Le 4 avril 2017, des villageois·e·s de Sumberagung, dans le district de Banyuwangi (province indonésienne de Java oriental), ont manifesté pacifiquement pour protester contre l’ouverture d’une nouvelle mine d’or dans les montagnes de Salakan, estimant que les activités minières dans ce secteur étaient responsables d’une destruction écologique et mettaient en danger les villages voisins. Budi Pego s’est joint aux villageois·e·s pour fabriquer des banderoles portant des messages de protestation qu’ils ont ensuite installées sur la route reliant la plage de l’île rouge au bureau du district de Pesanggaran. Dans la soirée, deux hommes disant appartenir à l’armée ont dit à Budi Pego avoir reçu des informations indiquant qu’une des banderoles utilisées lors de la manifestation arborait le symbole communiste du marteau et de la faucille. Budi Pego a dit qu’il ne savait pas qui avait peint ce symbole sur la banderole.
Le parquet du district de Banyuwangi a ordonné l’arrestation de Budi Pego le 4 septembre 2017 au motif qu’il aurait affiché un logo communiste dans le but de « diffuser l’idéologie communiste. » Étant l’unique personne arrêtée, il a été condamné à 10 mois d’emprisonnement le 23 janvier 2018 par le tribunal du district de Banyuwangi pour avoir enfreint l’article 107a du Code pénal indonésien, qui réprime les « atteintes à la sûreté de l’État ». Il a été déclaré coupable de trois chefs d’accusation principaux : avoir diffusé l’idéologie communiste, ne pas avoir informé la police locale de la tenue d’une manifestation conformément à la Loi n° 9/1998 et, en tant que dirigeant de la manifestation, avoir fait ouvertement la promotion de l’idéologie communiste en affichant le symbole du marteau et de la faucille pendant l’événement. L’avocat de Budi Pego et le ministère public ont fait appel du verdict le 26 janvier 2018.
La haute cour de la province de Java oriental a confirmé la décision de la juridiction inférieure, ce qui a amené les deux parties à former un recours devant la Cour Suprême. Après avoir purgé sa peine, Budi Pego a été libéré le 1er juillet 2018. Cependant, le 16 octobre 2018, son recours en cassation a été rejeté et la Cour Suprême a alourdi sa peine, la portant à quatre années d’emprisonnement. En novembre et décembre 2018, Budi Pego a reçu deux sommations, adressées par le ministère public, de purger le reliquat de sa peine. Or, à l’époque, Budi Pego n’avait pas encore reçu la copie du verdict, et conformément au Code de procédure pénale indonésien, le parquet ne peut pas faire appliquer une décision judiciaire tant que le ou la condamné·e n’a pas reçu ce document. Les autorités n’ont pris aucune initiative supplémentaire et les choses en sont restées là concernant son incarcération.
Le 24 mars 2023, cinq ans environ après sa libération, une dizaine et de fonctionnaires de la police et du parquet ont fait irruption au domicile de Budi Pego et ont arrêté ce dernier, déclarant qu’ils exécutaient la décision rendue par la Cour suprême en 2018. Cette arrestation opérée par la police est intervenue trois jours seulement après que, semble-t-il, neuf individus non identifiés se furent introduits chez Budi Pego dans la soirée du 21 mars 2023 et eurent détruit une banderole protestant contre la mine d’or qui était accrochée dans sa maison depuis des années. Moins d’une semaine auparavant, le 16 mars, une équipe travaillant pour la compagnie minière menant ses opérations dans le secteur avait effectué un relevé géologique dans les montagnes de Salakan, sous escorte policière, militaire et de fonctionnaires de l’organisme chargé de l’ordre public. Le parquet a nié tout lien entre l’arrestation de Budi Pego et les activités de la compagnie minière. Budi Pego est actuellement incarcéré dans la prison de Banyuwangi.
Les ONG qui s’occupent de cette affaire pensent que Budi Pego a fait l’objet de fausses accusations et que les poursuites engagées contre cet homme visent à l’empêcher de mener ses activités de défenseur des droits humains luttant pour le droit de sa communauté à un environnement propre, sain et durable. Selon son avocat, aucun élément de preuve fiable n’a été produit lors du procès permettant de démontrer clairement sa participation à une quelconque infraction. Lors du procès, le parquet n’a produit aucune preuve matérielle devant le tribunal concernant la banderole en question.
Les dispositions juridiques interdisant la diffusion de l’idéologie communiste remontent à une période de forte répression des droits humains, sous le régime de l’Ordre nouveau du président Suharto, entre 1965 et 1998. La campagne anticommuniste a entraîné la mort de centaines de milliers de personnes et des violations d’autres droits humains, notamment des libertés d’expression et de réunion pacifique.
En Indonésie, les défenseur·e·s des droits humains sont de façon croissante harcelés et incriminés quand les acteurs étatiques et économiques estiment que leurs activités nuisent à l’exploitation des ressources naturelles. Entre janvier 2019 et mai 2022, Amnesty International a enregistré 328 cas d’agressions physiques et d’attaques numériques visant des défenseur·e·s des droits humains qui ont fait 834 victimes en Indonésie, dont des militant·e·s de l’environnement qui défendaient le droit à un environnement propre et sain.