Des atteintes aux droits humains ont de nouveau été commises dans le nord du pays dans le cadre du conflit armé, exacerbant la crise humanitaire. Des groupes armés ont cette année encore incendié des villages, décapité des civils et enlevé des femmes et des filles. Les forces de sécurité gouvernementales présentes dans la région ont elles aussi commis des violations des droits humains à l’encontre de la population, notamment des disparitions forcées, du harcèlement et des manœuvres d’intimidation envers les civil·e·s et des actes d’extorsion visant des commerçant·e·s. Les personnes déplacées à l’intérieur du pays vivaient toujours dans des conditions déplorables, avec un accès restreint à la nourriture, à l’eau et au logement. Les droits de réunion pacifique et d’expression ont été réprimés. Une nouvelle loi relative aux ONG menaçait de limiter l’espace civique en cas d’application.
Contexte
Le procès de plusieurs complices présumés du scandale des emprunts cachés, dans lequel l’ancien et l’actuel présidents étaient semble-t-il impliqués, a mis en évidence les graves atteintes portées à la confiance du public et aux institutions de l’État pour des intérêts financiers personnels. Ce procès a en outre mis en lumière l’ampleur et la profondeur des faiblesses économiques, sociales et politiques auxquelles le pays a été exposé sous la houlette des gouvernements successifs du Front de libération du Mozambique.
Le conflit opposant les forces gouvernementales à des groupes armés, connus localement sous le nom d’Al Shabaab (sans aucun lien a priori avec le groupe somalien du même nom), a continué de faire rage dans la province du nord de Cabo Delgado. Les offensives menées conjointement contre les groupes armés par les forces mozambicaines, rwandaises et celles de la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe au Mozambique (SAMIM) ne sont pas parvenues à mettre un terme à l’insurrection. Les groupes armés se sont dispersés et ont lancé de nouveaux fronts d’attaque dans des régions jusque-là épargnées, se déplaçant en direction de l’ouest et du sud dans les provinces de Nampula et du Niassa. Le coût insoutenable de la vie, principalement dû à l’augmentation du prix des carburants, a exacerbé les troubles populaires. Tous ces facteurs ont contribué à éroder la confiance de la population dans le gouvernement du président Filipe Nyusi.
Violations du droit international humanitaire
Les groupes armés d’Al Shabaab ont commis des crimes de guerre en décapitant des civils, en enlevant des femmes et des filles, et en pillant et en brûlant des villages. Le 21 mai, ils ont attaqué les villages de Chicomo, Nguida et Nova Zambezia, dans le district de Macomia, et ont brûlé des maisons, ravagé les cultures, décapité 10 personnes et enlevé des femmes et des filles. En juin, les insurgés d’Al Shabaab ont mené une attaque sur le village de Mitopue, dans le district de Memba (province de Nampula), brûlant des maisons et pillant des biens. Le 6 septembre, dans le même district, ils ont brûlé d’autres maisons et un hôpital, mis à sac des propriétés et tué six civil·e·s, dont une religieuse catholique. Dans la nuit du 2 septembre, les insurgés ont mis le feu à des maisons, à un dispensaire et à une école, provoquant le déplacement de 40 000 personnes du district d’Eráti. Toutes les provinces du nord (Cabo Delgado, Nampula et Niassa) avaient été attaquées à la fin de l’année.
Dans la province de Cabo Delgado, des commerçants ont été enlevés et soumis à des disparitions forcées par les forces de sécurité mozambicaines à des fins d’extorsion. Le 13 mai, des habitant·e·s de Macomia ont exigé le retrait de la Force d’intervention rapide de la police après que certains de ses membres eurent infligé des mauvais traitements à des civil·e·s, notamment des actes d’extorsion, des enlèvements de commerçant·e·s contre rançon et des menaces. Des soldats stationnés à la base navale de Pemba ont commis des agressions physiques, des actes d’extorsion et des vols de biens contre des civil·e·s qui passaient dans la zone.
Droits des personnes déplacées
L’expansion du conflit armé a exacerbé la crise humanitaire dans le pays. Le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) estimait qu’un million et demi de personnes déplacées dans les provinces de Cabo Delgado, Nampula et Niassa avaient besoin d’une forme de protection et d’assistance humanitaire en raison du conflit. Les conditions de vie de ces personnes étaient marquées par l’insécurité alimentaire et hydrique, la malnutrition, une santé précaire et des logements inadéquats. Selon l’OCHA, les districts les plus touchés de la province de Cabo Delgado étaient ceux de Chiure, Macomia, Metuge, Mocímboa da Praia, Montepuez, Mueda, Nangade, Palma, Pemba et Quissanga. À Pemba, par exemple, 152 000 personnes déplacées sont venues s’ajouter aux 224 000 habitant·e·s de la ville. Quant à la population de Metuge, elle est passée de 101 000 à 228 000 habitant·e·s. Environ 80 % des personnes déplacées étaient hébergées par des membres de leur famille et des amis, faisant peser un lourd fardeau sur leurs ressources limitées.
Liberté de réunion et d’association
Les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association ont été réprimés et des initiatives législatives visant à réduire l’espace civique ont été entreprises. Le 5 février, des membres de la police, lourdement armés et accompagnés de chiens, ont empêché un groupe de jeunes hommes de manifester pacifiquement contre les droits de péage s’appliquant sur le périphérique de Maputo, la capitale. Le chef du groupe, Clemente Carlos, a été arrêté et détenu au poste de police no 18, où il a subi insultes et violences physiques. Il a été libéré au bout de plusieurs heures sans inculpation.
Le 18 août, la police a violemment dispersé une manifestation pacifique de commerçant·e·s dans le district de Gondola (province de Sofala). Ils manifestaient contre leur expulsion, sans consultation ni préavis en bonne et due forme, par la municipalité. La police a ouvert le feu à balles réelles, blessant trois manifestants.
Dans un contexte de répression croissante, le conseil des ministres a présenté une nouvelle loi relative aux organisations à but non lucratif en septembre, qui accordait au gouvernement d’énormes pouvoirs discrétionnaires pour réduire davantage encore l’espace civique. Le texte était en instance devant le Parlement, dans l’attente de consultations publiques sur les dispositions du projet de loi, qui devaient commencer en février 2023.
Liberté d’expression
Des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains ont été la cible de menaces, de manœuvres d’intimidation et d’arrestations arbitraires pour leurs propos critiques à l’égard du gouvernement et de ses représentant·e·s. Le 22 janvier, des personnes non identifiées, soupçonnées d’être des agents de l’État, se sont introduites par effraction dans le bureau de l’avocat spécialisé dans les droits humains João Nhampossa et ont volé son ordinateur, ses clés USB, ses téléphones portables ainsi que divers documents. Il travaillait sur des affaires sensibles, notamment sur le tristement célèbre scandale des emprunts secrets, ainsi que sur des affaires relatives aux barrières de péage et à l’industrie extractive. Durant la deuxième semaine d’avril, le gouverneur de la province de Tete et le maire de la ville du même nom ont ordonné l’arrestation, la détention et l’interrogatoire d’un homme connu sous le nom d’Anastácio, après que ce dernier eut accusé deux représentants du gouvernement de conflit d’intérêts concernant des terrains dont ils étaient propriétaires à Chingodzi, dans une zone exclusivement réservée au personnel militaire.
Le 16 août, Adriano Nuvunga, le directeur de l’organisation de la société civile Centre pour la démocratie et le développement, a reçu des menaces de mort. Deux balles non utilisées, emballées dans un papier portant le message « Prends garde, Nuvunga », ont été trouvées devant son domicile. Le 19 septembre, deux hommes non identifiés ont présenté une balle non utilisée à Armando Nenane, journaliste et directeur du magazine Crónica Jurídica e Juduciária, dans le centre-ville de Maputo. Ils ont affirmé avoir agi sous les ordres de leurs supérieurs, après qu’un tribunal eut innocenté Armando Nenane des charges de falsification de documents et de diffamation portées contre lui par l’ancien ministre de la Défense nationale. Après avoir été innocenté, Armando Nenane avait porté plainte pour « dénonciation calomnieuse » et diffamation contre cet ancien ministre et contre des membres des services de renseignement et de contre-espionnage.