La discrimination raciale et religieuse persistait, en particulier à l’égard des personnes et associations musulmanes. Cette année encore, la police a eu recours à la force de manière excessive, sans avoir à rendre compte de ses actes. La loi relative aux « principes de la République » restreignait la liberté d’association. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la France avait violé les droits d’un réfugié d’origine tchétchène et de demandeurs et demandeuses d’asile sans ressources. Le pays n’était pas en conformité avec les normes de qualité de l’air. Un ancien commandant rebelle libérien a été condamné pour des atrocités commises en temps de guerre au Liberia. Une plainte a été déposée au pénal contre trois entreprises françaises d’armement pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Yémen. La surpopulation dans les prisons était telle que les conditions de détention y étaient parfois inhumaines et dégradantes.
Discrimination
Droits des femmes musulmanes
Un collectif de footballeuses, les Hijabeuses, a été illégalement empêché de manifester lors du débat parlementaire sur une proposition visant à interdire le port de tout élément vestimentaire religieux en compétition sportive. Présentée comme un amendement au projet de loi visant à démocratiser le sport en France, cette proposition aurait renforcé l’interdiction discriminatoire faite aux femmes musulmanes de prendre part à des compétitions de football la tête couverte par un foulard. Un tribunal administratif a suspendu l’interdiction de manifester, mais seulement après que les participantes eurent renoncé à leur action. Cet amendement n’a finalement pas été adopté, mais les débats parlementaires auxquels il a donné lieu ont été entachés par des propos discriminatoires.
À la fin de l’année, le Conseil d’État, la plus haute instance administrative du pays, n’avait pas encore statué concernant une plainte déposée par les Hijabeuses en novembre 2021 contre la Fédération française de football pour contester la règle selon laquelle une femme portant un foulard n’avait pas le droit de participer à une compétition de football.
En juin, le Conseil d’État a confirmé la décision rendue par une instance inférieure interdisant le port du « burkini » (vêtement de bain couvrant tout le corps) dans les piscines publiques de la ville de Grenoble. Le Conseil d’État a estimé que la proposition de la municipalité grenobloise d’autoriser le « burkini » était de nature à porter atteinte à « l’égalité de traitement » des usagers et usagères des services publics. Il a notamment cité la Loi de 2021 confortant le respect des principes de la République, dont certain·e·s avaient craint qu’elle ne se traduise par des atteintes aux droits humains et, en particulier, par un traitement discriminatoire à l’égard des personnes et associations musulmanes.
Antisémitisme
Une peinture murale utilisant une imagerie, un symbolisme et des tropes ouvertement antisémites a été peinte en juin à Avignon. Elle représentait un conseiller politique manipulant Emmanuel Macron comme une marionnette. Les autorités locales ont refusé de céder aux appels lancés pour que celle-ci soit retirée, au nom de la liberté d’expression. La fresque a finalement été dégradée par des anonymes.
Discrimination raciale
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale [ONU], se disant « préoccupé par le discours politique raciste tenu par des responsables politiques à l’égard de certaines minorités ethniques, en particulier les Roms, les gens du voyage, les personnes africaines ou d’ascendance africaine, les personnes d’origine arabe et les non-ressortissants », a en décembre recommandé à la France de « redoubler d’efforts pour prévenir et combattre efficacement les discours de haine raciale ». Le Comité s’est également dit préoccupé par le profilage racial pratiqué de façon persistante par les responsables de l’application des lois.
Un recours collectif a été introduit en 2021 auprès du Conseil d’État par une coalition d’organisations accusant le gouvernement de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher les pratiques de contrôles discriminatoires d’identité, et affirmant que la police se livrait à une discrimination raciale systémique. La procédure était toujours en cours à la fin de l’année.
Impunité
Le parquet a décidé de classer sans suite les plaintes d’un jeune homme qui avait perdu une main lors de l’intervention de la police venue mettre fin à une fête organisée près de Redon. La police avait fait usage de projectiles à impact cinétique ainsi que de gaz lacrymogènes et de grenades incapacitantes, de manière inappropriée et dangereuse, de nuit avec une mauvaise visibilité. Le parquet a estimé que l’usage de la force avait été nécessaire et proportionné, en totale contradiction avec les conclusions d’un rapport rédigé en 2021 par Amnesty International.
Aucun progrès n’a été enregistré dans l’affaire de la mort de Zineb Redouane, une Algérienne tuée par une grenade de gaz lacrymogènes reçue en plein visage qui avait été tirée par la police lors d’une manifestation se déroulant devant son immeuble, en décembre 2018. On attendait toujours que les droits à la justice, à la vérité et à des réparations soient garantis. Selon des informations parues dans la presse en 2021, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) aurait recommandé qu’une sanction administrative soit prise contre le policier qui avait lancé la grenade. Le directeur de la police nationale a toutefois refusé de prendre une quelconque sanction à son encontre et l’affaire semblait être à l’arrêt, au stade de l’instruction.
Liberté d’association et d’expression
Des organisations de la société civile ont fait l’objet de restrictions, notamment du fait de la Loi de 2021 confortant le respect des principes de la République et de son décret d’application en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Avant même l’adoption de cette loi, plusieurs ONG avaient averti qu’elle allait permettre de limiter de façon disproportionnée le droit à la liberté d’expression et d’association. Plusieurs organisations ont par ailleurs été menacées de dissolution administrative au titre d’autres lois.
Le Conseil d’État a suspendu en mai la mesure de dissolution d’une organisation antifasciste et de deux organisations propalestiniennes, considérant qu’elles n’avaient pas appelé « à la discrimination, à la haine ou à la violence » ni agi « en vue de provoquer des actes de terrorisme ».
La dissolution du média indépendant Nantes Révoltée a été annoncée par le ministre de l’Intérieur en janvier, mais aucune procédure n’a été engagée. En septembre, le préfet de la Vienne a sommé les pouvoirs publics de la région de Poitiers de retirer leurs subventions destinées à un festival organisé par le mouvement citoyen Alternatiba, qui se mobilisait contre le changement climatique et les inégalités sociales, au motif que des ateliers de désobéissance civile de nature « incompatible avec le contrat d’engagement républicain » étaient au programme de cet événement.
Droits des personnes réfugiées ou migrantes
En août, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé dans deux affaires, R. c. France et W. c. France, que le gouvernement français avait violé, dans un cas, et risquait de violer, dans l’autre cas, l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme) en n’ayant pas évalué correctement les risques encourus, en cas de renvoi en Russie, par des personnes d’origine tchétchène dont le statut de réfugié en France avait été révoqué. La décision de renvoi vers la Russie avait été mise à exécution dans la première affaire, et risquait de l’être dans la seconde. En décembre, la Cour a jugé dans l’affaire M. K. et autres c. France que le gouvernement avait violé le droit d’accès à un tribunal (article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme) de demandeurs et demandeuses d’asile sans ressources en n’appliquant pas les ordonnances de référé enjoignant à l’État d’héberger en urgence ces personnes.
La police aux frontières continuait de renvoyer sommairement en Italie des personnes, y compris des mineurs non accompagnés, en dehors de toute procédure régulière et sans prise en compte des circonstances propres à chaque individu. Des membres des forces de l’ordre ont pratiqué le profilage ethnique à l’égard de personnes embarquant ou circulant à bord de trains ou passant la frontière à pied ou en voiture. Des personnes franchissant la frontière de nuit ont été détenues en dehors de tout cadre légal, avant d’être remises à la police italienne le lendemain matin. Des dizaines de personnes sont mortes en tentant d’entrer sur le territoire français par des voies de plus en plus dangereuses.
Faute de voies sûres et légales permettant de rejoindre le Royaume-Uni, des milliers de personnes ont cette année encore tenté de traverser la Manche sur de petites embarcations.
Selon le HCR, fin octobre, 118 994 réfugié·e·s venus d’Ukraine se trouvaient en France.
Traitements cruels, inhumains ou dégradants
Le 24 février, Le Comité des droits de l’enfant [ONU] a estimé qu’en ne rapatriant pas des enfants français détenus dans des conditions mettant leur vie en danger dans des camps syriens où étaient enfermées des personnes soupçonnées d’appartenir au groupe État islamique (EI) ainsi que leur famille, la France avait violé le droit de ces enfants à la vie ainsi que leur droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants.
En juillet, la France a rapatrié 35 enfants, dont sept mineurs non accompagnés, et 16 mères qui étaient détenus dans des camps situés dans le nord-est de la Syrie. En septembre, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France dans l’affaire H. F. et autres c. France car elle avait refusé de rapatrier deux femmes françaises détenues dans ces camps, dont les conjoints étaient soupçonnés d’être des combattants de l’EI.
La France a continué de suivre une approche au cas par cas en matière de rapatriement alors que des dizaines d’autres ressortissant·e·s français – hommes, femmes et enfants – étaient toujours détenus dans des conditions dangereuses dans des camps surpeuplés.
Lutte contre la crise climatique
Le Conseil d’État a réaffirmé en septembre que le droit de vivre dans un environnement sain était un droit fondamental.
Ce même Conseil d’État a condamné en octobre le gouvernement français à une amende de 20 millions d’euros pour ne pas avoir respecté, pendant deux périodes de six mois, entre juillet 2021 et juillet 2022, les normes européennes de qualité de l’air. Le montant de cette amende devait être versé à des groupes écologistes. À la fin de l’année, l’État n’avait pas pris de mesures suffisantes pour améliorer la qualité de l’air et atteindre les objectifs en matière de pollution « dans le délai le plus court possible ».
Toujours au mois d’octobre, les villes de Paris, New York et Poitiers, ainsi qu’Amnesty International France, ont rejoint la procédure judiciaire en cours engagée en 2017 contre l’entreprise TotalEnergies par une coalition issue de la société civile. Il était notamment reproché à cette entreprise de ne pas respecter les objectifs de l’Accord de Paris et de ne pas exercer la diligence requise en matière climatique conformément aux dispositions de la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
En novembre, la cour d’assises de Paris a rendu un jugement historique, condamnant l’ancien chef rebelle libérien Kunti Kamara pour des crimes de guerre perpétrés au Liberia entre 1989 et 1996. Cet homme a notamment été déclaré coupable de complicité de crimes contre l’humanité et d’avoir lui-même commis des actes de torture et de barbarie.
L’interprétation de la notion de compétence universelle en droit français suscitait toujours un certain nombre de préoccupations. Celle-ci était l’une des plus restrictives au monde. Les restrictions posées par le législateur continuaient de vider ce principe de toute substance pour la plupart des crimes de droit international.
Transferts d’armes irresponsables
En juin, une coalition d’ONG a porté plainte devant le tribunal judiciaire de Paris contre les entreprises d’armement françaises Dassault Aviation, Thales Group et MBDA France. Les organisations reprochaient à ces entreprises leur possible complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés, en raison de transferts d’armes utilisées au Yémen par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Le gouvernement et le Parlement n’étaient toujours pas parvenus à s’entendre sur la création d’un mécanisme de contrôle parlementaire des transferts d’armes.
Conditions de détention inhumaines
La section française de l’Observatoire international des prisons et Amnesty International ont appelé en juin à l’adoption d’un plan national d’action visant à traiter de toute urgence le problème de la surpopulation et des conditions de vie inhumaines dans les prisons françaises, un problème dénoncé par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt datant de 2020.