Le 29 juillet 2016 vers 23 heures, après avoir vandalisé le domicile de Meliana, une foule est descendue dans les rues et a détruit ou incendié au moins huit lieux de culte, centres médicaux et immeubles de bureaux bouddhistes. À la suite de ces violences, huit manifestants ont été condamnés par le tribunal de district de Tanjung Balai à des peines allant d’un à quatre mois d’emprisonnement pour avoir détruit et incendié les bâtiments. Ces actes ont été déclenchés par les allégations selon lesquelles Meliana s’était plainte de l’appel à la prière (adzan), ce pour quoi elle a été inculpée au titre de l’article 156(a) du Code pénal.
Les dispositions de l’article 156(a) du Code pénal relatives au blasphème prévoient des poursuites pénales pour « toute personne qui, en public et de façon délibérée, exprime des opinions ou se livre à des activités en principe assimilables à de l’hostilité et considérées comme irrespectueuses ou blasphématoires à l’égard d’une religion pratiquée en Indonésie ». Ces dispositions ont été utilisées pour poursuivre des personnes et les emprisonner pendant une période d’une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans, alors qu’elles n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leurs droits aux libertés d’expression, de pensée, de conscience ou de religion, qui sont protégés par des traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels l’Indonésie est partie.
Bien que la Loi sur le blasphème (décret présidentiel n° 1/PNPS/1965) et l’article 156(a) du Code pénal ait été promulguée en 1965, elle n’a été utilisée que pour poursuivre une dizaine de personnes entre 1965 et 1998, lorsque l’ancien président Suharto était au pouvoir, période pendant laquelle l’exercice du droit à la liberté d’expression était pourtant soumis à de fortes restrictions. Entre 2005 et 2014, selon les informations recueillies par Amnesty International, au moins 106 personnes ont été poursuivies et condamnées au titre de la législation relative au blasphème en Indonésie.
Par exemple, Basuki Tjahaja Purnama, le gouverneur de Djakarta, plus connu sous le nom de « Ahok », a été déclaré coupable de blasphème et immédiatement condamné à deux ans d’emprisonnement par le tribunal du district Nord de Djakarta, le 9 mai 2017. Ahok, qui est chrétien, a été accusé d’avoir « insulté l’islam » dans une vidéo diffusée sur Internet, après qu’il eut annoncé publiquement qu’il se représenterait au poste de gouverneur de Djakarta aux élections de 2017. (Pour en savoir plus, voir : https://www.amnesty.org/fr/documents/asa21/6213/2017/fr/.) Alnoldy Bahari, également un prisonnier d’opinion, a été condamné à cinq ans d’emprisonnement au titre de la répressive Loi relative aux informations et aux transactions électroniques, pour avoir publié sur Facebook des messages jugés insultants à l’égard de l’islam et pour avoir prétendument diffusé des « propos haineux ». Il a été déclaré coupable de blasphème et condamné à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de 100 millions de roupies indonésiennes par le tribunal de district de Pandeglang (province de Banten, Indonésie), le 30 avril 2018. (Pour en savoir plus, voir : https://www.amnesty.org/fr/documents/asa21/8348/2018/fr/.)
Le droit international relatif aux droits humains autorise les États à imposer certaines restrictions à l’exercice de la liberté d’expression lorsqu’elles sont manifestement nécessaires pour protéger les droits d’autrui, mais ces dispositions ne peuvent être invoquées pour protéger les religions et d’autres systèmes de croyance contre la critique. Le droit à la liberté de religion ou de conviction protège les droits des personnes et des groupes, mais pas les religions elles-mêmes, ni les sensibilités religieuses de leurs adeptes, et il n’englobe pas le droit de voir sa religion ou sa conviction à l’abri de critiques tant externes qu’internes ou de la dérision. Le droit à la liberté d’expression s’applique aux informations et idées de toutes sortes, y compris celles qui peuvent être profondément choquantes. Par conséquent, les lois qui invoquent la protection des religions pour limiter la liberté d’expression, comme les lois sur le blasphème ou sur l’outrage à l’égard de la religion, sont incompatibles avec le droit à la liberté d’expression et doivent être abrogées.
Par le passé, Amnesty International a déjà appelé les autorités indonésiennes à abroger toutes les dispositions législatives et règlementaires relatives au blasphème qui imposent des restrictions à l’exercice des droits aux libertés d’expression, de pensée, de conscience et de religion outrepassant ce qui est permis en vertu du droit international relatif aux droits humains et des normes internationales en la matière, ou à modifier ces dispositions afin de les rendre conformes aux obligations internationales de l’Indonésie en matière de droits humains (pour en savoir plus, voir : https://www.amnesty.org/en/documents/asa21/018/2014/en/).