto s’est engagé à augmenter le nombre de nouveaux logements mis à disposition à 250 000 par an, et à faire passer la proportion de logements abordables de 2 % à 50 %. La construction de 5 300 logements a débuté le 8 décembre à Mavoko, dans le comté de Machakos. Le président a promis de renforcer les partenariats avec les autorités locales et les investisseurs privés pour mettre en place des logements plus abordables.
Droit à l’alimentation
En février, les Kenyan·e·s ont protesté sur les réseaux sociaux contre la vie chère et la hausse des prix des denrées alimentaires. En décembre, l’inflation avait atteint 9,5 % dans le pays, notamment à cause de l’augmentation des prix dans le secteur alimentaire. La guerre en Ukraine a eu des répercussions sur ces prix car, selon l’Autorité chargée de l’agriculture et de l’alimentation, 90 % du blé consommé au Kenya était importé de Russie et d’Ukraine avant le début du conflit. Le coût des engrais a également augmenté de 70 % depuis 2021, une hausse attribuée aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement dues à la pandémie de COVID-19.
Le changement climatique a entraîné des conditions météorologiques extrêmes, notamment dans le nord du Kenya, où il n’a pas plu pour la troisième année consécutive. Cette sécheresse était considérée comme la pire des 40 dernières années dans la Corne de l’Afrique. Selon les statistiques officielles de juin, près de 652 960 enfants de moins de cinq ans et 96 480 femmes enceintes ou allaitantes souffraient de malnutrition aiguë. Le 8 septembre, Uhuru Kenyatta, alors président en exercice, a déclaré catastrophe nationale la sécheresse dans le nord du pays ; quatre millions de personnes continuaient de souffrir de la faim, dont 3,1 millions étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Droit à la santé
Seuls 9,35 millions de Kenyan·e·s présentaient un schéma vaccinal complet contre le COVID-19, malgré la promesse du gouvernement de vacciner 19 millions d’adultes avant la fin du mois de juin et la totalité de la population adulte, soit 27 millions de personnes, avant décembre. Cette différence était due en partie au fait que certains vaccins ont atteint leur date de péremption car les autorités ont tardé à administrer 840 000 doses offertes au Kenya.
Le 21 juin, le président Uhuru Kenyatta a promulgué la Loi portant modification de la Loi sur la santé mentale, qui visait à garantir que toutes les personnes ayant des besoins en santé mentale bénéficient de la meilleure prise en charge possible, conformément à la Constitution.
Droits des femmes
Au terme des élections d’août, sept femmes ont été élues gouverneures, trois sénatrices, et 26 députées. Cent autres ont été élues membres des assemblées à l’échelle des comtés. En outre, le président William Ruto a nommé sept femmes ministres et trois autres à des postes importants au sein du gouvernement, augmentant ainsi la représentation des femmes de trois personnes. Cependant, ce nombre n’atteignait pas la moitié de l’objectif qu’il avait fixé dans sa charte pour les femmes avant l’élection, à savoir 22 femmes ministres.
Droits sexuels et reproductifs
Le 24 mars, la Haute Cour siégeant à Malindi a jugé que la police avait enfreint les droits d’une mineure (désignée sous l’acronyme « PAK ») au respect de sa vie privée et au secret médical après qu’elle eut été arrêtée et inculpée en vertu du Code pénal pour « avoir recouru à l’avortement ». En 2019, un médecin avait examiné PAK dans un centre médical de Malindi et avait diagnostiqué une « interruption spontanée de grossesse » (ou fausse couche). Il avait pratiqué une aspiration manuelle intra-utérine, mais des agent·e·s de police en civil avaient ensuite fait irruption dans le centre médical et arrêté PAK et le médecin. La jeune femme avait saisi la Haute Cour, contestant l’interprétation des dispositions du Code pénal qui érigeaient l’avortement en infraction. Elle a fait valoir son droit à la vie tel que garanti par la Constitution, ainsi que son droit de bénéficier des normes les plus élevées en matière de santé, son droit ne pas subir d’actes de torture ni de traitements inhumains, et son droit au respect de la vie privée.
Tout en constatant que l’interruption volontaire de grossesse était interdite par le Code pénal quel qu’en soit le motif, la Cour a jugé que le droit à l’avortement était garanti par la Constitution. Elle a donc demandé au Parlement de voter une loi et de mettre en place un cadre de politique publique qui autorise l’avortement dans certains cas, dans le respect du droit à la vie.