Le 1er novembre 2018, Aisha el Shater et son époux Mohamed Abo Horeira ont été arrêtés chez eux à Nasr City, au Caire. Selon certaines sources, Aisha el Shater a disparu de force pendant 20 jours, période pendant laquelle les forces de sécurité ont refusé de donner à sa famille des informations sur le lieu où elle se trouvait. Amnesty International a appris de sources bien informées que pendant cette période, elle était détenue au siège de l’Agence de sécurité nationale dans le quartier d’Abbasiya au Caire et a subi des coups et des décharges électriques. Le 21 novembre 2018, elle a comparu devant le service du procureur général de la sûreté de l’État, et a été placée en détention provisoire dans l’attente des conclusions de l’enquête pour des accusations d’« appartenance à un groupe terroriste », de « réception de fonds destinés à un objectif terroriste » et de « participation à un accord criminel visant à commettre un crime terroriste ». Avant d’être arrêtée, elle a évoqué sur son compte Facebook les violations des droits humains en Égypte, notamment les disparitions forcées, les actes de torture et les mauvais traitements dans les lieux de détention. Avant d’être arrêté, l’avocat Mohamed Abo Horeira a représenté des détenus soupçonnés d’être membres des Frères musulmans.
Le jour où Aisha el Shater et son époux ont été appréhendés, le 1er novembre 2018, les autorités égyptiennes ont lancé une série de descentes, arrêtant au moins 31 militant·e·s des droits humains et avocat·e·s spécialistes de ces droits (10 femmes et 21 hommes). La Coordination égyptienne pour les droits et les libertés (ECRF), qui recueillait des informations sur les disparitions forcées et le recours à la peine de mort, et apportait une aide juridique aux victimes de violations des droits humains, a été particulièrement visée par ces mesures de répression. Dans une déclaration publiée le 1er novembre 2018 et annonçant la suspension de ses activités en faveur des droits humains, l’ECRF a indiqué que la situation en Égypte était incompatible avec la défense des droits et a réclamé l’intervention du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
Le 23 août 2021, le service du procureur général de la sûreté de l’État a renvoyé Aisha el Shater, Mohamed Abo Horeira, le défenseur des droits humains et fondateur de l’ECRF Ezzat Ghoniem, l’avocate spécialiste des droits humains Hoda Abdelmoniem et 27 autres accusés devant une cour de sûreté de l’État. Le service du procureur général de la sûreté de l’État les a inculpés de divers chefs d’accusation, notamment appartenance à une organisation terroriste (les Frères musulmans), diffusion de fausses informations sur les atteintes aux droits humains imputables aux forces de sécurité via une page Facebook intitulée Coordination égyptienne pour les droits et les libertés, financement d’une organisation terroriste et possession de tracts promouvant les objectifs d’une organisation terroriste.
Le 25 octobre 2021, le président Abdel Fattah al Sissi a annoncé qu’il ne prolongerait pas l’état d’urgence, en vigueur depuis 2017, qui avait permis la création des cours de sûreté de l’État. L’article 19 de la Loi relative à l’état d’urgence prévoit que les procès en cours se poursuivront même après la levée de ce régime d’exception. Au cours des trois mois précédant l’annonce de la levée de l’état d’urgence, les autorités égyptiennes ont déféré au moins 26 défenseur·e·s des droits humains, militant·e·s et opposant·e·s politiques devant des tribunaux d’exception. Les procédures qui se déroulent devant les cours de sûreté de l’État sont intrinsèquement iniques.
Les personnes condamnées se voient dénier le droit de faire appel de la déclaration de culpabilité et de la peine devant une juridiction supérieure. Seul le président égyptien est habilité à confirmer, annuler ou commuer les peines prononcées par ces juridictions, ou à ordonner la tenue d’un nouveau procès. Parmi les autres violations du droit à un procès équitable recensées figurent le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, le droit de communiquer avec l’avocat de son choix et le droit à une audience publique.
Par ailleurs, les juges des cours de sûreté de l’État rejettent régulièrement les requêtes formées par les avocats de la défense en vue d’obtenir une copie des dossiers, qui dans certains cas font plus de 2 000 pages, et leur donnent pour instruction d’examiner ces dossiers devant la cour. Les procureurs et les juges s’abstiennent également de remettre une copie de l’acte d’accusation aux personnes poursuivies et à leurs conseils, portant atteinte à leur droit d’être informés de la nature et des motifs exacts de l’accusation. Les autorités ont interdit à Aisha el Shater de rencontrer ses avocats, sauf au tribunal, bafouant son droit à une défense adéquate.
Ces derniers mois, des dizaines d’opposant·e·s politiques et de détracteurs ont été déclarés coupables de charges infondées à l’issue de procès manifestement iniques devant des cours de sûreté de l’État. C’est le cas des hommes politiques Zyad el Elaimy et Hisham Fouad, condamnés en novembre 2021 à des peines de trois à cinq ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès inique devant un tribunal d’exception, uniquement pour avoir critiqué le bilan de l’Égypte en matière de droits humains et de politique économique. Ils ont été appréhendés par les forces de sécurité en juin 2019, peu après une rencontre organisée pour débattre de stratégie en vue de participer aux élections de 2020, et ont été maintenus en détention sans jugement pendant plus de deux ans.
Le 29 mai 2022, une cour de sûreté de l’État a condamné 25 opposant·e·s politiques, dont Mohamed al Kassas et l’ancien candidat à la présidence Abdel Moneim Aboul Fotouh à 10 et 15 ans de prison, respectivement, après les avoir déclarés coupables d’accusations liées au terrorisme forgées de toutes pièces et de diffusion de fausses informations.
Le père d’Aisha el Shater, Khairat el Shater, est incarcéré depuis juillet 2013, lorsque l’armée a renversé l’ancien président Mohamed Morsi. Depuis lors, les autorités ont interdit le mouvement des Frères musulmans et appréhendé et poursuivi ses leaders et des dizaines de milliers de membres et sympathisant·e·s présumés.