Tadjikistan - Rapport annuel 2022

République du Tadjikistan
Chef de l’État : Emomali Rahmon
Chef du gouvernement : Kokhir Rassoulzoda

Les forces de sécurité ont tué des dizaines de protestataires pamiris lors de la répression violente de manifestations et au cours d’une « opération anti-terroriste » lancée dans l’est du pays. Des militant·e·s, des dirigeant·e·s locaux, des journalistes, des blogueurs et des blogueuses ont été arrêtés et condamnés à l’issue de procès inéquitables. Beaucoup ont indiqué avoir été soumis à de la torture. L’accès à l’information, notamment par l’intermédiaire des médias et d’Internet, restait lourdement restreint. La violence domestique était toujours monnaie courante dans le pays, les victimes n’obtenant que rarement soutien ou justice. Des réfugié·e·s afghans ont cette année encore été détenus et expulsés.

Contexte

Le président, au pouvoir depuis 30 ans, et sa famille contrôlaient toujours étroitement la vie économique et politique du Tadjikistan.

Plus d’une centaine de personnes, dont des dizaines de civil·e·s, ont été tuées et des maisons, des écoles et des marchés détruits lors d’affrontements transfrontaliers entre le Tadjikistan et le Kirghizistan en septembre.

En mai, après des mois de répression ciblée de la part du gouvernement central, les tensions persistantes entre celui-ci et les Pamiri·e·s, une minorité ethnique non reconnue appartenant à la communauté des chiites ismaéliens de la région autonome du Haut-Badakhchan, ont déclenché de nouvelles manifestations. Ces dernières ont été brutalement réprimées par les autorités, qui ont lancé, le 18 mai, une « opération anti-terroriste » dans la région. Des dizaines de Pamiris ont été tués dans les semaines qui ont suivi et plus de 200 personnes ont été arrêtées.

Droit à la vie et à la sécurité de la personne

Selon les premières statistiques publiées en mai par le gouvernement, 21 personnes auraient été tuées lors de l’« opération anti-terroriste » menée dans la région autonome du Haut-Badakhchan. Des sources non officielles ont cependant fait état d’un chiffre au moins deux fois supérieur. Les circonstances d’un grand nombre de ces morts et l’absence de couverture indépendante des événements ont donné lieu à des allégations d’exécutions extrajudiciaires. Des militants de renom, des personnalités locales influentes, des poètes, des responsables religieux et des journalistes ont été la cible d’arrestations arbitraires.

Plusieurs membres éminents de la diaspora pamirie en Russie ont été enlevés, avant de refaire surface, en détention, au Tadjikistan. À la fin de l’année, la plupart de ces personnes avaient été condamnées à de longues peines de réclusion à l’issue de procès iniques, généralement pour des accusations d’appartenance supposée à une organisation criminelle et de tentative de renversement de l’ordre constitutionnel. On ignorait toujours ce qu’il était advenu de certaines des personnes arrêtées, ce qui laissait craindre qu’elles aient été victimes de disparition forcée.

Droits économiques, sociaux et culturels

La répression menée contre les personnalités influentes, les dirigeant·e·s locaux et les militant·e·s pamiris de premier plan s’est accompagnée d’une offensive plus générale contre le patrimoine culturel de la communauté. À la suite des troubles qui ont eu lieu aux mois de mai et de juin, les autorités ont fermé et confisqué les biens de multiples organisations locales liées au Réseau Aga Khan pour le développement et travaillant dans les domaines de l’éducation, du développement économique et de l’instruction religieuse.

Liberté d’expression

La liberté d’expression restait soumise à d’importantes restrictions. Les rares médias indépendants, défenseur·e·s des droits humains, blogueurs et blogueuses qui restaient ont été fortement ciblés lors de la répression qui a fait suite aux manifestations dans la région autonome du Haut-Badakhchan.

Le 17 mai, Moulloradjab Ioussoufi et Anouchervon Aripov, deux journalistes travaillant pour la branche tadjike de Radio Free Europe et pour le média indépendant Current Time, ont été roués de coups par des inconnus dans la capitale, Douchanbé. Ils venaient de s’entretenir avec la célèbre journaliste et défenseure des droits humains pamirie Oulfatkhonim Mamadchoïeva concernant les événements qui s’étaient déroulés dans le Haut-Badakhchan.

Le lendemain, Oulfatkhonim Mamadchoïeva a elle-même été arrêtée et accusée d’« appeler publiquement au renversement de l’ordre constitutionnel ». Elle a été condamnée en décembre à une peine de 21 ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès à huis clos inéquitable. À la suite de son arrestation, les autorités ont ordonné à Asia-Plus, l’agence de presse privée pour laquelle elle travaillait, de cesser de couvrir les événements qui se déroulaient dans le Haut-Badakhchan. D’autres médias ont indiqué avoir subi des pressions similaires.

Le 19 mai, le journaliste et blogueur pamiri Khouchrouz Djoumaïev, connu en ligne sous le nom de Khouch Gouliam, a été arrêté. Il a été condamné à huit ans de réclusion en décembre, sur la base d’accusations vagues liées aux événements qui ont eu lieu en mai dans la région autonome du Haut-Badakhchan.

Parmi les autres militant·e·s jugés dans l’année au cours de procès inéquitables se trouvait une dizaine de membres de Commission 44, un groupe indépendant d’avocats et de défenseurs des droits humains créé pour enquêter sur le meurtre d’un militant, en novembre 2021, qui avait déclenché des manifestations dans le Haut-Badakhchan. Chtchaftolou Bekdavlatov et Khoudjamri Pirmamadov ont été condamnés à 18 ans de réclusion chacun. Ils étaient inculpés d’avoir organisé un groupe criminel et reçu une aide financière de l’étranger. Le président de l’Association des avocats pamiris, Manoutchehr Kholiknazarov, a été condamné à 15 ans d’emprisonnement le 9 décembre.

Des journalistes, blogueurs et blogueuses ont également fait l’objet de poursuites pour avoir rendu compte de façon critique d’événements sans rapport avec la région autonome du Haut-Badakhchan. Le 15 juin, Daler Imomali et Avazmad Gourbatov (aussi connu sous le nom d’Abdoullo Gourbati), deux journalistes et défenseurs des droits humains qui ont amplement écrit au sujet de violations des droits économiques et sociaux, ont été arrêtés peu après avoir rendu compte de la démolition de maisons à Douchanbé.

Le 4 octobre, Avazmad Gourbatov a été condamné à sept ans et demi d’emprisonnement lors d’un procès à huis clos, sur la foi d’accusations forgées de toutes pièces selon lesquelles il aurait agressé un policier et serait affilié à l’organisation politique Group 24, interdite de façon arbitraire. Daler Imomali a été condamné à 10 ans de prison deux semaines plus tard, sur la base d’accusations tout aussi abracadabrantes d’évasion fiscale, de diffusion de fausses informations et d’affiliation supposée à Group 24.

L’accès à Internet a été entièrement coupé pendant les premiers mois de l’année dans la région autonome du Haut-Badakhchan et n’a été réactivé que partiellement et par intermittence le reste de l’année. D’étroites restrictions d’accès ont été maintenues dans l’ensemble du pays.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les autres formes de mauvais traitements demeuraient très répandues, aussi bien comme moyen d’intimidation que pour arracher des « aveux ». Les prisonniers ont continué de signaler des mauvais traitements, notamment des coups, un manque d’accès à la nourriture et à l’eau et des cellules froides et humides.

Lors de la détention provisoire qui a suivi son arrestation en juillet, Abdoussattor Pirmouhammadzoda, un blogueur qui avait été renvoyé d’une station de radio publique pour avoir critiqué le gouvernement en 2020, a réussi à faire parvenir clandestinement une lettre à l’extérieur. Dans celle-ci, il décrivait les coups violents, les décharges électriques et la torture psychologique, notamment les menaces contre sa famille, auxquels on le soumettait afin de lui soutirer des « aveux ». Il a été condamné à sept ans de prison en novembre.

En juin, alors qu’elle essayait de se rendre à un concert dans un parc public de Douchanbé, Elobat Oralikova a été arrêtée parce qu’elle portait une robe noire en signe du deuil de la mort de l’un de ses fils, tradition interdite en 2017. Rouée de coups au poste de police de Spitamen, elle a dû être hospitalisée. Lorsqu’elle a déposé plainte, elle a été menacée de 15 jours de détention pour désobéissance à un policier.

Droits des femmes et des filles

D’après de multiples indicateurs publiés au cours de l’année, parmi lesquels le Rapport sur les inégalités femmes-hommes dans le monde du Forum économique mondial, l’écart entre les genres au Tadjikistan était le plus élevé de tous les pays d’Asie centrale et l’un des plus élevés au monde.

Dans une enquête publiée en juin par l’initiative Spotlight, une collaboration entre l’Union européenne et les Nations unies, 77,3 % des personnes interrogées estimaient que la violence contre les femmes était très répandue au Tadjikistan, et 34 % parmi les deux sexes pensaient que battre une partenaire qui refusait d’obéir était un acte justifié. Le rapport qui accompagnait cette enquête a mis en évidence un grand nombre de problèmes existant de longue date : la faiblesse du cadre juridique, la portée limitée et le financement insuffisant des services de protection et enfin, les comportements stéréotypés des services publics, notamment des organes responsables de l’application des lois. Un projet de nouveau Code pénal érigeant en infraction la violence domestique, présenté au Parlement en 2021, n’avait pas été adopté à la fin de l’année.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

En août, le HCR a exprimé de profondes inquiétudes concernant les détentions et les expulsions de réfugié·e·s afghans qui continuaient d’être pratiquées dans le pays. Rien qu’aux mois d’août et de septembre, l’agence a recensé des dizaines de cas. Des membres de la communauté afghane réfugiée dans le pays, qui rassemblait près de 14 000 personnes, ont signalé que les expulsions forcées avaient lieu en l’absence de toute procédure ou justification évidente.

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