Les autorités ont imposé de nouvelles restrictions à la liberté d’expression. Cette année encore, la justice a été sélective et des poursuites à caractère politique ont été engagées contre des opposant·e·s au gouvernement. De nouvelles lois ont renforcé les pouvoirs de surveillance de l’État et affaibli davantage l’indépendance de la justice et des organismes officiels de surveillance. Les femmes et les filles étaient toujours confrontées à la discrimination et à un niveau élevé de violence. L’absence d’enquêtes efficaces sur les cas de torture et d’autres mauvais traitements demeurait un motif de préoccupation tant dans les zones sous contrôle gouvernemental que dans les territoires séparatistes.
Contexte
Le pays était toujours plongé dans une crise politique persistante. Face à ces motifs de préoccupation, la Commission européenne a reporté en juin l’attribution à la Géorgie du statut de candidate à l’entrée dans l’UE, posant comme condition une amélioration dans 12 domaines prioritaires, tels que la gouvernance démocratique, la réforme judiciaire et le respect des droits humains.
La hausse des transferts de fonds en provenance des Géorgiens et Géorgiennes installés en Russie et l’arrivée de plus de 100 000 personnes ayant quitté ce pays après l’invasion de l’Ukraine ont favorisé la croissance économique, mais aussi semble-t-il contribué à l’augmentation du coût de la vie et des inégalités économiques. Le manque d’emplois pour les jeunes sur le marché du travail a conduit beaucoup d’entre eux à émigrer.
En mars, le Comité européen des droits sociaux s’est inquiété de l’insuffisance des mesures prises par la Géorgie pour combattre la pollution et garantir l’accès à l’eau potable. Il a également constaté que les autorités ne garantissaient pas la sécurité sociale à tous les travailleurs et travailleuses ainsi qu’aux personnes dont ils avaient la charge.
Liberté d’expression
Les discours de plus en plus agressifs des autorités et les poursuites en diffamation visant des journalistes critiques à l’égard du gouvernement, de même que l’absence d’enquêtes efficaces sur les crimes commis contre des journalistes, ont eu un effet dissuasif sur la liberté d’expression. En mai, l’ONG Reporters sans frontières a rétrogradé la Géorgie dans son Classement mondial de la liberté de la presse, notamment à cause des tendances persistantes à l’affaiblissement de la liberté d’expression et à l’accroissement des menaces contre le travail journalistique dus à l’ingérence des autorités.
Le 4 avril, le tribunal municipal de Tbilissi a condamné six accusés à cinq ans d’emprisonnement chacun pour les violences infligées à des journalistes lors de la marche des fiertés de Tbilissi en juillet 2021, violences qui avaient entraîné la mort du cameraman Lekso Lashkarava. Cependant, les organisateurs présumés de la contre-manifestation violente à laquelle participaient ces six hommes n’ont pas été poursuivis.
En juillet, un ancien responsable des services de sécurité qui se trouvait en détention provisoire a rendu publique une lettre dans laquelle il affirmait que l’enlèvement en Géorgie du journaliste azerbaïdjanais Afgan Mukhtarli et sa « restitution » à l’Azerbaïdjan en 2017 étaient l’œuvre des forces de sécurité géorgiennes. Afgan Mukhtarli a pour sa part déclaré en octobre à TV Pirveli, chaîne de télévision géorgienne critique envers le gouvernement, qu’il avait reconnu sur des photos un haut gradé des forces de sécurité comme étant l’un de ses ravisseurs. Aucune enquête véritable n’a été menée sur son enlèvement et personne n’avait été inculpé dans cette affaire à la fin de l’année.
Droit au respect de la vie privée
Le 6 septembre, le Parlement a passé outre un veto présidentiel et adopté des modifications législatives controversées renforçant les pouvoirs des forces de l’ordre en matière de surveillance secrète. La nouvelle législation élargissait la portée et la durée des enquêtes secrètes et permettait de surveiller une personne indéfiniment sans qu’elle soit au courant.
La surveillance secrète a cette année encore été utilisée contre des membres de l’opposition, des médias qui critiquaient le gouvernement et des ONG. En juillet, un média progouvernemental a publié un enregistrement audio obtenu secrètement, dans lequel on entendait des employé·e·s de Mtavari TV, chaîne de télévision critique à l’égard des autorités, qui discutaient de questions éditoriales. D’autres matériaux rendus publics à la suite d’une fuite en septembre, dont des enregistrements audio et des photos révélant des détails de la vie privée des personnes concernées, ont montré que des journalistes, des membres de l’opposition et des militant·e·s étaient probablement espionnés par les services de sécurité. Une enquête sur de possibles « enregistrements et écoutes non autorisés de communications privées » a été ouverte par le Service spécial d’enquête nouvellement créé, mais aucune conclusion n’avait été rendue publique à la fin de l’année.
Procès inéquitables
L’influence croissante du gouvernement sur le pouvoir judiciaire, le recours à une justice sélective et les poursuites à caractère politique contre des opposant·e·s et des médias critiques à l’égard des autorités ont cette année encore été source de préoccupations.
En janvier, Mamuka Khazaradze et Badri Japaridze, dirigeants du parti d’opposition Lelo, ainsi qu’Avtandil Tsereteli, fondateur de TV Pirveli, ont été condamnés à sept ans d’emprisonnement chacun sur la base d’accusations de fraude motivées par des considérations politiques. Ils sont toutefois ressortis libres du tribunal, car le délai de prescription était dépassé au moment du jugement. À la suite de sa condamnation, Badri Japaridze a été privé de son mandat parlementaire.
Le procès de l’ancien président géorgien Mikheil Saakachvili, dont l’état de santé se détériorait, s’est poursuivi. Alors que des rapports médicaux évoquaient un possible « empoisonnement aux métaux lourd » et un « risque accru de mortalité », un tribunal de Tbilissi a décidé à la fin de l’année de ne pas reporter pour raisons médicales l’exécution de sa peine d’emprisonnement. En mars, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé recevables des plaintes concernant des violations du droit de l’ancien chef de l’État à un procès équitable. Nika Gvaramia, directeur de Mtavari TV, a été condamné en mai à 42 mois d’emprisonnement pour abus de pouvoir, une accusation totalement infondée. La cour d’appel a confirmé sa condamnation en novembre.
En juin, la Commission de Venise du Conseil de l’Europe a souligné que la soudaineté et l’ampleur des modifications apportées en 2021 à la Loi organique sur les tribunaux de droit commun risquaient de « créer un effet paralysant sur la liberté d’expression des juges et l’indépendance judiciaire interne », avec une volonté perçue « de contrôler » les juges et de les « réduire au silence ». En avril, cinq juges ont saisi la Cour constitutionnelle à propos de ces modifications, faisant valoir que la nouvelle législation bafouait la protection de la liberté d’expression garantie par la Constitution.
Torture et autres mauvais traitements
Le 12 janvier, les services de l’Inspection d’État, chargés d’enquêter sur les violations des droits humains commises par la police, ont été supprimés et remplacés par deux nouveaux organismes. La société civile a critiqué cette modification, jugeant les nouvelles structures moins efficaces et moins indépendantes, ce qui allait affecter la capacité de l’État à enquêter véritablement sur les violations des droits humains imputables à la police, notamment les allégations de torture, de mauvais traitements et de mort en détention, ainsi que sa capacité à garantir que justice soit rendue pour ces crimes.
Droits des femmes et des filles
Entre janvier et septembre, les médias ont fait état de 14 homicides et 23 tentatives d’homicide visant des femmes, laissant craindre que les féminicides et les autres formes de violences fondées sur le genre soient toujours en hausse. Les mesures de réduction de la mortalité infantile et de la mortalité maternelle demeuraient insuffisantes. Les inégalités économiques restaient aussi à un niveau alarmant : en mars, la Banque mondiale a estimé que 50 % des femmes étaient tenues à l’écart du marché du travail par les tâches domestiques contre seulement 5 % des hommes, et que les revenus des femmes étaient toujours inférieurs d’environ 16 % à ceux des hommes.
Abkhazie et Ossétie du Sud (région de Tskhinvali)
Le bilan en matière de droits humains des deux régions séparatistes de Géorgie a continué de se détériorer dans plusieurs domaines, dont la liberté d’expression. L’impunité est restée la norme pour les atteintes aux droits humains commises par le passé.
Torture et autres mauvais traitements
Gennady Kulayev, habitant d’Ossétie du Sud (région de Tskhinvali), est mort le 31 août des suites de ses blessures résultant de coups et d’autres mauvais traitements subis en détention en 2020. Aucune véritable enquête n’a été menée sur son cas ni sur celui d’Inal Dzhabiev, mort en détention en 2020 après avoir été torturé.
De même, les autorités n’ont pas mené d’enquête efficace sur la mort d’Anri Ateiba, décédé alors qu’il était incarcéré en Abkhazie en 2021. Irakli Bebua, emprisonné pour avoir brûlé le drapeau abkhaze en 2020, a semble-t-il été privé des traitements nécessaires pour soigner sa maladie chronique.