Depuis l’occupation et l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, la situation en matière de droits humains se détériore dans la péninsule. Une nette aggravation est constatée depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Les personnes qui tentent d’y exercer leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association - entre autres, les militant·e·s des droits civiques, les journalistes indépendants, les personnes favorables à l’Ukraine et les membres de groupes confessionnels - font l’objet de sévères mesures de rétorsion. Les membres de premier plan et les militant·e·s de la communauté tatare de Crimée, que les autorités de facto ont toujours considérée comme déloyale envers la puissance occupante qu’est la Russie, sont particulièrement touchés par ces représailles incessantes.
Le Mejlis des Tatars de Crimée, une assemblée autonome qui jouait un rôle de premier plan dans la promotion de la culture, de l’identité et des traditions du peuple tatar de Crimée, a été arbitrairement interdit en 2016 au titre de la législation russe contre l’extrémisme. Ses dirigeant·e·s et militant·e·s ont été soit exilés, soit poursuivis et emprisonnés. Les militant·e·s des mouvements populaires qui ont été créés par la suite pour tenter de protéger les membres de la population tatare de Crimée contre de nouvelles représailles sont également la cible de persécutions similaires. Nombre de ces personnes ont été arrêtées sur la base d’accusations infondées ayant trait au terrorisme, et emprisonnées en Russie à l’issue de procès iniques devant des tribunaux militaires.
Au début du mois, les forces de l’ordre russes ont arrêté six hommes tatars de Crimée sur la base d’allégations d’appartenance au Hizb ut Tahrir, un mouvement religieux interdit en Russie (mais pas en Ukraine) car considéré comme « terroriste ». Ces dernières années, au moins 82 arrestations de ce type, suivies de condamnations à des peines de 10 à 20 ans de prison, ont été recensées.
Pour défendre les victimes de poursuites à caractère politique dans la péninsule, les avocats de Crimée doivent faire preuve d’un grand courage, s’exposant à des représailles incessantes - perquisitions illégales, arrestations arbitraires, lourdes amendes et périodes de « détention administrative » (incarcération), notamment -, ainsi qu’au risque constant de subir une radiation.
Après l’occupation et l’annexion illégale de la Crimée, la Russie a importé l’ensemble de ses lois dans la péninsule, ce qui constitue en soi une violation du droit international humanitaire régissant l’occupation. En conséquence, les avocats locaux n’étaient plus reconnus officiellement comme membres de la profession juridique, et devaient s’inscrire auprès de barreaux en Russie pour pouvoir représenter des personnes dans le cadre de procédures pénales et devant les tribunaux en Crimée. Un barreau a également été créé en Crimée, en vertu du droit russe. Cependant, plusieurs avocats spécialistes des droits humains ont été empêchés d’en devenir membres.
Roustem Kyamilev et Lilya Guemedji ont tous deux demandé à rejoindre le barreau de Crimée, mais celui-ci a refusé à plusieurs reprises d’examiner leur candidature pour des motifs peu convaincants, invoquant par exemple les restrictions imposées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 (en Russie et en Crimée occupée, ces restrictions et les sanctions qui leur sont liées ont souvent été appliquées de manière sélective, à l’encontre de personnes ayant critiqué les autorités et d’opposant·e·s ).